La cession du droit d'usage monétaire est-elle plus économique, sociale et écologique que le crédit bancaire ?
Circuit d'échange monétaire basé sur un graphe étoilé

La cession du droit d'usage monétaire est-elle plus économique, sociale et écologique que le crédit bancaire ?

L'observation nous montre que le prêt de valeur mobilière entraîne systématiquement un transfert de propriété, alors que le prêt de valeur immobilière ne procure qu'un droit d'usage.

Une telle différence de traitement est justifiée par le fait que la monnaie est considérée juridiquement comme un bien fongible (consomptible) dont la propriété individuelle s'aliène dès lors qu'on en fait usage. Une telle définition date du droit romain, c'est à dire d'une époque où les monnaies étaient essentiellement matérielles et métalliques. En tant que bien fongible, la monnaie est traitée comme une denrée alimentaire.

Il ne viendrait à l'idée de personne que prêter une maison ou une voiture soit équivalent à en transférer la pleine propriété. Or pour une raison curieuse, tous les prêts de valeurs mobilières sont traités comme un transfert de propriété. Sans doute est-ce dû au fait que la monnaie est toujours considérée comme une valeur d'échange et jamais comme une valeur d'usage. Un tel traitement prévaut pour toutes les valeurs mobilières sans exception : au niveau juridique, prêter de l'argent ou prêter des titres équivaut pour un prêteur à céder la pleine propriété à un emprunteur pour une durée déterminée au contrat.

Que se passerait-il si on considérait que le prêt de monnaie n'entraîne pas le transfert de sa propriété mais seulement la création d'un droit d'usage ? Cette interprétation semble plus conforme à la nature réelle d'une opération de prêt qui est de conférer un droit d'usage temporaire de la monnaie. Nous pourrions alors traiter la monnaie comme une valeur immobilisée au bilan et plus précisément comme une immobilisation incorporelle. Cela aurait alors le mérite de lui conférer le statut de ressource permanente de l’entreprise.

Une immobilisation incorporelle

Il y aurait de nombreux avantages économiques, financiers, sociaux et écologiques à traiter le prêt monétaire comme un simple droit à l'usage et au revenu exclusif de toute appropriation. En effet, lorsqu'on renonce à transférer la nue-propriété (abusus) de la monnaie pour ne transférer que le droit d'usage (usus) et le droit au revenu (fructus), donc lorsqu'on dissocie l'usage de la propriété, alors on constate que :

-        L'abusus (droit d'attribution) est limité à un seul individu. Il est exclusif et fini

-        L'usus (droit d'usage) est ouvert à une infinité d'individus. Il est inclusif et infini

-        Le fructus (droit au revenu) est ouvert à une infinité d'individus. Il est inclusif et infini

Dès lors, pour constituer un commun monétaire et financier, il suffirait d'immobiliser une certaine somme, par exemple 1.000 euros, en accordant collectivement à chaque acteur un droit à l'usage et au revenu de cette somme. 1.000 euros. Cela serait suffisant dans la mesure où chacun pourrait utiliser cette somme de manière récurrente autant de fois qu'il le veut, sous réserve de faire des échanges équilibrés avec ses pairs. Puisque tout système de calcul monétaire est basé sur une unité de compte qui lui confère les propriétés d'un système de calcul linéaire, proportionnel et autorisant le passage à l'échelle, il est essentiel de rappeler que 1.000 euros utilisés 500 fois équivaut à 5.000.000 euros échangés 1 fois. Une monnaie que l'on peut utiliser autant de fois qu'on veut avec autant de personnes qu'on veut est une monnaie non consommable et recyclable. Une monnaie qui ne peut être utilisée qu'une seule fois que par une seule personne est une monnaie consommable et non recyclable. Ce qui rend possible le passage d’un usage extensif (marché) à un usage intensif (société) est l’organisation temporelle des échanges des agents au moyen d’un instrument d’écriture monétaire que nous appelons un graphe. Au travers de la monnaie recyclable se dessine le cycle des échanges que l’on représente par un graphe qui permet de programmer les mouvements de la valeur et d’équilibrer les échanges de valeurs en communiquant à toutes les personnes une représentation collective du réseau des relations chiffrées.

Dans quelles situations pourrait-on ou devrait-on avoir recours à un commun monétaire ?

-        Pendant la crise des subprimes aux Etats-Unis, les villes américaines n’avaient plus aucune liquidité et ne pouvaient plus financer les services publics fondamentaux faute de cash. La mise en commun d’un capital financier et la distribution de droits d’usages monétaires équivalents auraient permis à une multitude d’acteurs de retrouver une capacité d’échange basée sur un engagement mutuel et mesurable par l’exercice d’un droit de créance sur des produits et services offerts à la communauté.

