Hystérisation, crétinisation et réification de masse
Ami lecteur en proie depuis 72 heures à des insomnies tenaces, emmailloté dans le linceul de tes illusions de démocrate déconfit, te languissant déjà de cette hystérie présidentielle qui a anabolisé durant quelques mois ta morne existence de bulot ratatiné assujetti aux essorages impitoyables du grand capital, éprouvant une indicible nostalgie pour les haletants canardages médiatiques qui ont débouché sur la consécration du président "Cellezéceux" au terme d’un suspense insoutenable aux ressorts hitchcockiens, voici, rien que pour toi, un texte d’un ennui mortel qui fera retomber ta fièvre citoyenne avec la même radicalité implacable qu’un discours de François Hollande dans une salle des défaites de Tulle, et dans lequel il est question de réification. C’est un truc redoutablement contagieux qui te conduit à traiter tes congénères comme des objets, des utilitaires, des consommables que tu prends, manipules, jettes, sacralises, condamnes, nies, tues – du moins symboliquement –, sans autre forme de procès. Installe-toi confortablement, munis-toi d’un tube d’aspirine ou d’un verre de ce que tu as sous la main [flash-info de la Haute autorité de la bien-pensance : l’abus d’alcool est dangereux pour la santé].
À l’ère des réseaux sociaux, des jeux vidéo et de la télé-réalité, où chacun se fige dans des postures et semble faire de son quotidien un FPS consolateur, où la lisière entre la fiction et la vraie vie se décharne comme un chômeur après cinq ans de régime PS (Pain Sec), où l’interlocuteur ne devient qu’un adversaire à abattre, dans cette plate-forme du manichéisme qui te rassasie de violence compulsive d’un côté et t’abreuve de fraternité fusionnelle de l’autre, la personne humaine se désintègre en une poussière virtuelle dans les méandres des Mbps. Protégé par l’anonymat d’un avatar calfeutré dans un cocon de Toile, ou à l’inverse enhardi par l’excitation de décrocher quelques nanosecondes de gloriole au JT du soir, te voilà qui te crois autorisé à injurier un internaute ou à agresser un homme politique.
Mithridatisé par cette banalisation de la maltraitance verbale, tu succombes à la faiblesse de t’y adonner toi aussi
La soufrière numérique qui a aboli les frontières du savoir-vivre (puisqu’elle n’est pas faite pour vivre mais pour se sentir exister) te métamorphose en sniper de l’insulte et du bannissement intempestif. Les amis d’hier sont décrétés en un clic ennemis de demain, parce qu’ils ont eu l’outrecuidance d’émettre une opinion divergente. Charrié par cette marée inhumaine, l’être n’est plus que particule d’une masse informe dont tu disposes au gré de tes fantaisies. Mithridatisé par cette banalisation de la maltraitance verbale, tu succombes plus ou moins vite à la faiblesse de t’y adonner toi aussi. La haine frappe sans sommation. Mieux : elle chasse à l’occasion en meute pour exercer un véritable harcèlement contre une pensée déviante. À force de te croire tout permis dans la pénombre des égouts virtuels, tu te laisses infecter par cette frénésie urticante – grisante? – et tu la décalques en chair et en os. Tu flanques une mandale à un ex-premier ministre, tu balances des œufs ou de la farine sur des élus, au prétexte qu’ils t’ont trahi, floué, arnaqué. Ils ne sont plus que le réceptacle de ta hargne. Si tu pouvais les lyncher, tu le ferais. Leur statut d’être vivant s’est évanoui sous le poids de tes frustrations trop longtemps ravalées, démultipliées par une émulation de foule; car nombreux sont ceux qui partagent ton exaspération.
Faut dire que la terrifiante invasion du politainment cannibale ne les a pas aidés, les élus. Mués en automates psalmodiant de lénifiantes incantations au fil de débats métronomiques, agitant leur absence d’idées neuves dans le grand vide d’un petit théâtre de marionnettes, devenant les jouets palabreurs de nos récréations quinquennales, relégués au rôle de simple divertissements télévisuels, ils se virent par là même dépouillés de toute consistance charnelle et de la considération qui va avec. La stature politique s’est pétrifiée en statue médiatique. Parfois en hologramme.
De ton côté, tu fais office d’antenne-relais, partageant, likant et retweetant à l’infini sur les réseaux sociaux les publications que tu supposes essentielles et les analyses de commentateurs de référence. À l’entre-deux-tours, tu reçois et diffuses tes consignes de vote, celles du consensus pacificateur. Tu fais ce que tu veux, mais tu votes Macron. Cherche pas à comprendre. D’ailleurs, Macron n’est-il pas le candidat des high-tech extatiques, de la com’ addictive, de la mise en scène pyramidale, le dompteur des zoos de jouvence te dressant à la reddition heureuse? Enrichi de ces convictions implémentées, tu communies dans l’allégresse avec l’ovinocratie endoctrinée. En marche, ou crève de honte.
