L'âme soeur - saison 1

L'âme soeur - saison 1

Une fine brume fluide et rafraîchissante circulant autour de ses pensées et liquéfiant son âme, elle descendit lentement, pas à pas et prudemment, l’escalier un rien grinçant, avant de s’arrêter sous le porche de la grande bâtisse où le vent et quelques gouttes l’accueillirent.

Après quelques tâtonnements sans hâte, sa main trouva une cigarette et son amant rougeoyant afin de s’offrir une petite bouffée chaude de plaisir. Son regard se promena sur l’esplanade devant elle, vide de cette foule qui habituellement l’agitait et seulement peuplée d’arbres tristes et balayés par le vent. Elle remarqua les terrasses défaites et les brasseurs fermant boutique faute de chalands. Elle aurait voulu se donner le temps de reprendre vie auprès des autres, mais ils n’étaient plus là, rentrés dans leurs doux foyers aux promesses inégales.

En arrivant et avant de monter voir la dame, elle avait trouvé place au bord d’un de ces bistrots. En terrasse des rayons de soleil l’accompagnèrent un instant, tandis que le ciel virait au noir et promettait l’hiver. Elle s’était assise et avait sorti le carnet qui ne la quittait jamais, pour y glisser les quelques mots que son avance sur l’horaire lui permettait d’accueillir.

« Je me sens aujourd’hui comme une ode à la déraison et je laisse voguer mon âme et mon corps au gré des vents et des saisons. Sans but et sans questions, vous auriez pu me croiser sur un de nos beaux six continents, parlant mille langues, faisant corps avec ces gens, me fondant naturellement dans le décor local, des plus sordides bouges de Bogota aux plus belles neiges de l’Himalaya.

J’ai peur de ne pas savoir vivre dans la quiétude. Je n’ai pour l’heure su le faire que dans l’abandon du moment et dans l’intensité des sens. Je n’ai, à ce jour, su en profiter vraiment que dans la promesse de l’inconnu, dans la peur et le tourment, autant que dans l’éblouissement brutal et la fugace jouissance de l’instant.

Oui, j’ai voyagé sans retenue, car j’appartiens à ce monde. Je suis ce monde !!

Et j’ai ainsi fait naviguer ma beauté, inscrite en noir intense sur ma peau pâle, aux quatre coins de celui-ci, m’employant à me laisser aller, me laisser faire et triturer, à me laisser envahir par tous ces sons, ces mots qui m’ont interpelée mais que je ne comprenais pas, toutes ces couleurs que je souhaitais ramener chez moi et ces odeurs dont je ne me défais plus.

J’ai connu des hommes dont j’ai oublié le nom et des femmes dont je ne me souviens plus du gout. J’ai connu la faim, le luxe. J’ai croisé la beauté extrême et le mensonge. J’ai côtoyé le plus beau de ce qui régale nos rêves, mais aussi le plus laid de ce qui peuple nos cauchemars.

J’ai finalement vécu cinq vies misérables et dix autres splendides et mémorables en à peine quelques ans. »

Elle avait finalement monté le lourd escalier avec ces mots en tête, comme autant de bribes d’une vie restée dehors, qu’elle n’appréhendait plus que par l’écrit. Elle finissait par se demander si elle l’avait vraiment vécue ou si celle-ci n’avait d’existence que dans les divers carnets noircis et sagement rangés à l’abri des regards.

Depuis des années, chacune de ses phases de doute était immédiatement suivie d’une réminiscence de ces couleurs, de ces odeurs et de ces instants, qui faisait déborder tous ses sens. De la chaleur des vents marins, au froid des Andes, des caresses sur son corps au rouge sur ses joues, signes de l’infime distance qui sépare la tendresse d’un amant de la violence d’un homme. Alors elle savait… Elle savait que ces carnets étaient « elle » couchée sur du papier, dessinée par des mots à l’encre noire.

L’entretien avait duré 3 heures. La première partie avait consisté en un dialogue sans but, ni réserves. De sa voix douce et sans prendre de notes, la vielle femme l’avait questionnée sur tout et surtout écoutée. Elle fumait tout en la regardant tendrement et ses volutes de tabac emplissaient la pièce jusqu’à presque mi hauteur, dans un nuage que rien ne faisait vibrer et qui semblait accueillir toutes les pensées tristes ou les faux honneurs du passé.

Elle l’avait ainsi écouté parler de ses thèmes préférés : ses belles années, sa solitude actuelle, sa famille, son manque de tendresse et paradoxalement son manque de désir. Tout en parlant, elle s’en voulait un peu de reproduire devant une inconnue les mêmes monologues ressassés qu’elle pouvait avoir avec ses amies ou ses sœurs, des heures durant au téléphone. Ces échanges se finissaient inexorablement en pleurs et elle se mit instinctivement à surveiller l’arrivée de la première larme, tout en se reprochant intérieurement de ne pas tout dire à cette femme qui accueillait son désarroi sans ciller.

Petit à petit et à l’image du plafond nuageux qui s’abaissait, des silences prenaient place et même s’alanguissaient… Elle avait le sentiment d’avoir encore des mots à trouver, des ressentis à jeter en pâture à ce dialogue solitaire depuis quelques instants, mais ils disparaissaient… La source se tarissait… Sa voix manquait d’air et sa pensée de mots… Le dialogue était devenu monologue depuis près d’une heure. Elle finit par croiser délicatement ses mains sur ses genoux. Son regard se baissa et se mit à admirer le parquet verni, avant de remonter vers la vieille dame et ses yeux étonnamment pétillants postés juste à l’orée d’un nuage noir et désormais menaçant.

Après cet ultime moment de silence, la vieille dame leva un doigt fatigué et dit « Solitude… C’est sur mot que nous allons travailler ».

