La bénédiction du confinement?
Je suis installée en France depuis l’année 2010. Dix ans déjà. Les dix années avant cela, je les ai vécues hors de France, mieux hors d’Europe. Sans revenir dans notre pays, ou très peu. Plus les années passent, plus je chéris cette opportunité immense qui m’a été donnée de me dépouiller de tous les carcans de mon « moi » social, en vivant, longtemps, et loin. Où ? En Malaisie pendant quatre ans, en Russie 6 mois, en Ukraine, 6 mois, puis aux Philippines pendant cinq ans. Je suis rentrée à 32 ans, ma vie de jeune adulte reconstruite à la main. Quelle chance. J’ai toujours eu l’intime impression d’être sortie d’un bocal, pour plonger dans l’océan, ce qui m’a permis d’observer ce bocal depuis l’extérieur.
Cette année de Covid et de crise sanitaire, a renforcé ma conviction que ce périple hors de mon lieu de naissance, et de mon enfance, a été salutaire. Il m’a offert ce que très peu de gens ont la chance de vivre : le choix. Choix de mon lieu de vie, de mon métier, du sens de ma vie, de ma personnalité, de ce que je souhaitais devenir, de surtout, de ma mission de vie. Partir pour revenir, quelle chance.
En rentrant en France, après cette mise à distance désirée, longue et profonde car je ne suis rentrée que quelques fois pendant dix ans, j’ai été abasourdie par le manque de sens. Par la dureté de la vie quotidienne, par la sécheresse des cœurs. Je n’abuse pas le choix de mes mots. Revenant de pays où les gens se battaient pour vivre jusqu’à la fin de la journée pour certains, où les enfants ne vont pas toujours à l’école, où parfois avoir une paire de chaussure est un luxe, où mourir d’un cancer à 50 ans est normal car personne n’a d’assurance, j’ai été déstabilisée par l’immense confort matériel des Français, et des Européens en général, et l’absence de sentiment de bonheur, malgré tout. Lorsque je suis rentrée, je ne possédais rien, et je possède toujours très peu. C’est d’ailleurs un vœu pieux, la sobriété, qui m’aide toujours à rester ancrée dans la réalité, et dans un quotidien simple, dénué de superflu, de contraintes, favorisant ma réflexion, ma méditation et ma créativité. Lorsque je me sens captive de ces maux que nous ressentons tous, la « sinistrose » ambiante notamment, je me replonge dans mes moments de grands dénuement matériel, d’immense simplicité, et de joie profonde. Je revois ces enfants qui se baignent dans les eaux du lac proche de Tagaitai aux Philippines, ces enfants qui se jettent sur des croissants dans une hutte dans le nord du Burkina Faso, de cette femme se nourrissant uniquement de barres de chocolat à Donetsk, de ces femmes âgées allant travaillant dans les usines à Dniepropetrovsk, ou encore de mes amis Hindous, Malais, Chinois à Kuala Lumpur partageant le même « roti canai » tôt le matin sous le soleil déjà chaud. Je revois enfin, cette Yaya, aux Philippines, qui après avoir traversé tout le pays en bateau pour trouver un travail, arrivait le matin souriante, car elle était en vie. Dieu merci.
Ce sont ces moments précieux, ceux du monde qui vibre encore là-bas, où peut-être je ne retournerai jamais, qui me permettent de garder le sourire tout le temps, et la foi dans le fait que tant que nous avons nos deux mains, nos deux jambes et le souffle pour respirer, tout va bien.
La France, l’Europe, le monde entier vivent des moments difficiles, cependant, il est essentiel de se rappeler que la joie se trouve dans l’instant présent. Dans la certitude que seul cet instant est réel, qu’hier n’existe plus et que demain n’a pas tant d’importance que cela. Surtout, je crois qu’il est vital de cesser de se projeter dans la consommation, dans les réseaux sociaux, la reconnaissance à tout prix, la course permanente à toujours plus, à l’avoir. J’aimerais tant que cette crise soit enfin l’opportunité pour grandir un petit peu à l’intérieur de soi, pour changer de modèle, pour chercher à tout prix chaque jour à s’élever, ne plus abimer les autres, ne plus s’abimer soi, ne plus s’agiter dans tous les sens, ne plus se croire si important. Aucun de nous ne l’est. Seul l’instant présent est important, c’est celui qui permet d’agir. Et de se détacher de cet égo qui nous détruit tous à petit feu. Les confinements sont des bénédictions. Que ce soit si difficile à vivre, en dit long sur notre société.