« Inventer, c’est penser à côté »
Cette phrase d’Albert Einstein devrait nous servir régulièrement comme instrument de mesure de nos actions pour construire un autre modèle de société. Nous avons fait le constat que le modèle thermo-industriel était mortel pour l’espèce humaine. Oui, il est létal pour nous et non pour la Terre. La Vie sur terre a connu cinq extinctions majeures avant celle que nous avons provoquée et qui se déroule sous nos yeux. Défiler pour sauver la planète est le signe d’un orgueil anthropocentré presque dément. La Terre n’a absolument pas besoin de nous pour vivre.
L’espèce humaine peut disparaître et notre planète prendra un peu de temps pour s’en remettre puis inventera une nouvelle forme de vie, tout aussi complexe et interdépendante que celle que nous connaissons. Revenez dans 50 à 100 millions d’année nous dira-t-elle, il y aura autre chose. Tout comme 65 millions d’années après la disparition des dinosaures, il y a nous. Qu’est-ce que 50 ou 100 millions d’année pour une planète qui en a 5 milliards au compteur et presque autant devant elle? C’est un adulte bien portant de 35 ans qui vous dit « à l’année prochaine ». La présence de l’Homme sur Terre? A peine un éternuement, une fraction de seconde. Nous ne sommes pas en train de tenter de sauver la Terre mais bien de sauver notre peau, c’est à dire l’écosystème où notre espèce peut vivre, avec sa complexité, sa richesse et sa beauté.
Nous le faisons avec plus ou moins de conviction en tentant d’aménager le modèle existant. Nos variables d’ajustement que nous nommons révolution écologique, transition ou encore green tech se font à partir de l’existant. Nous employons ce qui détruit pour construire. Nous extrayons un peu plus de matière première avec un peu plus d’énergie fossile tout en émettant un peu plus de gaz à effet de serre pour, demain, ne plus le faire. Nous rêvons de voiture électrique ou à hydrogène en oubliant que les bulldozers des mines, les camions de transport, les navires qui sillonnent les mers, les usines qui fabriquent les outils de cette révolution accélèrent la destruction. Tout en maintenant, en attendant le miracle, le modèle existant qui poursuit inexorablement à ronger la biodiversité, accélérer le dérèglement climatique. Nous n’inventons rien, nous innovons avec la foi chevillée au corps que la technique nous sauvera alors que nous ne maîtrisons pas cette technique, individuellement. Vous savez réparer votre smartphone?
Un proverbe japonais dit « Lorsque tu as un un marteau, tous tes problèmes sont des clous ». Alors nous tapons avec des marteaux nouveaux, faits de nano-technologies, des marteaux connectés, fabriqués à l’autre bout du monde, des marteaux dont les matériaux ont fait deux fois le tour de la terre avant de devenir marteaux. Mais ils demeurent des marteaux pour enfoncer un cube dans un trou rond. Nous pensons lutter contre le dérèglement climatique alors qu’il est déjà là. Les 405 ppm mesurées demeureront dans l’atmosphère 10 000 ans et nous allons donc devoir composer avec. Il n’y a aucune lutte possible mais vivre avec et ne pas faire empirer les choses.
Inventer une autre société entraîne un changement de paradigme où les enjeux environnementaux sont à la fois le point de départ de la réflexion et la conséquence. C’est parce qu’initialement nous aurons limité nos émissions de CO2, parce que nous n’avons pas détruit la biodiversité restante en changeant de vie qu’au final, le climat ne se dérèglera pas plus, que la biodiversité renaîtra et notre vie sera. C’est en cela que c’est une révolution qui n’est qu’une boucle. Nous vivons sur une ligne parce que nous nous savons mortel avec un début et une fin, notre ligne de vie que nous voulons destin. Alors que tout n’est que cercle. De la rotondité de la terre à la vie. Le premier des biomimétismes ne serait-il pas de penser notre vie comme circulaire et non linéaire?
Philippe Bihouix a écrit un ouvrage important sur cet avenir à inventer, « l’âge des low tech ». Faire avec ce que nous avons sous la main, que nous pouvons réparer nous même ou avec l’aide d’une ou d’un voisin. Cela ne nécessite pas de se replier sur soi-même mais de penser le monde avec nos sens, le relier avec ce qui est sous nos yeux, dans nos mains. Mais c’est aussi prendre du temps, prendre son temps pour penser chacun de nos actes, ne pas nous laisser imposer un rythme qui sacrifie notre libre arbitre pour tenir dans un délai toujours plus court, celui de l’immédiat. Nous devons penser lentement et agir en prenant notre temps non pour changer nos modes vies actuels mais dans nos mode de vie à venir pour devenir riche.
Le temps est notre seule véritable richesse. Il est héritage par notre Histoire commune et il est ce que nous transmettons. Le temps ne s’achète pas, comment serait-il possible d’en gagner? Nous ne pouvons que prendre notre temps dans les temps à venir, ralentir, aimer, flâner. Inventer c’est aussi cela, s’inscrire dans un temps long où mon passé s’intègre aux passés des autres et où notre à venir à un avenir. Penser un espace unique, la Terre et un temps multiple alors qu’aujourd’hui nous vivons un espace multiple, courant le monde, dans un temps unique, l’instant, l’immédiat. Le premier pas n’est pas de découvrir une source d’énergie inépuisable et non polluante mais de faire avec ce que nous avons déjà avec lenteur et bienveillance.