Histoires de transfo - TikTok ou Lagarde et Michard ?
Je me suis récemment surprise à dire dans une conversation “avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants” (le sujet était de filer des smarties à mon petit dernier pour le convaincre d’aller sur le pot - les parents horrifiés peuvent détourner pudiquement le regard). Certes, c’était une boutade, et nous nous efforçons quand même d’élever nos enfants et de leur transmettre des valeurs qui nous semblent cardinales, mais le fait est que cette phrase illustre bien je crois le principe de réalité.
Nous aimerions tous vivre dans un monde policé et érudit, sans faute d'orthographe dans les e-mails ni publicité accrocheuse. Un monde vertueux et aseptisé où les enfants iraient prendre leur bain sans négocier, et où les entreprises se transformeraient à vive allure, chaque collaborateur portant en lui une conscience claire du chemin à suivre, de la cible à atteindre, et de l’effort pour y parvenir.
Dans ce monde merveilleux (et légèrement ennuyeux), pas d’image racoleuse pour vous vendre des produits dont vous n’auriez pas besoin, pas de négociation pour les temps de télévision, et pas besoin de déployer des trésors d’ingéniosité pour faire passer des messages pourtant indispensables (on se brosse les dents avant de dormir et il faut suivre ses formations obligatoires en entreprise, au risque de dégrader la note de qualité de toute la boite).
Dans la mesure où nous n’habitons pas dans ce monde fantasmé, nous avons tous vécu à un moment ou un autre ce débat interne : j’ai un message important à faire passer, un message sérieux, un message exigeant. Dois-je l’encapsuler dans un format important, sérieux et exigeant (qui serait à la hauteur de la qualité du message), ou dois-je user du moyen le plus efficace (quel qu’il soit) pour faire passer ce message ?
En gros, “state of the art” ou “whatever works” ? Lagarde et Michard ou TikTok ?
Vous commencez à me connaître, je n’ai pas d’avis radicalement tranché sur ce sujet, et je crois que la fin ne justifie pas toujours les moyens. Je pense même dans une certaine mesure qu’un e-mail bien tourné, ou encore qu’une belle expression orale exigeante et structurée ont la vertu d’élever l’écoute. En un mot comme en cent, quand on lit un texte un peu ardu au style soutenu, on se sent intelligent (et ça fait plaisir).
Mais force est de constater également qu’à essayer de se rapprocher de sa cible pour mieux la convaincre, on la comprend mieux, et on lui donne un sentiment de considération qui participe de l’effort de transmission qui est le nôtre. Envoyer un long mail institutionnel, ou pondre un site internet opaque et littéraire à destination d’une population hyper-connectée, habituée aux apps et aux contenus rapides voire éphémères, c’est non seulement rater sa cible, mais c’est aussi rater la connexion avec sa cible en lui indiquant presque explicitement “mon mode de fonctionnement et de communication n’est pas le vôtre”. C’est marquer une différence là où l’étymologie latine du verbe communiquer (“communicare”) nous rappelle qu’il s’agit d’une démarche de mise en commun.
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“L’étymologie illustre la polysémie du terme (qui peut signifier tour à tour « avoir part », « partager », « participer de quelque chose », « être en rapport mutuel, en communion avec quelqu’un », « transmettre », « propager », « faire partager », etc.” (Gaffiot)
On n’est pas obligés de filmer une vidéo TikTok à chaque fois qu’on s’adresse à des jeunes, mais quand on le fait, on acte la validité de ce mode de communication comme étant le leur, et notre propre souhait de se rapprocher d’eux et de les comprendre autant que de s’en faire entendre. Reconnaître l’existence de TikTok comme mode de communication effectif, ce n’est pas dénaturer son propre message, c’est admettre que pour certains, ce mode d’échange est valable, reconnu, central même.
C’est reconnaître aussi que si le fond de notre message nous importe, sa forme n’a réellement de valeur qu’en ce qu’elle permet à ce fond de rencontrer son public.
Et puis parfois l’innovation permet de trouver un “truc” de transmission imparable, qu’on n’oublie plus jamais. Je chante encore les tables de multiplication d’Hervé Cristiani dans ma tête, et plus récemment, aucun élève de primaire n’oubliera la règle dite “de Mbappé” (“on met un m avant le B ou le P”).
C’est peut-être pas Lagarde et Michard, mais ça marche.
Pourquoi des "histoires de transfo" ?
J’ai eu envie de partager quelques anecdotes, idées et inspirations glanées au cours de plusieurs années au service de la transformation, d’abord au sein du secteur public, maintenant dans le secteur privé. Si elles s’inspirent d’expériences vécues et bien réelles, ces opinions ne sont que le reflet de ma perception ou de mon analyse personnelles et n’engagent ni mes employeurs précédents ni mon employeur actuel.