-        Pendant les périodes de forte inflation et d’instabilité monétaire en Allemagne et en Argentine, la mise en commun d’une ressource dotée d’une valeur finie aurait permis aux agents d’échanger sur la base d’une valeur collectivement définie, fixe, égale, stable, afin de retrouver la capacité de doter leurs produits et services d’un prix qui soit acceptable et compréhensible pas toute la communauté. Cette ressource commune immobilisée aurait fonctionné comme une unité de compte commune et un instrument de financement pour tous les produits et services que la communauté désire échanger.

-        Pendant les périodes de fort taux de chômage lié à une augmentation trop important des taux d’intérêts par les banques centrales, la constitution d’un commun dotant des entreprises d’un droit de créance mutuel et sans taux d’intérêt sur leurs productions aurait conféré à ces entreprises une nouvelle capacité d’échange qui aurait dynamisé leurs marchés intérieurs sans pour autant augmenter leurs niveaux d’endettement dans la mesure où ces droits de créances sont réciproques. 

-        Pendant les périodes de pénurie de ressources liés à des crises politiques ou économiques, une approche basée sur l’appropriation et sur le seul équilibre de l’offre et de la demande du marché conduira inévitablement à une spéculation sur les prix permettant d’attribuer la ressource à celui qui la paie le plus cher et à en déposséder tous ceux qui ne pourront pas la payer. Mais si au lieu de cela, on fait de cette ressource un commun, alors son usage sera garanti pour tous et les limites d’extensité liée à une approche propriétaire cèderont à l’infini de l’intensité liée à une approche utilisateur

Dans des situations très chaotiques et de forte instabilité financière, économique ou monétaire, la fonction première d’un commun est de remettre de l’ordre en proposant une organisation autonome des échanges.

Nous pouvons représenter mathématiquement les opérations de mise en commun d’une valeur monétaire comme des opérations de passage à l’échelle dans lesquelles la monnaie ne vaut que la valeur de son exposant qui représente le cycle d’échange que cette valeur monétaire permet d’organiser. Pour comprendre en quoi consiste la valeur de cette monnaie cyclique, nous allons fournir un exemple sous forme d’histoire.

Imaginons un grand père qui veut aider sa petite fille à faire ses études. Il décide de lui transmettre 100 ² euros. Si l'on demande à un gestionnaire de patrimoine quelle est la signification de cette notation monétaire étrange, il dira soit que le grand père veut verser un revenu de 100 euros au moyen de 100 versements périodiques, soit que le grand père veut verser un capital de 100*100 euros en une seule fois à une date déterminée. Dans tous les cas, il sera nécessaire que le grand père dispose de la somme de 10.000 euros afin de pouvoir faire face à ses engagements financiers à terme. Cette manière de voir les choses relève de ce que nous appelons une analyse quantitative. C'est l'interprétation dominante de nos jours et on la retrouve dans toute la pensée économique. Toutefois, si une personne décide de donner 100 ² euros à une autre personne, il ne faut pas nécessairement penser qu'il s'agit d'une somme d'argent (quantité) de 10.000 euros. Imaginons en effet qu'un même billet de 100 euros (avec la marque R7E453Z) soit échangé de façon circulaire entre le grand père, la fille, et d'autres acteurs sur une durée déterminée. Dans ce cas, 100 ² euros pourrait être considéré comme l'écriture algébrique du cycle d'échange temporaire. Cela indiquerait en effet qu'il s'agit de 100 cycles de 100 euros, auquel cas il suffit de générer 100 cycles de 100 euros pour produire une valeur d'usage / d'attribution / d'échange équivalente à une quantité d'argent de 10.000 euros. La seule différence (et elle est de taille !) c'est que pour générer cette quantité d'argent de 10.000 euros, je n'ai pas besoin de disposer de 10.000 euros, mais seulement de 100 euros que je fais tourner 100 fois entre les deux personnes au minimum. Cette manière de voir les choses relève de ce que nous appelons l'analyse qualitative. En effet, elle ne cherche plus à corréler la production d'une valeur à une quantité d'argent comme dans le capitalisme, mais à la structure relationnelle qui va permettre aux acteurs de générer de la valeur indépendamment des quantités d'argent dont ils disposent.

Une ressource permanente

A quoi sert un commun monétaire et financier ?

