Hors de l'expérience directe pas d'authenticité
Ô Cirque du Soleil

Hors de l'expérience directe pas d'authenticité

TANT DE SOUVENIRS

T-shirts, programmes, affiches, nez de clown... achetez vos souvenirs! Dès le début des activités du Cirque du Soleil, les produits dérivés y occupent une place de choix. C’est avant tout un secteur d’activité très lucratif qui contribue au déploiement et à l’exploitation de la marque de commerce. Le développement des produits dérivés se fait de façon bien artisanale sur un modèle d’essais et erreurs qui ne cesse de s’améliorer année après année et de donner d’excellents résultats.

Au début de la tournée, en 1985, nous venons tout juste d’élaborer notre toute première ligne de produits (t-shirts, programmes, affiches, ouatés, nez de clown, etc.). Notre approche est bien simple, intuitive et empreinte d’une naïveté sincère... Quelques jours avant la première représentation de la tournée, Guy entre dans mon bureau, hors de lui. Il me sert une de ces engueulades comme lui seul sait le faire. Il est furieux que j’aie autorisé une commande de produits qui, pour l’époque, est importante. Il me fait valoir que notre liquidité ne nous permet pas de supporter un inventaire important. Je lui explique avant tout que notre commande est basée sur des projections de vente extrêmement conservatrices et, qu’à mon avis, c’est une production minimale si nous souhaitons avoir un prix de revient intéressant. Je lui mentionne également que j’ai pris le soin de négocier des modalités de paiement avec nos fournisseurs. Rien à faire, l’engueulade est maintenue. Je mets sa réaction sur le compte du stress provoqué par le démarrage de cette nouvelle tournée. Une semaine plus tard, le lundi suivant notre premier week-end de représentations, je reçois un appel de Guy qui m’engueule de nouveau parce que, cette fois-ci, les spectateurs se sont littéralement rués sur tout ce qu’il y avait en montre et nos ventes de produits dérivés ont dépassé toutes les prévisions durant ce premier week-end. À ce rythme, nous courons le risque d’être en rupture de stock très bientôt.

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Vous ne serez pas surpris si je vous dis que nous n’avons jamais vraiment manqué de produits durant toutes les années où j’ai dirigé le service de marketing. La gamme d’articles dont nous disposons est très variée, tant sur le plan du type de produits que sur celui des prix. Les consommateurs apprécient la variété et la diversité que nous leur proposons. Ils aiment bien retrouver de menus objets à 1 $ et d’autres à 500 $. Le plus étonnant dans tout ça, c’est que moins de 10 % des produits génèrent plus de 85 % de tous les revenus. Cette norme s’applique à presque toutes les villes du monde où nous nous produisons. Les meilleurs vendeurs sont le programme souvenir, la musique et les vidéos.

Nous tentons, au début des années 1990, de créer un programme de licensing, c’est-à-dire un programme où nous octroyons des licences d’exploitation de notre marque de commerce à des manufacturiers qui distribuent leurs produits dans les grands magasins et les boutiques spécialisées. Nous nous associons à Determined Productions inc., une firme de San Francisco qui possède une solide expérience dans le domaine. Elle agit pour nous à titre d’agent. Elle développe des visuels, des concepts et des maquettes qu’elle propose à des manufacturiers (vêtements, accessoires, jouets, bijoux, etc.). Connie Boucher, la présidente de cette entreprise est tombée en amour avec nous. C’est une femme passionnée, honnête, dévouée et, bien sûr, un brin rêveuse; c’est une artiste. Le projet est très ambitieux, et c’est Jean Laliberté, le jeune et dynamique frère de Guy, qui le dirige.

