La communication extraordinaire de Volodymyr Zelensky
Illustration by Zach Meyer, for Life&Letters

La communication extraordinaire de Volodymyr Zelensky

Par Edouard Fillias, Fondateur JIN, et Nader El Nahas, Consultant JIN

 Le 24 février 2022, la Russie lance une “opération militaire spéciale” et débute l’invasion de l’Ukraine. Cette guerre provoquée par le Président Poutine marque une rupture majeure pour notre continent et nos générations. La guerre en Europe n'appartient plus à nos livres d'histoire, elle est là, à quelques kilomètres de nos frontières. Elle remet en cause les fondements mêmes de la démocratie telle que nous la connaissons et nous rappelle que notre liberté n’est pas un acquis mais un combat permanent. La détermination et la dignité du peuple ukrainien sous le feu des armes depuis des mois ont forcé l’admiration de tous. Une admiration d’autant plus forte que le combat paraissait a priori totalement déséquilibré et apparemment sans issue. Rappelons que la Russie est la deuxième puissance militaire mondiale, la première puissance nucléaire, qu’elle dispose d’un budget militaire dix fois plus important que celui de l'Ukraine et des capacités aériennes, maritimes et terrestres bien plus conséquentes. Mais cette guerre ne se déroule pas au XXe siècle, la force militaire brute n’est plus le seul critère de victoire, et de nouveaux leviers d’influence ont vu le jour.

Ceci n’est pas une guerre comme les autres

La guerre en Ukraine n’est pas une guerre classique. Il s’agit d’une offensive massive, qui combine à la fois des moyens militaires mais également des moyens cyber. C’est une véritable guerre hybride, multi vectorielle qui se joue aussi bien sur le champ de bataille que dans le cyberespace. Selon un rapport de l'Unité de sécurité numérique de Microsoft, depuis le début de l'invasion, « au moins 6 » unités des services de renseignement russes auraient orchestré plus de 200 cyberattaques ciblant les infrastructures ukrainiennes, dont « près de 40 » qualifiées de « destructrices » et « particulièrement préoccupantes ». Des cyberattaques souvent « corrélées et synchronisées avec ses opérations militaires ciblant des services et des institutions cruciaux pour les civils ».

L’Ukraine s’est dès lors rapidement adaptée aux nouvelles technologies et à cette révolution numérique qui s’opère dans tous les domaines, même militaires. Le pays a notamment déployé sa propre armée cyber appelée « IT army », composée de hackers volontaires qui agissent en lien avec le gouvernement ukrainien et échangent via un canal Telegram, notamment pour préciser quelles sont les cibles visées. L'application mobile Diia, lancée par le ministre de la transformation digitale ukrainien, Mykhailo Fedorov, a également permis de signaler la présence des troupes russes. Couplée aux images satellites et aux signalements faits par la population, elle permet aux militaires ukrainiens de détecter la présence de l’armée russe. Par ailleurs, cette application offre aux personnes en zone de combat la possibilité d’accéder à un système de paiement en ligne, afin de recevoir une aide de l’Etat, sans avoir besoin de se déplacer sur le territoire. Un service de remboursement et de carte bancaire virtuelle a aussi été mis en place afin de recevoir ces aides.

L’autre ligne de front de la guerre Cyber, ce sont les réseaux sociaux et les médias, leviers d’influence incontournables. Si le gouvernement Russe apparaît comme étant un expert pointu de la contre-influence avec l’Internet Research Agency, cette organisation de diffusion de propagande sur Internet qui mène des opérations d’influence en ligne pour le compte du gouvernement russe, le Président Zelensky et son équipe ont su conduire une remarquable communication, notamment digitale, qui a permis de mobiliser largement autour d’eux et d’incarner la résistance.  

Le succès de la communication hors norme du Président Zelensky

En quelques semaines le Président Zelensky a su, à travers les médias et les réseaux sociaux, mobiliser et convaincre la population ukrainienne ainsi qu’une large partie de l’opinion publique occidentale. Une communication offensive et moderne, avec des prises de paroles quasi-quotidiennes sur une multitude de plateformes lui ont permis de s’adresser à des publics précis et bien identifiés avec des messages spécifiques à la clé. Cette communication brillamment réussie, locale et internationale, a étonné dès ses débuts. Elle a su parfaitement conjuguer l’instant présent et l’émotion. L’émotion via par exemple un montage vidéo de Paris sous les bombes, qui a permis de susciter une émotion forte au sein de l’opinion en ligne. Le Président Zelensky a également cherché à maîtriser l’agenda médiatique à travers une communication quasi-instantanée. Ainsi, dans la nuit du 25 au 26 février, il se filme via Facebook devant le bâtiment de la présidence à Kiev, pour "défendre" l'Ukraine malgré l'avancée des troupes russes. Quelques heures plus tard, alors que les Etats-Unis lui offrait la possibilité de l’exfiltrer de Kiev, ce dernier répond : “C’est ici qu’est le combat, j’ai besoin de munitions, pas d’un taxi.” Des choix forts (et rapides) qui ont permis à Zelensky à la fois d’endosser le rôle d’un chef de guerre mais aussi de dicter d’une certaine manière l’agenda du conflit.