Selon nous, un commun monétaire et financier a pour fonction de relier entre elles les activités humaines récurrentes qui génèrent des échanges ayant un certain niveau de récurrence et de donc de prédictibilité. Cela correspond à la satisfaction des besoins de base qui ont dans leur ensemble un caractère cyclique mais également de tous les autres besoins dès lors que l’on peut les représenter sous la forme d’un cycle. La dimension rythmique, dynamique des activités humaines pourrait donc bien être à l’origine d’un nouveau modèle d’organisation générale conférant à la monnaie une fonction de représentation symbolique voire musicale des échanges. Avant même de représenter la chaîne des échanges sous la forme d’un cycle spatial (circuit), il convient donc de se représenter la chaine des besoins sous la forme d’un cycle temporel (cadran) pouvant être journalier, hebdomadaire, mensuel, trimestriel, annuel, saisonnier, conjoncturel, ou structurel, car cela permettra de mieux comprendre les interdépendances entre les activités qui président à leur satisfaction.

De cette approche découle une règle très importante : le besoin en liquidité d’un système d’échange est inversement proportionnel à son degré d’organisation. Dans un marché basé sur l’isolement des agents économiques et l’ordre spontané des prix de transaction issus des rapports entre l’offre et la demande, les opérations de financement de la production et des échanges telles que le crédit nécessitent une quantité très importante de monnaie impermanente. A l’inverse, dans une organisation basée sur la coordination des agents économiques au moyen de la règle collective d’équilibre comptable des créances et des dettes et de la programmation de leurs échanges au sein d’un graphe monétaire, les opérations de financement des échanges et de la production telles que la constitution d’un commun vont nécessiter une quantité très faible de monnaie permanente. Ainsi le besoin en cash, en liquidité, en capital monétaire d’un système d’échange et de production est inversement proportionnel au degré d’organisation et au niveau d’information de ce système. Si nous disons que le marché est un système émergent qui possède un niveau d’entropie élevé, c’est parce que contrairement à l’organisation et à l’échange en réseau, le marché possède des règles qui le rendent peu programmable.

Imaginons un circuit simplifié de crédit mutuel dans lequel 300 entreprises s'accordent mutuellement le droit d'échanger annuellement une valeur monétaire égale à 30% de leur chiffre d'affaires ou bien à 30% de leurs valeurs immobilisées au bilan. Cela signifie que la mise en commun d’un droit d’usage portant sur une fraction de la valeur du chiffre d’affaires ou des immobilisations a pour conséquence leur monétisation. Dans l'hypothèse où ces entreprises sont des PME qui réalisent en moyenne 100 KE de chiffre d'affaires par an, cela signifie que chacune d'entre elles va disposer de 30 KE de capacité d'échange monétaire avec ses pairs. Il convient toutefois de remarquer que dans une telle hypothèse, nous ne sommes pas dans la constitution d’un commun monétaire et financier, mais plutôt dans une monétisation d’actifs de même nature permettant de constituer une sorte de marché commun spécialisé. Il s’agit là d’un mode de financement alternatif aux crédits bancaires et aux communs monétaires dans lequel ce sont les actifs matériels et immatériels des entreprises qui servent de support et de garantie pour développer un système de créances mutuelles d’un montant de 30 KE. Dans l'hypothèse où chaque entreprise utiliserait la totalité de sa créance de 30 KE sur les autres entreprises, cela signifierait que le volume de transaction et donc la richesse créée s'élèverait au total à 9 millions d'euros. Au final on voit que la de création d’une capacité d’échange monétaire supplémentaire des agents provient toujours de la monétisation des créances, que cette monétisation se réalise sur le poste « créance clients » comme pour les banques ou sur le poste « créance d’actifs immobilisés ou circulants » comme pour les entreprises, ou sur tout autre poste comptable qui serait susceptible de générer une créance certaine.

