"Il n’est pas envisageable de remettre en question la fonction publique de notre pays" (Luc Farré, Unsa FP)
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"Il n’est pas envisageable de remettre en question la fonction publique de notre pays" (Luc Farré, Unsa FP)

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Par Sixtine de Villeblanche et Clarisse Jay, le 12/09/2016

 
La fonction publique est "une force pour notre pays, qui a des services publics de qualité. Malgré quelques défauts, [elle] fonctionne, avec un statut qui a fait ses preuves. Pour nous, il n’est pas envisageable de remettre en question la fonction publique de notre pays", déclare le secrétaire général de l’Unsa Fonction publique, Luc Farré, dans une interview à l’AEF, lundi 12 septembre 2016. Alors que dans le cadre de la campagne présidentielle, plusieurs candidats à la primaire de droite et du centre proposent de supprimer plusieurs centaines de milliers de postes de fonctionnaires et de revoir leur statut, Luc Farré estime que la société doit tout d’abord s’interroger sur ce qu’elle attend des missions de la fonction publique et sur la façon de les exercer. Il s’exprime également sur la mise en application du protocole et de la loi déontologie ainsi que sur l’agenda social.

AEF : Que pensez-vous du débat sur la fonction publique tel qu’il émerge dans le cadre de la campagne présidentielle de 2017 ?

Luc Farré : Nous avons une vision positive de la fonction publique dans le sens où nous estimons que c’est une force pour notre pays qui a des services publics de qualité. Notre fonction publique, malgré quelques défauts, fonctionne, avec un statut qui a fait ses preuves. Pour nous, il n’est pas envisageable de la remettre en question. Au-delà des domaines régaliens, elle couvre l’ensemble des services aux citoyens (éducation, santé, vie quotidienne, équipement, etc.). Au bout du compte, une entreprise étrangère qui s’installe en France regarde aussi ce dont ses ressortissants peuvent bénéficier. En France, il y a beaucoup de services accessibles gratuitement !

La question est de savoir comment assurer l’ensemble de ces missions avec une restriction de personnel, puisque, y compris dans le budget actuel, il n’y a pas de créations d’emploi dans tout un pan de la fonction publique, la politique de ce quinquennat prévoyant zéro création de postes au total (1). Quand certains candidats à la primaire de droite et du centre dans le cadre de la présidentielle 2017 s’expriment actuellement en avançant des chiffres faramineux de suppressions de postes, je suis donc très interrogatif sur ce qu’ils veulent faire du service public, qui offre de réels services à la population. Est-ce de la surenchère ou une façon idéologique d’essayer de réduire le budget de l’État ? S’il s’agit de cela, nous risquons d’avoir des transformations sociétales de fond dans notre pays. L’Unsa n’est pas sur cette ligne-là, mais nous sommes prudents car les propos de campagne sont des propos de campagne, surtout de campagne interne, et nous verrons quelles seront les propositions réelles des candidats à la présidentielle des différents partis politiques.

AEF : Craignez-vous, en cas d’alternance politique, une réelle remise en cause du statut et la suppression de plusieurs centaines de milliers de postes ?

Luc Farré : Un scénario catastrophe peut se produire, nous l’avons vu dans d’autres pays. Il faut tout d’abord réfléchir au sens politique que nous voulons donner aux missions de la fonction publique et du service public. C’est à partir de là que nous pouvons construire une politique. J’insiste beaucoup sur l’aspect mission : c’est l’évolution des missions qui peut faire que l’on ait besoin de plus ou moins d’agents. Ce sont notamment les nombreuses missions cachées, indispensables, qui font la force de notre pays, dont les crises sanitaires ou les attentats ont souligné l’importance.

Par ailleurs, je rappelle que l’un des objectifs du statut dans la fonction publique est de protéger le fonctionnaire des éventuelles pressions que peut exercer le pouvoir politique quel qu’il soit. Il est essentiel d’avoir une fonction publique ouverte à tous, via un concours, sur la base du mérite. Les fonctionnaires vont ainsi appliquer les décisions prises par les parlementaires, sans être dans une "république bananière". Ce statut est protecteur non pas seulement des agents mais du service public, de la fonction publique, et de fait, de l’État.