Sur la base d’un cercle tracé sur papier calque et orné en son pourtour de symboles inconnus, elle commença par tracer en silence des segments colorés. S’arrêtant pour réfléchir et murmurer, elle ouvrait parfois un grand livre aux feuilles bibliques, suivait du doigt des lignes couvertes de lettres et de chiffres incompréhensibles en petits tas serrés et puis s’appliquait à tracer un nouveau trait sur son œuvre.

Tandis que la vieille femme travaillait, elle ne dit rien et resta là, figée, fatiguée, vidée de tous ces mots qui lui avaient échappé et qu’elle tentait de remettre dans l’ordre, pour mieux comprendre ou se justifier. Solitude, oui… Malgré qu’ils soient quatre à table tous les soirs et Week-Ends, elle vivait sa vie dans l’effroi quotidien d’une terrible solitude. Elle se réveillait le matin, ornée de rêves merveilleux et se retrouvait immédiatement coincée dans sa vraie vie, dans ce rythme qui ne laissait pas son cœur battre au rythme voulu, ni ses pensées s’évader.

« Peut-être est-ce normal que je sois fatiguée ou que j’ai juste cette envie de m’enrouler un peu plus dans cette laine douce et chaude, de me replier sur moi-même et de m’abandonner encore un instant à la chaleur de mon propre corps ? » Paroles de carnet

Elle avait disparu de sa propre vie.

Ses sens, qu’elle savait si aiguisés et vivaces, s’étaient endormis sous une épaisse nasse de brume et sous une série de dictats extérieurs qui lui créaient un nouveau monde où tout était réglé comme du papier à musique, monotone et sans faille. Elle regrettait les failles, mais se souvenait d’avoir elle-même décidé de quitter sa vie tourmentée pour se fondre dans la masse et profiter de ce bonheur commun que promettait les enfants, un mari bienveillant et les dimanches en famille…

Comme si elle l’avait entendue, la vielle femme avait relevé la tête avec un sourire. Puis sans un mot, elle avait pris une nouvelle feuille de calque et recommencé à tirer des traits colorés et l’avait à nouveau laissée seule avec ses pensées.

Solitude et ennui… Plus rien ne la faisait vibrer. Sa maison manquait de couleurs et d’odeurs, malgré qu’elle l’ait garnie de nouveaux meubles, de tableaux improbables et même peint un pan de mur entier en rouge. La mélodie intrusive des tambours et des flutes de pan lui manquait au réveil et c’était dorénavant avec le « non bruit » du dehors, tant vanté par le conseiller immobilier, qu’elle démarrait ses journées. Mais surtout, il lui manquait le toucher et le gout d’un homme avant et après l’amour. Pas tant l’acte lui-même, que le désir provoqué par cette masse musculaire qui se collait contre elle et reproduisait son corps enroulé. Pas tant la débauche d’énergie que leurs deux corps apaisés, amis, s’endormant presque fumants, entremêlés, comme s’ils n’étaient plus qu’un.

« Descendant de la montagne, se frottant à ses amis de voyage, d’un caillou rond et lisse, il était délicatement devenu un tout petit grain. De déferlantes en ressacs, elle imaginait ses doigts sur sa peau comme autant de ces petits grains de sable, glissant et roulant les uns sur les autres, au gré des vagues, des courants et des accalmies, avec cette tendresse lancinante ou cette rudesse passagère, cet oubli de soi et cet abandon à l’océan plus grand ». Paroles de carnet… Carnets qu’elle chérissait par-dessus tout, au sein duquel son corps s’éveillait vraiment à tous ses émois. Ses pensées se renfrognèrent en pensant à la dernière main aillant parcouru son corps. Depuis des années, toutes étaient froides et sans désir. Ce n’était pas que de sa faute à lui, mais ils ne faisaient plus l’amour que lorsque leurs deux solitudes sensitives se rejoignaient et que, dans le noir, leurs corps abandonnés de tous se touchaient au bon moment. Leur lit n’était plus l’hôtel de la passion, du désir brulant de l’autre, mais celui des ravages du manque des autres et des douleurs ensevelies.

Une nouvelle fois, la vieille dame l’extirpa de ses rêves en lui étalant sous le nez les deux calques alignés, puis superposés.

Sous le fronton de la bâtisse elle regarda le ciel devenu noir et elle dû relever son col face au vent froid et parfois violent. Ses pas prirent la direction de l’Ouest, de l’océan d’où le vent venait. Elle ne cherchait rien, ni personne en particulier. Elle sourit et se laissa aller vers le bord de mer, en goutant déjà le bruit et le fracas des vagues sur la digue dans cette atmosphère d’embruns tourbillonnants qu’elle affectionnait tant. De ci delà, des petites flaques, bulles de mémoire de la dernière averse, qu’elle s’efforçait d’éviter, parsemaient son chemin, mais seuls les mots de la vieille femme résonnaient en elle, juste bousculés par le son de ces souliers frappant le béton froid du trottoir.

« Personne ne naît seul. Nous avons tous une âme sœur quelque part, qui nous cherche aussi. Dans ton cas, ma chère enfant, cette âme est née avec son soleil sur ta lune. Ce qui est déjà un signe en soi… Mais alors que tu venais au monde quelques mois plus tard, tu t’es inscrite avec le tien sur la sienne et ta lune luisant sur son soleil... Il s’agit là d’une communion très rare. Reviens me voir quand tu auras trouvé cette âme… »

Jean-Philippe GABILLARD

Directeur Avenir Automobiles Audi Angers-Beaucouzé

5 ans

Captivant ! Hâte de lire la suite ! Merci 😃

Françoise Staelens

Conseiller Feng Shui et Coach

5 ans

Magnifique j'adore !. Merci et bravo Carlos 😊 Vivement la suite😜

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