La charge de la preuve du lien de causalité entre un licenciement et la qualité de lanceur d'alerte

La charge de la preuve du lien de causalité entre un licenciement et la qualité de lanceur d'alerte


Cass. soc. 1-2-2023 n° 21-24.271 FS-B, V. c/ Sté Thalès Six GTX France

La Cour de cassation dans un arrêt du 1er février 2023, fait le point sur la charge de la preuve du lien de causalité entre un licenciement et la qualité de lanceur d'alerte.

Concernant l'aménagement de la charge de la preuve, la Haute Juridiction applique les dispositions de l'article L 1132-3-3 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, antérieure à la loi 2022-401 du 21 mars 2022.

Dans cette affaire, une salariée embauchée en qualité de responsable de la transformation des infrastructures internes et exerçant, à la suite d'une mobilité, les fonctions de responsable du département offres et projet export au sein d'une filiale du groupe Thalès a saisi le comité d'éthique du groupe pour signaler des faits susceptibles d'être qualifiés de corruption, mettant en cause un de ses anciens collaborateurs et son employeur. Quelques mois plus tard, elle a informé le comité d'éthique qu'elle estimait faire l'objet de harcèlement moral à la suite de cette alerte.

Par la suite, le comité d'éthique a conclu à l'absence de situation contraire aux règles et principes éthiques, et l'employeur l'a convoquée à un entretien préalable avant de notifier son licenciement.

LE JUGE DES RÉFÉRÉS EXIGEAIT UN LIEN DE CAUSALITÉ ÉVIDENT ENTRE L'ALERTE ET LE LICENCIEMENT

La salariée a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes pour, notamment, faire constater la nullité de son licenciement intervenu en violation des dispositions protectrices des lanceurs d'alerte, obtenir sa réintégration et le versement des salaires qui auraient dû lui être versés entre la fin de son préavis et sa réintégration.

Le conseil de prud'hommes, dont l'ordonnance de référé est confirmée par la cour d'appel, déboute la salariée de ces demandes en retenant que les pièces et moyens de droit fournis par la salariée ne permettent pas d'établir et de démontrer un lien évident et non équivoque de cause à effet entre son alerte et le licenciement, que les représailles envers la salariée n'étaient pas établies, et que l'appréciation du motif de licenciement relève exclusivement des juges du fond.

LE LICENCIEMENT DU SALARIÉ EN RAISON DE SON ALERTE : UN TROUBLE MANIFESTEMENT ILLICITE

La Cour de cassation censure cette décision. Elle indique en premier lieu que la rupture du contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte constitue un trouble manifestement illicite auquel il appartient au juge des référés de mettre fin, même en présence d'une contestation sérieuse, en application de l'article R 1455-6 du Code du travail, et de l'article L 1132-4 du même Code dont il résulte qu'une telle rupture est nulle de plein droit.

LA CHARGE DE LA PREUVE EST ALLÉGÉE POUR LE SALARIÉ

La Haute Juridiction précise en second lieu que dans ce cas le juge des référés doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016.

À L'EMPLOYEUR DE PROUVER QUE SA DÉCISION EST JUSTIFIÉE PAR DES ÉLÉMENTS ÉTRANGERS À L'ALERTE

Dans ce cas, ajoute enfin la Cour de cassation, le juge des référés doit rechercher si l'employeur apporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ce salarié.

Ce que la cour d'appel n'a pas fait en se contentant de retenir :

-  que le lien entre la réelle détérioration de la relation de travail et l'alerte donnée par la salariée ne ressort pas, de façon manifeste, des évaluations professionnelles de celle-ci et que l'employeur, qui n'a pas eu la volonté d'éluder les termes de l'alerte, apporte un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles ;

-  et que la lettre de licenciement déclinait des griefs portant exclusivement sur le travail de la salariée, dont l'examen du caractère réel et sérieux relève du juge du fond.

On rappelle que le Conseil d'État a récemment jugé que cet aménagement de la charge de la preuve n'a de sens que lorsque la mesure contestée, en l'occurrence un licenciement, n'est pas expressément motivée par l'alerte. Lorsque c'est le cas, pour ainsi dire, la preuve est déjà faite (CE 27-4-2022 n° 437735 : FRS 11/22 inf. 2 p. 5).

Le raisonnement du juge des référés revenait à faire peser sur la salariée la charge de la preuve du lien de causalité entre son alerte et son licenciement, ce qui est bien plus rigoureux que ne le prévoit la loi. L'affaire est par conséquent renvoyée devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

LA DÉCISION

Le juge des référés, auquel il appartient, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d'un contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des conditions légales et, dans l'affirmative, de rechercher si l'employeur rapporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ce salarié.

Cass. soc. 1-2-2023 n° 21-24.271 FS B, V. c/ Sté Thalès Six GTX France

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