Nos instances doivent décider quelle méthode nous allons retenir mais notre objectif est de nous placer dans le débat présidentiel en envoyant nos propositions aux candidats. Mais pour l’heure, nous ne voulons pas nous positionner dans le cadre des primaires.

AEF : Le protocole PPCR (parcours professionnels, carrières, rémunérations) est en cours de mise en œuvre et les premiers textes d’application ont été publiés ces derniers mois (lire sur AEF). Le rythme d’avancement de ce travail et la procédure de consultation vous satisfont-ils ?

Luc Farré : Il y a quatre points importants dans le protocole PPCR. Tout d’abord, le transfert primes-points qui est un élément important mais qui ne peut rester que symbolique pour l’instant du fait de la constitution de la rémunération des fonctionnaires. Ce point est important car on intègre de fait une partie des primes dans le calcul de la pension de l’agent public.

Deuxième point, c’est la revalorisation des grilles indiciaires. Nous serons extrêmement vigilants à ce que toutes les catégories A, B et C soient bien couvertes d’ici à avril 2017, soit avant le premier tour de l’élection présidentielle car c’est un engagement de ce gouvernement et c’est donc à lui d’aller au bout de son dispositif. Nous serons particulièrement attentifs à certains aspects que nous avons négociés dont la requalification de la filière sociale [lire sur AEF]. À la différence d’une réévaluation des grilles pour tous les agents, il s’agit dans ce cas de revoir leur rémunération à la hausse en tenant compte de leurs qualifications. Nous sommes toutefois inquiets de voir que les choses avancent moins vite dans certains ministères, dont en particulier le ministère de la Justice. Nous souhaitons que ce denier avance maintenant rapidement sur PPCR.

Troisième point, la revalorisation de la valeur du point d’indice (2). Pour nous, 1,2 % de hausse équivaut au dégel du point d’indice et constitue un geste qui participe à la reconnaissance des agents publics. Mais ce geste ne se conçoit que parce que par ailleurs il y a l’ensemble des mesures de PPCR dans un contexte d’augmentation des dépenses pour la rémunération des agents. Il faut remettre en perspective cette revalorisation avec une augmentation de l’ordre de 0,2 % à 0,5 % seulement comme le laissait entendre au début de l’année l’ancienne ministre de la Fonction publique. Et nous attendons du prochain gouvernement que, dès son entrée en fonction, nous puissions acter une discussion annuelle sur la valeur du point d’indice, comme cela est inscrit dans le protocole PPCR. Cela est d’autant plus important qu’il y a actuellement des signes de reprise économique.

Enfin, quatrième et dernier point, sur lequel nous serons très attentifs, c’est le fait qu’un agent puisse dérouler sa carrière sur au moins deux grades. Nous voulons que cet élément qui est le cœur de PPCR - et qui explique tout ce qu’il y a dedans - soit mis en application. Cela veut dire que la révision des grilles, avec un allongement des carrières, n’a de sens que si l’agent peut poursuivre au-delà des 25 ans ou des 30 ans de son corps et qu’il peut changer de grade.

L’enjeu est prioritairement dans la fonction publique territoriale car c’est là où il y a le plus de personnels qui restent sur un grade. Nous voulons vraiment que le gouvernement assume le contenu de PPCR sur ce point. Si nous avons signé le protocole, c’est parce qu’il intègre cet élément. Dans la territoriale, il y a un double problème : le changement de grade implique souvent un changement de missions. Or, il n’y aura pas forcément d’opportunité pour tous les agents sur certaines missions. Nous devons donc trouver une autre solution, à savoir peut-être accepter à un moment donné pour les employeurs, qu’un agent reste sur ses missions mais en changeant de grade.

AEF : Et la loi déontologie ?

Luc Farré : La loi déontologie comporte beaucoup de sujets. Je ne me fais pas trop de soucis concernant les sujets relevant de la déontologie proprement dite. Mais nous serons très vigilants à l’égard de la mise en application des mesures concernant les hauts fonctionnaires [lire sur AEF]. Nous voulons également que l’application de la loi aille le plus loin possible avant avril 2017. Nous agissons en permanence de manière concrète pour faire avancer et améliorer les textes d’application.