Imaginons à présent une association ou un incubateur qui cherche à développer les échanges business to business à l’intérieur d’un groupe de 300 entreprises régionales et qui cherche à mettre en place un mécanisme financier d’incitation à la fertilisation croisée de ces 300 entreprises régionales. Cet incubateur immobilise comptablement un capital financier de 30.000 euros auquel il confère le statut de commun monétaire et financier en constituant une convention de quasi-usufruit collectif et simultané d’une durée de 1 an renouvelable au bénéfice des 300 entreprises auxquelles il assigne un objectif minimal de 1 million d’euros et un objectif maximal de 9 millions d’euros de volume d’échange par exercice annuel. Cela signifie que le quasi-usufruit sur le capital de 30.000 euros est en réalité un graphe d’échange circulaire équilibré comptablement pour une valeur totale maximale de 9 millions d’euros entre 300 entreprises. Cela revient à dire que chaque entreprise va utiliser un certain nombre de fois tout ou partie du capital transactionnel qui est mis à sa disposition afin de développer une valeur collective d’échange de 9 millions d’euros. La mise en commun du capital de 30.000 euros associé à un objectif d’échange collectif quantifié en volume d’échange temporel à durée déterminée de 9 millions d’euros a pour effet de créer un capital transactionnel qui démultiplie l’usage du capital monétaire qui a été mis en commun. Quand on compare le partage d’un droit d’usage monétaire à une solution classique de crédit, une différence énorme apparaît : si tous ces échanges se réalisent sur la base d'un droit d'usage partagé de 30.000 euros, cela signifie qu'il faudra mobiliser 30.000 euros pour générer 9 millions d'euros. Si tous ces échanges se réalisent sur la base d'un crédit fait par une banque qui va transférer temporairement la propriété des fonds à chaque entreprise, cela signifie qu'il faudra mobiliser 9 millions d'euros pour générer 9 millions d'euros. Et nous ne comptons même pas le temps passé à quémander un crédit, le risque de refus du comité de crédit et le coût du taux d'intérêt qui frappe la production comme un impôt des banques... Or cette différence, on ne la doit qu'à une seule chose : le choix juridique de traiter la monnaie comme une cession du droit d'usage temporaire et pas comme un transfert temporaire du droit de propriété. Il en découle une différence importante dans l’intensité d’usage et dans la gestion collective de la ressource.

Comment peut-on créer un droit d’usage illimité sur une quantité limitée de bien ? Autrement dit, dans quelle mesure peut-on privilégier l’intensité de l’utilisation sur l’extensité de l’appropriation dans la gestion collective des ressources ? La réponse selon nous se trouve dans la notion de compte relié, spécifique à la gestion des communs. Tant que l’on reste dans l’économie de marché, les comptes sont séparés et l’appréhension de la valeur ne peut se réaliser concrètement que sur le mode de l’appropriation des ressources. Dans le mode de fonctionnement des comptes séparés, les agents vont soit chercher à maximiser leurs créances propres soit chercher à maximiser leurs dettes propres, ce qui signifie un déséquilibre collectif. Mais quand on rentre dans le domaine de l’économie coopérative et mutualiste, la gestion des comptes est reliée : cela tient à l’existence d’une créance de restitution qui va inciter les agents à équilibrer collectivement leurs balances des paiements, soit en maximisant leurs créances et leurs dettes de façon équilibrée (on parle alors de coopération), soit en minimisant collectivement leurs créances et leurs dettes de façon équilibrée (on parlera alors de mutualisation). La démarche de constitution du commun s’accorde donc avec la fourniture d’une prestation monétaire immatérielle (ou incorporelle ou intangible) dans laquelle l’information monétaire a plus d’importance que l’objet monétaire au sens physique du terme, ce qui autorise à développer un droit d’usage monétaire illimité que l’on va valoriser en lui conférant une programmation temporelle et des règles de gestion relationnelle.

Un droit d'usage temporaire

Comme un prêt se définit comme la mise en disposition d'un bien qu'il faut ensuite rendre au propriétaire réel, on peut l'analyser comme un droit d'usage temporaire. Contrairement à la vente qui consiste en un transfert définitif de propriété, le prêt est une sorte de démembrement temporaire de la propriété dont la variable fondamentale est le temps (ou la gestion temporelle du remboursement). Or l'expérience nous montre que l'on ne peut valoriser que ce qui fait l'objet d'une cession temporaire (en lui donnant une valeur corrélée au temps) car dès lors que l'on est dans une cession définitive, le principe de valorisation dynamique disparaît au profit de la constitution d'un droit acquis. Il est donc beaucoup plus facile de valoriser un bien ou un service utilisé auquel on donne une coordonnée temporelle (une durée) qu’un bien ou un service approprié qui n’en a pas.

Le prêt est une opération centrale dans le monde de la finance. Il est intéressant d'observer que tout le processus de création et de destruction monétaire réalisé par les banques n'a comme seul but la réalisation d'opérations de crédit (ou prêt d'argent) dans lesquelles le taux d'intérêt rémunère le droit d'usage ou la mise en disposition de l'argent. On aurait pu imaginer un taux de performance qui rémunère non pas le droit d'usage mais le droit au revenu généré par la mise à disposition des fonds et qui soit proportionnel à celui-ci, comme cela est le cas dans la finance participative de type islamique qui se fonde sur le partage des gains et des pertes. D'ailleurs si le prêt à usage gratuit d'argent était mis en œuvre dans la finance islamique, sa démonstration mathématique mettrait en lumière la sagesse de la loi divine dans la mesure où le principe de gratuité ne signifie pas l’absence de rémunération mais l’absence de charge fixe d’intérêt indépendante d’un résultat.