Pourquoi diable le peuple respecterait-il encore des fantoches qui troquent leur vertu contre un ministère ou une circonscription?
La liturgie politico-médiatique t’astreint à l’exécration du frontiste. Le frontiste n’est pas humain. C’est un démon, un arriéré sous-diplômé; même les plus chevronnés égalitaristes ne sauraient lui accorder la plus infime considération. Il doit être anéanti. Ceux qui ont rallié le camp du FN comme Nicolas Dupont-Aignan, quelle que soit la sincérité de leurs motivations, sont cloués au pilori, traités de tous les noms, dans la plus détestable jouissance sadique. NDA le maudit, sacrifié à la vindicte boboïsée sur l’autel de passe d’une sphère politique réaménagée en clinquant lupanar pour accueillir en grandes pompes la douillette orgie législative. Pourquoi diable le peuple respecterait-il encore des fantoches qui troquent leur vertu contre un ministère ou une circonscription?
Dans cette logique où l’être est perçu comme vidé de sa substance, les flics immolés par des manifestants ne sont plus que de vulgaires «poulets grillés» – même que c’est la CGT-Publicis qui le tweete, dis donc. Des volatiles qu’on peut faire flamber à satiété, puisque leur vie, qu’ils risquent pourtant chaque jour, ne vaut plus rien, aux yeux de la rebellitude subventionnée. Ils ne sont plus que des uniformes ambulants, des emblèmes du pouvoir, d’une oppression qu’il est urgent de désagréger. Mieux que le bœuf stroganov, le poulet molotov. Et que ça saute! [note à l’attention de la Haute autorité de la bien-pensance : ceci n’est PAS une apologie du terrorisme]
Quant aux journalistes, dont beaucoup ont œuvré avec un inépuisable zèle à la crétinisation de masse par l’hypnose d’un matraquage anesthésiant, et à la réification de people qu’ils sanctifient puis crucifient au plaisir de leurs impératifs commerciaux, ils se retrouvent à leur tour honnis, hués et malmenés dans l’enceinte des meetings de campagne par cette plèbe dont ils vomissent le populisme. La boucle est bouclée.
Abruti d’idéologies, de mantras, de conflits sociaux, d’épisodes insurrectionnels, le peuple en guerre contre lui-même ne débat plus ; il combat
Mais y a-t-il encore un peuple? Comprimé et comptabilisé dans des sondages, des statistiques, des panels, des échantillons, des micro-trottoirs ineptes, des hécatombes d’attentats, des commémorations compassionnelles, des agglutinements festifs ou des posts internet, cantonné à son rôle factice d’«opinion publique» qui s’évertue à infléchir celle de ceux qui n’en ont pas (d’opinion!), il subit la déshumanisation par les chiffres. En vérité, il est morcelé, rongé par une cohésion sociale en guenilles, des tensions ethniques éruptives, une défiance croissante envers les «élites», une lutte des classes inextinguible, un flux migratoire ingérable, un communautarisme ostracisant. Abruti d’idéologies, de mantras, de conflits sociaux, d’épisodes insurrectionnels, le peuple en guerre contre lui-même ne débat plus ; il combat. Jusqu’à l’uniformisation béate?
La présidentielle de 2017 a cristallisé, magnifié et sans doute durablement enraciné cette perte d’autonomie intellectuelle, cet alliage d’engourdissement cérébral, de formatage moral et de surexcitation nerveuse brute de décoffrage, ce désir boulimique de chosifier son semblable, de lui confisquer la parole, le raisonnement, le discernement, de lui refuser la légitimité d’exister, de fouler son biotope. Dans cette démocratie despotique infantilisante, tu n’es plus qu’une groupie qui révère son idole politique et flingue ses contempteurs hérétiques. Bardé de ton permis de tuer virtuel et d’un visa optionnel pour la barbarie au cas où, tu atomiseras, coûte que coûte, tout ce qui s’opposera à ta suprématie d’enfant roi gazouillant dans l’édénique chimère d’une gorgonisation triomphante.
Eloïse LENESLEY
je n'ai pas réussi à aller plus loin que le premier paragraphe d'après les commentaires ça a l'air bien, représentatif du peuple j'ai un doute
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7 ansAvec toi et ton texte nous sommes en 1984......
Médecin biologiste et anti-âge chez BIOGROUP
7 ansLe ton est plaisant, le constat sévère mais juste. L'Histoire est tragique et l'exacerbation des affects comme vous le décrivez à la fin est inquiétante.