Initiative «entreprises responsables» : quel contre-projet choisir ?
Lors de la session de mars, le Parlement reprendra ses débats à propos de l’initiative « entreprises responsables ». Il devra aussi les conclure, afin de respecter les délais de traitement. Faire des pronostics sur l’issue de la session reste difficile, car deux contre-projets d’essence très différentes sont sur la table. Il vaut la peine de rappeler comment on en est arrivé à cette situation.
L’entreprise « entreprises responsables », systématiquement appelée « multinationales responsables » par ses propres auteurs pour d’évidentes raisons de communication, a été déposée en 2016. Elle demande à la Confédération de prendre des mesures contraignantes à l’égard des entreprises suisses actives à l’étranger en matière de respect des droits humains et de protection de l’environnement.
Les contraintes sont les suivantes : tout d’abord une clause de responsabilité civile. Ainsi, en cas de problème à l’étranger, une plainte pourrait être déposée en Suisse contre l’entreprise, pour des faits commis par un tiers, un de ses fournisseur par exemple. Ce dispositif représente clairement un risque énorme pour les entreprises, qui pourraient subir des plaintes sans avoir commis de faute ni soutenu des activités dommageables.
L’initiative prévoit aussi une obligation de diligence portant sur toute la chaîne d’approvisionnement. Une entreprise suisse devrait donc contrôler et faire rapport sur ses activités, celles de ses filiales et même de ses fournisseurs et des fournisseurs de ces derniers, ceci pour garantir le respect des droits humains (pas de travail des enfants par exemple) et la protection de l’environnement. En cas de plainte, il reviendrait à l’entreprise de prouver qu’elle a tout fait pour contrôler, dans certains cas, des dizaines ou centaines de fournisseurs. Autant dire qu’il serait sans doute parfois impossible d’apporter cette preuve. Et que la justice suisse devrait, en cas de plainte, instruire sur des événements à l’étranger.
En résumé, l’initiative « entreprises responsables » choisit la manière forte, et unique au monde d’ailleurs, pour une cause en soi légitime : respecter les droits humains, les travailleurs, l’environnement.
Face à ces exigences, le Parlement devra choisir. Le Conseil national a opposé à l’initiative un contre-projet qui maintient la clause de responsabilité et les devoirs de diligence en limitant la portée de ces derniers dans la chaîne de création de valeur. Les auteurs de l’initiative soutiennent cette version, précisément parce qu’elle reprend les éléments centraux de leur texte. Ils seraient prêts à retirer leur texte si cette version est approuvée.
Le Conseil des Etats, de son côté, a écarté la clause de responsabilité, jugé trop dangereuse pour les entreprises, et préféré à l’instar du Conseil fédéral, une voie harmonisée avec ce que font l’Union européenne et certains pays. Il propose un devoir de diligence - particulièrement étendu - dans deux domaines, celui du travail des enfants et des minerais dits minerais de conflits (or, tantale, tungstène, étain), car souvent leur exploitation participe au financement de guerres dans les pays concernés. Sur ces points, la solution des Etats est incisive, elle peut être renforcée à l’avenir, mais elle évite une solution suisse unique au monde.
Paru dans L'Agefi du 10 février 2020