Aujourd'hui, nous sommes obligés de créer et d'injecter dans l'économie d'immenses masses monétaires parce que nous continuons de croire qu'un prêt d'argent entraîne nécessairement le transfert de la pleine propriété de la valeur. Or si nous traitions le prêt pour ce qu'il est réellement, à savoir un simple transfert de l'usage temporaire de la valeur, alors nous pourrions traiter cette opération par le biais d'une immobilisation comptable portant sur une petite quantité de valeur à laquelle nous donnerions une énorme intensité d’usage. Comme le droit d'usage porte essentiellement sur un actif incorporel (la monnaie) autrement dit sur une quantité de valeur déterminée, alors le fait de traiter le prêt au travers de cette immobilisation incorporelle permettrait de conférer un droit d'usage illimité à un nombre illimité de personnes. Un tel traitement de la monnaie comme actif informationnel (que l'on utilise) et pas comme actif matériel (que l'on thésaurise) serait libérateur.

Les bénéfices d'un tel choix seraient multiples et auraient pour effet :

-        D'augmenter exponentiellement le rendement du capital monétaire qui est employé beaucoup plus intensément en rendant chaque personne co-utilisatrice d'une quantité limitée de biens ouverte à un usage collectif illimité et non limitatif de la capacité d’utilisation dans le temps.

-        De supprimer les taux d'intérêts liés à la quantité d'argent qui est utilisé pour les remplacer par des taux de performances liés à la quantité de revenu que l'on produit par l'usage de l'argent.

-        D'augmenter la solvabilité des acteurs par la mise en disposition de valeurs monétaires plus liquides et moins difficiles à rembourser car ne supportant plus des coûts de création inutiles.

-        De créer un droit d'accès bien plus égalitaire et non limité par des motifs de détention de capital en rémunérant ce droit d'usage uniquement sur la performance future des opérations de production économique ce qui permettrait de reconnecter la finance au monde réel.

-        De faire de chaque unité de compte monétaire une banque (ou une réserve infinie de valeur) permettant de distribuer contractuellement des droits d'usage illimités aux agents économiques.

-        De proposer un schéma concret et réalisable de décroissance des stocks monétaires tout en augmentant la performance de ces stocks ce qui est vertueux sur le plan écologique et énergétique.

Suffirait-il de se comporter comme des utilisateurs et des transmetteurs de valeurs plutôt que comme des propriétaires et des consommateurs de valeurs pour voir tous nos problèmes insolubles disparaître comme par enchantement ? La question est désormais posée et personne ne pourra échapper aux impacts de sa réponse.

Une accession sans appropriation

Un constat lucide est que la transformation du rapport au monétaire concerne autant les acteurs de la fiatmonnaie que ceux de la cryptomonnaie qui ont tous en commun de ne traiter la monnaie que sur le mode de l'accumulation capitalistique avec tous les effets désastreux que l'on connaît : règne du quantitativisme, hyperconcentration des richesses, gabegie énergétique, tensions sociales liées aux inégalités dans l'accès à la monnaie, défaillances des balances des paiements, économie non régulée où ne prédomine que la loi du plus fort, grosso modo c'est un concours où celui qui dispose du plus gros phallus monétaire qui lui permet de pisser sa liquidité le plus loin l'emporte. Tout ceci s'enracine dans une conception fausse de la nature de la monnaie et des opérations de prêt qui ne se réalisent actuellement que par un transfert de propriété et aboutissent à une perte de rendement colossale du simple fait que la finance n'est pas inclusive de la totalité des usages mais qu'elle est exclusive en ne reconnaissant que la notion de propriété privative et privatisante.

Sur le plan de l'analyse physique, l'objectif est de passer d'opérations de prêts irréversibles et peu liquides avec beaucoup d'incidents de paiement (car basées sur le transfert temporaire de la propriété qui nécessite la création de grandes masses monétaires et une analyse prédictive du niveau de risque propre à chaque emprunteur) à des opérations de prêt qui traitent la monnaie comme une immobilisation incorporelle et qui ne transfèrent que l'usage de l'argent, ce qui permet d'augmenter exponentiellement la réversibilité et donc la liquidité de la valeur tout en qualifiant de façon plus précise et réaliste l'opération de prêt au niveau comptable. Paradoxalement, c'est en traitant la monnaie comme une immobilisation corporelle et non incorporelle (en gros comme un bien immobilier du domaine public) que l'on arrivera le mieux à expliquer et à faire comprendre que le droit d'usage monétaire est un droit inépuisable qui conserve la disponibilité de la monnaie, contrairement au droit de propriété qui se perd au premier usage et fait perdre la disponibilité. Ici la leçon de droit se confond avec l'observation du fonctionnement concret des opérations économiques et financières.