AEF : Pouvez-vous nous faire un point sur les deux concertations prévues à l’agenda social pour 2016, celle relative au développement des compétences et les parcours professionnels, et celle qui porte sur la santé au travail ?

Luc Farré : La concertation relative au développement des compétences et à l’accompagnement des parcours professionnels s’est ouverte parce que la loi Travail a été votée. Elle offre la possibilité d’agir sur ordonnance sur plusieurs sujets, dont la mise en œuvre du , voire à terme du [lire sur AEF]. La question du CPA dans la fonction publique est délicate car elle touche à la question de la pénibilité dans le public que nous souhaitons voir mieux prise en compte et pour laquelle nous verrons ce qu’il se passera concrètement. Cela revient pour nous à prendre les dix critères actés dans le code du travail et à repérer quels sont les agents concernés, afin d’essayer de voir ensuite quels sont les moyens d’action en matière de prévention, sans remettre en cause les dispositifs actuels comme le service actif. Mais ce n’est pas forcément ce qu’il se fera.

Concernant la santé et la sécurité au travail, d’autres aspects apparaissent, comme celui de la médecine de prévention [lire sur AEF]. Notre objectif est que les agents aient davantage accès à la médecine de prévention, alors qu’il y a une explosion des risques psychosociaux et du nombre d’agents confrontés à la violence, aux réorganisations, aux adaptations de leurs missions… Je ne peux pas concevoir que l’État se désintéresse de la situation. Nous sommes tous conscients que le XXIe siècle implique une évolution des modes de travail, que les décisions politiques entraînent une réorganisation de l’administration sur le territoire, que la fonction publique évolue et que les ministères ont vu leurs missions évoluer voire s’accroître, tout en perdant du personnel. Le ministère de l’Écologie et du Développement durable est ainsi passé de 120 000 agents il y a quinze ans, à 47 000 aujourd’hui. Il faut non seulement avancer sans réduire la médecine de prévention, mais aussi imaginer des dispositifs d’accompagnement des agents en cas de réorganisation. Il faut se donner les moyens d’accompagner les agents en particulier dans le cadre des fusions de collectivités territoriales. La difficulté est de passer des textes aux changements concrets.

AEF : Quelle est votre analyse des autres chantiers en cours que sont la réforme territoriale en matière d’accompagnement RH des agents, la protection sociale complémentaire, le temps de travail et la diversification de l’accès à la fonction publique dans le cadre du projet de loi Égalité et Citoyenneté (lire sur AEF) ?

Luc Farré : Concernant la réforme territoriale, une feuille de route existe sur l’accompagnement RH, mais la mise en place est variable en fonction des régions. Nous regrettons à cet égard que cette dimension ne soit pas mieux prise en compte. Nous allons nous retrouver confrontés au même problème dès qu’il y aura une modification. Il est certes normal que les choses évoluent, mais nous estimons que les employeurs en général ne vont pas assez loin dans le suivi et l’accompagnement des agents alors que des procédures existent. Parfois, les ne sont pas réunis alors qu’ils devraient l’être. Le dialogue social est insuffisant alors que c’est la clef de la réussite des évolutions décidées et pour lesquels les agents publics, de par leur statut, n’ont pas le choix. D’où l’importance de concevoir le dialogue social avec les organisations syndicales et non avec des panels d’agents…

À cet égard, je précise que l’on ne peut pas passer son temps à commander des rapports sur les perspectives de la fonction publique, sans avancer concrètement, a fortiori en fin de quinquennat. Les consultations avec des panels d’agents lancées récemment par la ministre de la Fonction publique [lire sur AEF] ne sont ni du dialogue social, ni une bonne méthode. La première démarche d’un dialogue social de qualité doit être celle du dialogue avec les organisations syndicales et non une démarche où elles apparaissent en fin de processus comme c’est trop souvent le cas.

Par ailleurs, nous voudrions que le télétravail soit bien mis en œuvre et intelligemment. Sur ce sujet, nous avons beaucoup travaillé sur le contenu des textes dans le cadre d’un dialogue social réussi [lire sur AEF]. Ce sont des éléments positifs pour améliorer le fonctionnement de la fonction publique et la vie des agents. Pour autant, nous ne voulons pas que les agents publics soient personnellement esclaves des nouvelles technologies à leur domicile.

