Horlogerie : pièces uniques et montres exceptionnelles
Pièces uniques et montres exceptionnelles
A Genève, la Manufacture Vacheron Constantin possède une grotte secrète, son Atelier Cabinotiers. Au XVIIIe siècle, les cabinotiers étaient en charge des commandes spéciales d’horlogerie réservées aux têtes couronnées et aux puissants du monde. Discrets, les cabinotiers se comptaient parmi les meilleurs et les plus ingénieux des artisans horlogers, au service de clients passionnés rêvant de pièces sur mesure compliquées. Ils devaient maîtriser aussi bien les métiers d’art (gravure, guillochage, émaillage,…) que le savoir-faire horloger. En 2006, Vacheron Constantin, la plus ancienne des manufactures horlogères (1755), a recréé son Atelier Cabonotiers. Ici, pas de collections ni de catalogues, mais une oreille attentive. Tout commence par une histoire : celle, secrète et intime, du client. Comme celle du commanditaire du modèle Philosophia, grand collectionneur d’horlogerie. Ce dernier voulait une montre qui n’affiche pas l’heure juste, partant du principe que l’Humain n’a pas besoin, en permanence, de connaître l’heure exacte à la minute près (1). La montre Philosophia n’a donc qu’une aiguille, qui marque les heures. Mais en actionnant la répétition minutes, le propriétaire de ce modèle exceptionnel saura l’heure à la minute près grâce à trois carillons différents, grave, grave-aigu et aigu, indiquant les heures, les quarts d’heure et les minutes. Raffinement supplémentaire de la montre Philosophia, une ouverture dans le cadran à 6h permet d’admirer un tourbillon en forme de croix de Malte, signature de la Maison Vacheron Constantin et dans un cadran à 9h, une phase de lune personnalisée représente l’astre avec ses cratères et un seul autre astre dans le ciel alentour, l’étoile polaire. Autre détail unique, au dos de la montre, l’aiguille de la réserve de marche se déplace sur les constellations de la Grande et de la Petite Ours entrelacées. Les finitions main parfaites de l’ensemble des composants se poursuivent jusqu’à l’intérieur du mouvement, c’est-à-dire sur des pièces invisibles.
Bien entendu, l’Atelier Cabinotiers n’accepte de réaliser ces pièces sur mesure que si elles sont dans l’esprit de la Maison Vacheron Constantin. D’ailleurs, l’accord de Juan Carlos Torres, le CEO de la Maison, est une étape indispensable de validation du projet. Ainsi, un collectionneur français a fait accepter l’adaptation du modèle Toledo dont il aimait passionnément le très subtil galbe en dégradé du boîtier. Pour ce projet, commencé comme une belle histoire d’amour filiale – le client y a associé son fils - la Maison Vacheron Constantin a dû modifier légèrement le calibre pour apposer une phase de lune bombée et gravée, mi-souriante mi-triste avec la Grande Ourse et l’étoile du Berger, rechercher un bleu nuit très spécifique pour le cadran (l’étape la plus longue d’après le commanditaire), imaginer une aiguille des secondes bleuie à flèche rouge, marquer en rouge le mois anniversaire du client, qui est aussi celui de son fils, et bien d’autres détails encore. Par exemple, aucune étoile ne dissimule l’étoile polaire lorsqu’elle passe par-dessus, chaque queue de comète est différente et la minuscule Grande Ourse est entièrement travaillée en relief. Il faut écouter ce collectionneur parler avec passion de ces micro-détails et conclure avec une certaine émotion « La Maison Vacheron Constantin a un savoir-faire, un savoir-vivre et un savoir-être exceptionnels» (2).
Avec leur mécanisme permettant de mesurer des temps intermédiaires sans interrompre le chronométrage global, les chronographes à rattrapante font partie depuis longtemps des spécialités Patek Philippe les plus prisées. Dans la nouvelle référence 5370, le magnifique calibre CHR 29-535 PS apparaît pour la première fois dans sa forme épurée, sans la complication additionnelle d’un quantième perpétuel. Ce recentrage sur la mesure du temps donne à ce nouveau modèle les qualités d’un garde-temps d’une beauté simple et fonctionnelle chère à Patek Philippe (3).
Et il suffit d’un coup d’œil sur le cadran pour comprendre ce qu’entend la manufacture genevoise par «beauté fonctionnelle»: une lisibilité optimale, sans décors inutiles détournant de l’essentiel. La réalisation d’un cadran en émail pose de très hautes exigences du point de vue technique et esthétique. Une plaque en or gris est d’abord recouverte à la main d’émail noir, qu’on fait fondre au four à 850°C, avant de le laisser refroidir et durcir de manière contrôlée, afin qu’il prenne une consistance semblable à du verre. Il en résulte un noir intense, qui conservera sa profondeur et son éclat durant des siècles. Car c’est cela aussi qui fait de Patek Philippe une référence, l’authenticité, la tradition, l’élégance.