Autrement dit : le partage de la propriété de la monnaie a pour effet une destruction juridique du capital monétaire par transfert de la propriété du capital monétaire d’origine aux différents bénéficiaires qui vont le consommer. Par contre, le partage du droit d’usage monétaire sur un capital financier immobilisé a pour effet la préservation de ce capital et une démultiplication de la capacité d’échange des personnes attributaires du droit d’usage. Bien évidemment cela est vrai à la condition que l’on respecte le principe de la créance de restitution qui implique que le graphe des échanges entre tous les utilisateurs du capital monétaire forme un cycle général qui se clôture transitivement. C’est parce que tous les agents s’engagent à respecter l’équilibre de la balance des paiements individuelle et collective que leur monnaie devient une ressource informationnelle permanente, programmable, et utilisable sans limite pour organiser leurs échanges et leurs productions de valeurs. A l’inverse, lorsque les agents d’un marché produisent des échanges non organisés collectivement qui ne se réfèrent qu’à l’équilibre spontané de l’offre et de la demande sur les prix, leur monnaie devient consommable puisqu’ils la perdent systématiquement par le premier usage qui équivaut à un transfert de propriété.

On peut donc en conclure que l'accessibilité de la monnaie est mille fois plus importante que la propriété de la monnaie, car dans tous les cas ce que les agents économiques recherchent est la faculté de disposer de la quantité de monnaie suffisante pour réaliser leurs opérations (liquidité et solvabilité), indépendamment du fait de savoir s'ils sont propriétaires ou pas de cette monnaie. Il subsiste bien évidemment une différence entre le propriétaire et le non propriétaire des stocks financiers, dans la mesure où le premier a une position de créancier et le second a généralement une position de débiteur. Toutefois cette situation repose sur le présupposé que la monnaie prêtée entraîne le transfert de propriété. Dès lors que cette idée matérialiste (voire même consumériste) est abandonnée et que l'on traite comptablement le prêt pour ce qu'il est réellement, à savoir un simple transfert de l'usage d'une immobilisation incorporelle, alors l'accès au prêt n'est plus conditionné à la détention préalable de stocks financiers importants et toutes les personnes deviennent égales dans l'accès à la monnaie. C'est à ce moment là seulement que nous verrons apparaître l'échange circulaire financier dont l'efficience organisationnelle se mesure par la quantité minimale de monnaie à mobiliser pour permettre à un maximum de personnes de disposer d'une quantité maximale de monnaie.

On pourrait imaginer une banque inclusive qui afin de fonder les communs sur la valeur d’usage, détiendrait des échantillons de chaque valeur rare ou utile sous la forme d'une unité de valeur servant d'unité de compte. Il serait donc possible de créer une unité de valeur immobilière, une unité de valeur foncière, une unité de valeur or, une unité de valeur bois, une unité de valeur connaissance, une unité de valeur éducation, une unité de valeur écologique.... chacune étant corrélée à une unité de compte indiquant son prix unitaire en euros. De telles unités de valeurs ouvriraient la porte d'un partage de la valeur à grande échelle en créant des valeurs d'usages corrélées à une unité de compte monétaire qui rendrait possible leur intégration dans tous les systèmes comptables. Partant de là, la banque inclusive permettrait à chacun d'utiliser les unités de valeurs comme des monnaies virtuelles que l'on pourrait produire et reproduire à l'infini afin de financer toutes sortes de projets. L'accessibilité à l'immobilier, à l'or, à la terre, à l'éducation, à l'écologie ne serait plus basée sur un stock de capital à détenir préalablement mais sur un partage de la valeur en réseau d'utilisateurs. Cette capacité à émettre collectivement des valeurs d'usage aboutirait à la reconnaissance d'un produit constaté d'avance pouvant financer les productions du futur dont les gens désirent lancer ou perpétuer l’utilisation.

