Intelligence artificielle
L’entreprise est familière des paradoxes, ce qui la rend si intéressante à observer. Elle a ses manies, ses obsessions, ses inclinations particulières : productivité, qualité, performance figurent en bonne place avec, comme fil rouge, le temps, qui, selon qu’on l’étend ou qu’on le comprime, fait la différence. La recherche du modèle entrepreneurial optimisé occupe quantité de séminaires, de groupes de travail, d’échanges formels ou informels. Bref, cela consomme de l’intelligence – du « jus de cerveau », comme on dit.
Pourtant, l’intelligence ne paraît pas la chose du monde la plus utile ni la plus utilisée en entreprise. Il existe, bien sûr, quantité de définitions pour ce mot mais, pour aller vite, adoptons le sens neutre que lui confère son étymologie latine : intelligere signifie comprendre.
Prenons un exemple : il semblerait assez normal que ceux qui comprennent le plus vite ou le mieux soient amenés à jouer le rôle de locomotive de la transformation. Or, ce n’est pas le cas. Face au changement qui devrait dicter une forme d’urgence à agir, c’est la lenteur des palabres qui prime, c’est la « caresse sociale » de réunions tournant en rond qui est un marqueur de progrès… dans la réflexion. Vous m’objecterez que tout le monde ne comprend pas à la même vitesse, nous sommes d’accord. Mais il y a une autre raison : si l’on regarde du côté des grands singes, rien n’est meilleur pour faire chuter le stress et pour tisser du lien que le rituel de l’épouillage. Là où l’intelligence grille les étapes et provoque alentour un vent de défiance ou de panique, la socialisation de la « réunion » joue un rôle clé dans le fait de s’acclimater à la transformation, d’en apprivoiser les impacts, d’en apaiser la possible violence. Cette étape est capitale : elle a une valeur pour la survie du collectif - ou pour sa refondation.
Oublions le changement et regardons maintenant les structures. Quelle place occupe réellement l’intelligence dans la hiérarchie ? Il semble acquis que ceux qui nous gouvernent ont des qualités que nous n’avons pas, voient plus loin, en savent plus – sont plus «intelligents». Est-ce si sûr ? Quelques psychologues, se penchant sur la notion de pouvoir, ont relevé une propension particulière des dirigeants à être dans la zone grise qui s’étend entre le « normal » et le « pathologique ». Le délire de grandeur d’un « self » démesuré, assorti d’une vision instrumentale des autres, pourrait être autant la cause que la conséquence de leur position dans la hiérarchie. Ajoutons-y le « concours de circonstances » auquel on peut arriver premier, selon Coluche, ou la faveur de savoir plaire, et on pourra aisément reléguer l’intelligence au rang d’option, pas plus nécessaire que suffisante.
Enfin, non sans humour, une lettre d’information australienne suggérait récemment de faire passer, dans les entreprises, l’intelligence au second plan après… la santé. L’argumentaire à l’appui ne manquait ni de justesse ni de drôlerie. Pour faire simple, les cadres intelligents - et consciencieux - seraient des victimes toutes désignées pour le burn-out : crispés, flippés, frappés de défiance pour le monde entier, ils s’obligeraient à vivre pour leur boulot, les yeux rivés sur leur smartphone pour garder leur emprise sur leur poste – au mépris de toute autre réalité. Or, l’entreprise n’aurait cure de leur dévouement. Un beau jour, elle les liquiderait sans état d’âme au profit d’un nouveau venu qui oserait tout ou presque - c’est à ça qu’on "les" reconnaît, vous savez bien ! Une belle démonstration de l’inutilité foncière de l’intelligence, non ?
NR
Consulting engineer
6 ansIl y a deux aspects dans cet excellent article : l'effet de pouvoir et l'intelligence. Pour l'effet du pouvoir, je renverrais à ceci : http://www.sympatico.ca/actualites/decouvertes/sante/quel-effet-pouvoir-sur-etre-humain-1.2128944 Et pour l'intelligence : être intelligent en entreprise, est ce mettre ses facultés pour préserver son poste et son avenir face au pouvoir? Ou bien est ce rester soi même pour ' la raison sociale ' ? Ceux qui me connaissent connaissent mon choix.