Est-il possible de traduire et de transférer les caractéristiques de notre jeune marque « spectacle » sur des vêtements et des objets de grande consommation? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte dans un tel programme : En premier lieu, le niveau de notoriété de notre marque. Jusqu’à quel point les consommateurs sont-ils capables de faire référence à nous et qu’évoquons-nous dans leur esprit? Puis, quel type de clientèle devons-nous cibler initialement? Les enfants, les jeunes, les adultes, les hommes, les femmes? Reste à définir les lignes de produits à créer. Lesquels choisir : vêtements de sport, vêtements de détente, vestons, pantalons, robes, cravates, foulards, articles de voyage, articles de décoration, papier peint, objets cadeaux, articles de Noël? Ouf! Bien des questions que notre agent ne veut pas aborder directement. Il tente plutôt de trouver les réponses au contact des manufacturiers qui, disons-le, ont la réputation d’avoir beaucoup de flair dans ce domaine.Certains manufacturiers qui ont eu l’occasion de faire l’expérience de nos spectacles se laissent tenter par les concepts proposés par notre agent. Celui-ci veut, avec raison, mettre à profit toute l’imagerie que nous avons développée au fil des ans et des créations. Après quelques années de vains efforts et, surtout, avec le décès de cette chère Connie, la présidente et principale actionnaire de l’entreprise, sa succession décide de mettre un terme à l’association.

Ô Cirque du Soleil
Ô Cirque du Soleil

Cette expérience s’avère très révélatrice sur ce qu’il est possible de faire avec notre marque de commerce. Elle nous conduit à prendre encore plus en considération l’importance de la notion de « souvenir » dans nos activités d’exploitation de produits dérivés. La consommation d’articles de merchandising est au plus fort lorsqu’elle est directement associée à l’expérience du spectacle. C’est l’une des raisons pour lesquelles les boutiques du Cirque du Soleil fonctionnent si bien à Orlando et à Las Vegas; elles sont adjacentes au théâtre ainsi que sur les lieux de représentation lors des tournées.

La question de l’exploitation de la marque me préoccupe au plus haut point et cette expérience de licensing m’incite à tirer les conclusions suivantes : Nous sommes parmi les meilleurs au monde en ce qui a trait au secteur des spectacles vivants et notre niveau d’excellence est reconnu partout sur la planète. Notre réelle force dans le domaine des produits dérivés se situe sur les lieux mêmes des représentations, et ce, encore aujourd’hui. Lorsque arrive le moment de mettre la musique des spectacles sur le marché de la distribution internationale, notre compétition est pour le moins substantielle; il n’y a qu‘à se rendre chez un marchand de disques pour le constater. La même règle s’applique dans le cas d’émissions de télévision, de films, de vidéos, de dessins animés, d’émissions de variétés, etc. Notre compétition dans ces autres secteurs d’activité est, dans la majorité des cas, à des années-lumière devant nous.

Étendre les caractéristiques de notre marque de commerce à d’autres champs d’activité – parcs d’attractions, hôtels, restaurants, spas, etc. – demeure, à mon humble avis, une opération hasardeuse. Il existe des limites à l’élasticité de toutes marques de commerce, et ces limites peuvent évidemment varier d’une marque à l’autre. Mis à part l’argent, quel est l’intérêt de vouloir « forcer » l’expansion d’une marque aussi fragile et si particulière? Pourquoi chercher obstinément à dilapider un tel trésor? Certaines marques se prêtent mieux que d’autres à des exploitations tous azimuts, telle Virgin. À mon sens, les caractéristiques de la marque du Cirque du Soleil sont intimement associées à l’expérience du spectacle et le terme qui définit et englobe le mieux ces caractéristiques et cette expérience est l’authenticité. Plus le spectateur/consommateur s’éloigne du moment où il vit cette expérience, proportionnellement baissent la crédibilité et l’intérêt qu’il est enclin à accorder à tous produits dérivés de cette marque qui lui sont offerts. Hors de l’expérience directe, pas d’authenticité.

Qu’en pensez-vous?



Extraits de QUEL CIRQUE ✰ Jean David © 2003

www.jeandavid.me

Claude Le Bel

Président-fondateur, Sollertia Inc. (architecture textile)

1 ans

Merci Jean de partager ces expériences. 😉

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