Un produit constaté d'avance

Une question subsiste : une monnaie qui se définit non par sa valeur d'échange mais seulement par sa valeur d'usage est-elle quelque chose de concevable ? Si on s'en tient à l'analyse comptable, les avoirs monétaires sont toujours positionnés en bas de bilan, parmi les actifs circulants en raison de leur caractère éminemment liquides. Or nous avons vu que pour être appréhendés comme des valeurs d'usage et pas comme des valeurs d'échange, les actifs monétaires devraient être positionnés dans le haut de bilan sur le poste des actifs incorporels. Cette qualification comptable nous apporte un premier indice important mais nous devons encore progresser pour qualifier complètement une valeur d'usage générée par la mise en commun d’une valeur.

Existe-t-il aujourd'hui un actif de nature monétaire (ou pouvant s'apparenter à une monnaie) qui aurait les caractéristiques que nous recherchons ? Depuis quelques années, la réponse est positive. En réalité, un tel actif porte un nom : il s'agit d'un token, et plus précisément d'un token utilitaire. Juridiquement, un token équivaut à un droit d'usage monétaire portant sur une chose qui peut-être une prestation de service, un stock, une bien immobilier, un site internet, une machine, une voiture, un billet de réservation pour un concert. En fait il n'y a pas de limites dans le champ des actifs et des activités pouvant faire l'objet d'une tokenization. Tout ce qui figure à l'actif du bilan des entreprises pourrait potentiellement être tokenizé, et probablement tout ce qui figure au passif également. Tokenizer un titre de dette équivaut pour une entreprise à faire ce que les banques appellent de la titrisation. Cela revient à constater l’existence d’une valeur d’usage et la porter au bilan.

Les nouvelles règles d'enregistrement comptable publiées par l'ANC nous donnent à ce titre une information précieuse. Dans l'actif du bilan qui identifie les ressources disponibles, le token est un actif incorporel. Dans le passif du bilan qui identifie les utilisations potentielles, le token est un produit constaté d'avance. Comme les deux écritures doivent se faire de façon simultanée, cela signifie que la comptabilité consacre la notion de droit d'usage monétaire. Cette intégration de l'emploi de la monnaie dans la définition de sa valeur est quelque chose de nouveau et de salutaire qui permet de constituer une valeur au bilan pour une utilisation qui peut être présente, passée ou future. Cette intégration des trois temps apporte une flexibilité en matière de financement car elle permet à des entreprises de s'adosser à la valeur d'usage de leur technologie, de leur stock, de leur immeuble ou de leur meuble afin de financer leur développement sans être obligées de les donner en gage ou de les vendre. La tokenization est le nouveau nom donné à l’autofinancement de l’entreprise par sa production.

Tokenizer un actif revient à faire reconnaître sa valeur d'usage au bilan comme un droit incorporel dont la valeur est monétaire. Cela revient à introduire un double de la valeur de cet actif, enregistré une première fois en tant que propriété d'une chose dans un certain poste au bilan, puis enregistré une seconde fois en tant que token utilitaire (ou valeur d'usage) dans un autre poste au bilan. Cela revient à rendre un actif liquide, non pas en vue de le vendre (car on serait là encore dans une approche bancaire où la monnaie n'a qu'une valeur d'échange et où on menace l'emprunteur de vendre à la casse le bien donné en garantie pour rembourser la dette) mais en vue d'élargir son champ d'utilisation et donc ses possibilités de distribution (que cette distribution soit faite de façon gratuite ou rémunérée). L’actif dont nous parlons n’est pas nécessairement monétaire (il peut être technologique ou informationnel), mais la créance qu’il fait naître peut avoir un caractère monétaire si les agents décident collectivement d’en faire un moyen d’échange et de règlement.

De nouvelles possibilités de règlement

Cette intégration de la valeur d'usage au travers de la notion de produit constaté d'avance nous donne des solutions précieuses en matière de remboursement. Dans les prêts basés sur le transfert de propriété, la seule manière de rembourser est de payer le capital et l'intérêt, c'est à dire de rembourser systématiquement plus que ce que l'on a emprunté. Cette injustice historique est la cause de la plupart des dérèglements financiers. Elle explique pourquoi les personnes (physiques, morales, étatiques) qui sont les plus fragiles financièrement sont celles qui paient l'argent le plus cher. Elle explique autant la crise grecque que la crise américaine des subprimes ou la cessation de paiement de l’Etat qui a précédé la Révolution française. Elle explique pourquoi pendant la crise espagnole, certaines banques d'affaire achetaient des paquets de 10 milliards d'euros à la BCE à 1% de taux d'intérêt qu'elles revendaient à 15% de taux d'intérêt à l'Etat espagnol. Et quand une personne ne peut plus payer, ce qui arrive mécaniquement avec un tel système, on finit par saisir ses biens et ses titres.