Ludovic Ballouard est un indépendant, comme il en existe quelques-uns dans le monde, pour la plupart en Suisse. Ces horlogers surdoués, qui ont en général fait leurs armes dans des Maisons horlogères connues, ont préféré donner libre cours à leur génie et ouvrir leur propre atelier. C’est le cas de Ludovic Ballouard, représenté à Paris par la galerie horlogère EKSO WATCHES, qui compte 8 autres génies de la haute horlogerie à son actif. La montre Half Time de Ludovic Ballouard a un principe simple, mais en fait terriblement compliqué à réaliser. Tous les index sur le cadran sont coupés en 2, donc illisibles, sauf celui de l’heure en cours, qui s’affiche en entier dans un guichet à 12h. C’est la mise en rotation de deux disques qui « reconstitue » chaque index de manière lisible. Les minutes sont indiquées sur un arceau entre 4 et 8h, avec affichage rétrograde. Cette pièce en platine, dont le cadran en titane existe en noir ou en blanc, est fabriquée à l’unité et à la demande (4). Sa réalisation demande plusieurs mois, comme toutes les pièces de haute horlogerie confidentielle et ultra niche qui constituent l’univers d’EKSO WATCHES.
Et les femmes dans tout ça ?
Les horlogers offrent maintenant aux femmes de vraies complications sans condescendance. Mais centrons-nous sur les métiers d’art, avec 3 modèles d’exception. Le premier est un modèle de haute-horlogerie absolument sublime, dont le cadran est une merveille de minutie utilisant le savoir-faire traditionnel des métiers d’art comme la micro-peinture sur nacre. Le modèle paon en or blanc de la Maison Bovet reproduit avec une précision infinie le détail de chaque plume, de chaque barbe dans toutes leurs nuances de coloris. Peu d’artisans, disons d’artistes, savent encore peindre de cette façon-là, et Bovet emploie l’un des derniers à maîtriser ce miraculeux savoir-faire. L’heure est indiquée dans un guichet entre 8 et 9h, les minutes par un saphir enchâssé dans le grand cercle. La montre peut se transformer en montre de poche ou en montre de table. Son boîtier serti de diamants taille baguette en font un bijou autant qu’une montre et en tout cas de façon certaine un objet d’art (5).
Puisque l’on parle de montre de poche, Harry Winston a eu une initiative originale en éditant une montre à gousset en pièce unique, The Jeweler’s Secret. Véritable montre de haute-joaillerie, elle est sertie de 752 diamants (environ 13 cts), 48 saphirs roses (3.31 cts) et 5 perles Akoya du Japon.
Le couvercle galbé de ce garde-temps exceptionnel est entièrement recouvert de nacre perlée. Le maître artisan a réalisé différents types de sertissages, serti clos et serti grain pour créer des effets de matière et de relief dans un entrelacs de diamants et de saphirs roses d’une nuance poudrée délicate (6).
L’intérieur de la montre dévoile une fleur en diamants reprenant d’une façon opulente, proche d’un décor oriental, les fameux motifs floraux du Cluster dont seule la Maison Harry Winston a le secret.
Autrefois, lire l’heure pour une femme était affaire de discrétion. La montre-bijou était secrète et ne dévoilait son visage qu’à celle qui, dans un geste délicat, ouvrait une boîte raffinée, sertie ou émaillée. C’est cette tradition perdue qu’Harry Winston, le joaillier de l’exceptionnel dont le nom seul évoque les plus belles pierres du monde, a voulu faire renaître dans une somptueuse montre-joyau.
La Maison Jaquet Droz, installée à La Chaux-de-Fonds en Suisse, est connue pour ses prodiges automates, qui sont sa spécificité historique et la virtuosité de ses ateliers d’art. Dans la Lady 8 Flower, ce garde-temps à l’âme joaillière, deux cercles superposés dessinent un huit, chiffre emblématique à Jaquet Droz et symbole d’harmonie, de perfection et d’infini. Sur l’anneau du bas apparaît un papillon aux ailes déployées, sur l’anneau du haut une fleur de lotus, emblème sacré de sérénité et de poésie. Ce petit chef-d’œuvre serti de 135 diamants est édité en 8 exemplaires. Il fait appel à tous les métiers d’art, le papillon est émaillé grand feu, puis gravé et peint à la main comme le sont les pétales. La fleur de Lotus s’ouvre sur un cœur de diamant en actionnant le poussoir à 2h, ultime détail qui fait de ce petit objet d’art une ravissante « montre à secret » dont la tradition perdure (7).
Les Maisons horlogères ont une ambition, celle de rester uniques et reconnaissables, de faire découvrir au public de passionnés de la belle mécanique horlogère autant qu’aux amoureux d’art leurs ateliers, souvent anciens et aguerris aux savoir-faire de la haute précision. Passer à la pérennité, c’est aussi être différent, spécifique, inimitable, et se singulariser par des réalisations sublimes, complexes, virtuoses, mais discrètes. Tant il est vrai que luxe et show off ne se marient pas. C’est l’amour du métier de précision, du métier rare que l’on sent à travers ces belles Maisons, et la volonté de surprendre, d’innover, mais certainement pas celle d’éblouir.
Isabelle Hossenlopp Parution Entre Luxe & Prestige septembre 2015