Par ailleurs, nous sommes très attentifs à ce qui se passe en matière de protection sociale complémentaire [lire sur AEF]. Aujourd’hui, les employeurs publics n’ont pas les mêmes obligations que les employeurs privés : nous souhaitons par conséquent avancer sur ce dossier pour que l’État, les collectivités accompagnent davantage la protection sociale complémentaire.

AEF : Et concernant le temps de travail ?

Luc Farré : Sur ce sujet, nous regrettons que les groupes de travail qui vont prochainement se mettre en place à la suite de la remise du rapport Laurent [lire sur AEF] ne réunissent pas les organisations syndicales et les employeurs publics. Or nous devrions réfléchir tous ensemble sur le sujet.

Quant à la diversification de l’accès à la fonction publique et au rôle social qu’elle doit jouer, nous sommes très ennuyés sur cette question. Il s’agit d’un côté de voir comment faire pour qu’elle soit composée à l’égal de la société française ; et de l’autre côté, de veiller à ce que cet égal accès ne crée pas de discrimination alors qu’il est utile de préserver l’égal accès à la fonction publique que garantit le concours…

Le rapport L’Horty [lire sur AEF], qui sera présenté en le 12 septembre, porte sur ce sujet, mais il n’y a pas assez d’éléments dans ce rapport, qui ne contient qu’une seule recommandation, pour apporter des réponses. Il faudra du temps et être extrêmement prudent par rapport à de mauvaises idées qui pourraient apparaître avec de bonnes intentions.

Nous sommes également très attentifs à ce qui se passe pour les agents publics au-delà de 60 ans. La question de la gestion des âges n’est pas assez prise en compte. Il faut réfléchir à la fin de carrière des agents publics. Cela fait partie de nos souhaits et de nos revendications.

AEF : Nombre de détracteurs du statut de la fonction publique fustigent l’emploi à vie. L’emploi à vie existe-t-il réellement pour les fonctionnaires alors que le statut permet de les licencier ?

Luc Farré : Ce n’est pas le bon terme. Il y aura de moins en moins d’agents qui commenceront à 18 ans et qui partiront au terme de leur carrière, notamment du fait de l’élévation du niveau des diplômes. Aujourd’hui, nous assistons à l’allongement de la durée du travail en France avec des départs à la retraite de plus en plus tardifs. Or les statistiques montrent que cet allongement est tiré par la fonction publique, les personnels encore en emploi à plus de 60 ans étant essentiellement des agents publics. Il ne faut pas l’oublier.

Quand l’âge de départ à la retraite atteindra les 67 ans, la majorité des personnes encore en emploi seront assurément des agents publics avec tous les problèmes que cela va poser. D’où notre revendication de voir mieux prise en compte la gestion des âges, en particulier au-delà de 60 ans. Nous devons réfléchir collectivement à la fin de carrière des agents, voir par exemple si des dispositifs tels que la retraite progressive peuvent être adaptés à la fonction publique.

AEF : Comment la fonction publique doit-elle évoluer selon vous ?

Luc Farré : La question est : comment accompagner tout au long de la carrière les agents publics ? Toute la question est l’enjeu des missions. La société doit se mettre d’accord sur ce qu’elle attend des missions de la fonction publique, sans oublier que le service public concerne toute la population et qu’elle doit être au plus près des citoyens sur l’ensemble du territoire. Quand les services publics font défaut, la désespérance d’une partie de la population peut la conduire à se tourner vers les extrêmes. L’enjeu premier est de rendre le plus de services possible à l’ensemble de la population tout en conservant l’unité du pays.

(1) Hormis les récentes décisions prises en matière de sécurité à la suite des attentats de 2015 (lire sur AEF).

(2) Lors du rendez-vous salarial du 17 mars 2016, la ministre de la Fonction publique, Annick Girardin, a annoncé une revalorisation de la valeur du point d’indice, gelé depuis juillet 2010, de 1,2 % (+ 0,6 % au 1er juillet 2016 et + 0,6 % au 1er février 2017) (lire sur AEF).

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Retrouvez cette dépêche sur le site d'AEF : http://bit.ly/2cZls4Z 

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La Rédaction AEF Fonction publique

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