Considérez la pratique séculaire de « Buddy, puis-je emprunter un dollar ? », autrement connu sous le nom de prêt entre pairs. Traditionnellement, c'est une pratique à haut risque - c'est-à-dire que Buddy récupère rarement son dollar. Ce problème ne fait qu'empirer avec le passage à l'échelle. À mesure que les villages se transformaient en villes et que les villes commençaient à s'étendre, la confiance des voisins s'est effondrée. C’est là que les banques sont intervenues. Elles ont redonné confiance dans l’équation des prêts. Actuellement les banques sont en train d'être supplantées par les Fintech qui en s'appuyant sur les IA et les Big Data sont arrivées à combiner les données personnelles des utilisateurs - données de réseaux sociaux, données des smartphones, historiques de l'éducation et de l'emploi, etc. - pour générer un score de crédit fiable presque instantanément. On voit ainsi combien la pratique des acteurs de la finance a évolué techniquement pour maîtriser les risques de remboursement et que le calcul du risque crédit est au cœur de leur métier.

Mais on ne s'est jamais demandé si l'on ne pourrait pas résoudre ce problème à la racine en mettant à disposition des agents économiques un simple droit d'usage monétaire temporaire sans transfert de propriété qui éliminerait le risque de perte pour le créancier et supprimerait la nécessité d'un remboursement.

Que se passe-t-il quand on transfère non pas la propriété d'un bien mais seulement un droit d'usage ? Nous devons rendre une valeur qui varie selon le type d’opération. Nous pouvons lister les différents types de clôtures du droit d’usage en constatant qu’ils sont bien plus nombreux que le seul remboursement du crédit :

-        Quand on cède l'usage temporaire d'un actif corporel, la clôture se fait par la restitution du bien sans que cela n'engendre un transfert de propriété

-        Quand on cède l'usage temporaire d'un actif incorporel, la clôture se fait par la consommation du droit d'usage pour la valeur liée à la prestation de service associée

-        Quand on cède l'usage temporaire d'une valeur mobilière, la clôture se fait par la constitution d'une dette et par la compensation de cette dette

-        Quand on cède l'usage temporaire d'une valeur immobilière, la clôture se fait par l'extinction du droit d'usage sans que cela n'engendre un transfert de propriété

-        Quand on cède l'usage temporaire d'un bien fongible, la clôture se fait par la fourniture d'un bien de valeur équivalente tel que libellé au contrat

Le commun qui monétise le droit d'usage et le droit au revenu des biens (produits et services matériels et immatériels, fongibles et non fongibles) offre on le voit ici une multitude de façons de clôturer les opérations afin que le prêteur et l'emprunteur ne soient pas lésés. En monétisant la valeur d'usage plutôt que la valeur d'échange, on augmente le rendement des actifs (leurs taux d'occupation ou d'utilisation) et on constitue un excédent de valeur caractéristique du goodwill. Cette survaleur issue de la monétisation du droit d’usage pourrait d'ailleurs être introduite dans la comptabilité au fur et à mesure des ventes des droits d'usage. Si en effet le goodwill représente globalement la valeur de la clientèle (tout comme le fond de commerce cet autre actif incorporel) alors la distribution tokenizée des droits d'usage des actifs aux clients de l'entreprise peut directement être corrélée à une création de goodwill. Le terme peut même recevoir une définition plus large si on introduit dans le token une notion d'engagement à certaines valeurs permettant de monétiser l'attachement ou la confiance des fournisseurs, des employés et de l'ensemble des partenaires de l'entreprise.

Aujourd'hui encore dans la totalité des situations de partage de la valeur, on est obligé de vendre les biens pour pouvoir procéder à leur répartition de manière liquide. Mais si au lieu de vouloir à tout prix partager la propriété des biens, on acceptait de partager seulement l'utilisation et le revenu de ces biens (quitte à rester en indivision sur la nue propriété), alors il ne serait plus nécessaire de recourir à la monnaie pour procéder à leur liquidation. En fait le critère de la liquidité dont tout le monde parle actuellement n'a d'importance que tant que l'on pense que la seule possibilité pour partager une valeur est de la vendre. Mais si au lieu de vendre un bien, on le monétise par la cession du droit d'usage temporaire, on peut alors aboutir à un résultat dans lequel on conserve le bien tout en disposant de cash. On peut donc en conclure que le recours à la tokenization est une source de cash flow potentielle tant pour les personnes physiques voulant réaliser certaines opérations patrimoniales que pour les personnes morales voulant réaliser des opérations d'investissement sur leurs actifs.

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