Sur les réseaux sociaux, les résultats sont impressionnants. Depuis le début du conflit, l’influence digitale du Président Zelensky a explosé. Sur Twitter, son taux d’activité avant le début du conflit se contentait d’une trentaine de publications par semaine, il a été multiplié par 6 dès la première semaine de l’invasion. Son nombre d’abonnés a été multiplié par 8, avec près de 500.000 followers au début du conflit, le compte Twitter du président ukrainien en dénombre pas moins de 6,4 millions au 15 juillet. La vidéo dans laquelle il se montre au deuxième jour, face caméra, seul dans les rues de Kiev a suscité à elle seule 18,4 millions de vues et 514,7k engagements sur Twitter. Sur Instagram, sa vidéo en réaction aux premiers bombardements russes a été visionnée plus de 6 millions de fois et a généré 596.000 réactions. Lors de la première semaine du conflit, rien que dans la sphère digitale française, les mentions du mot “Ukraine” ont suscité 4,4 millions de tweets entre le 1er février et le 1er mars. Les réseaux sociaux constituent donc une caisse de résonance majeure, qui permettent d'influencer en temps réel la fabrique des opinions publiques.

Le Président Zelensky a également su organiser des prises de parole fortes : des discours devant les Parlements nationaux, aux conférences de presse avec des chefs d'États étrangers en passant par des visioconférences au sein des universités les plus prestigieuses, la communication ukrainienne a su être impactante. La conférence de presse organisée dans le métro de Kiev avec l’ensemble de la presse internationale, offrant des clichés quasi cinématographiques de résistance, démontre encore une fois la réussite de cette stratégie de communication moderne et innovante.

La stratégie de communication de Zelensky s’est aussi appuyée sur sa capacité à politiser le rôle des entreprises, en prenant compte le mouvement de fond et les attentes profondes en Occident pour des entreprises avec des raisons d’être qui engagent. Dans cette perspective, le Président Zelensky n’a pas hésité à cibler directement les entreprises sur le fameux principe du « name & shame ». En les interpellant directement sur Twitter, il a réussi à les faire réagir pour défendre les intérêts de son pays face à l’envahisseur russe. Le 23 mars 2021, lors d’une visioconférence à l’adresse des parlementaires français, le Président Zelensky n’a ainsi pas hésité à viser directement certaines entreprises françaises qui continuaient d’exercer une activité en Russie, ayant parfaitement compris que ces dernières ne pouvaient plus esquiver l’aspect réputationnel sur les questions géopolitiques. 

Des racines profondes sont à l’origine du succès de cette communication

Dans un monde politique et médiatique percuté par la nouvelle donnée de l’attention, Zelensky et ses soutiens sont des hommes nouveaux, parfaitement adaptés au contexte de l’utilisation des médias et des réseaux sociaux à l’âge de Netflix.

Dès la montée au pouvoir de Zelensky, la nouvelle donne médiatique « advertainment » et les réseaux sociaux se sont placés au cœur de sa stratégie politique. Pendant sa campagne présidentielle, il met l’accent sur la forme, l’instantanéité des réactions, la désintermédiation de sa communication et la proximité avec les électeurs. Une campagne atypique, fréquemment qualifiée de “non-campagne” eu égard au nombre très limité d’entretiens, réunions publiques et débats. Il axe sa campagne sur les réseaux sociaux, adressant des critiques virulentes à ses adversaires dans des vidéos virales qui ont renforcé sa popularité auprès de l’électorat jeune notamment. Il n’oublie pas pour autant l’électorat plus âgé qui est plus proche de la télévision que du smartphone. Certes, Volodymir Zelensky est un ancien humoriste mais c’est aussi un producteur qui a bien conscience du lien puissant qui existe entre la télévision et les réseaux sociaux pour forger sa communauté. Cette vision qui combine ces deux leviers est au cœur de son approche.

Il s’entoure également d’une équipe de choc, qui est aujourd’hui son premier cercle, et qui pense nativement sa communication. Tout d’abord, Kyrylo Timochenko, son communicant et chef adjoint de son cabinet. Cet ancien journaliste sportif, passé par la communication, a créé l’agence GoodMedia, bien connue pour avoir régulièrement orchestré les campagnes d’élections de personnalités politiques, celle de Zelensky comprise. Il est présent lors de la mise en scène de la garde rapprochée de Zelensky se montrant unie, marchant dans Kiev bombardée, pour susciter l’adhésion internationale. Mikhaïlo Fedorov, le ministre de la transformation digitale, joue également un rôle clé. Fin 2019 déjà, il lance l'idée de l'application gouvernementale Diïa. Dès les premiers jours du conflit, Zelensky et son ministre ont incité les différents membres actifs de la résistance ukrainienne à créer des comptes sur les réseaux sociaux et à se coordonner sur Telegram pour relayer massivement les publications des uns et des autres. Enfin, Ihor Kolomoïsky, cet homme d'affaires israélo-chyprio-ukrainien, qui a ouvert à Volodymyr Zelensky son carnet d’adresses et lui a fourni une couverture médiatique favorable de la part de ses médias. Ihor Kolomoïsky avait effectivement mis ses chaînes de télévision au service du candidat Zelensky et, après la victoire de celui-ci, a réussi pendant un temps à imposer son avocat personnel à la tête de l’administration présidentielle. Une fois arrivé au pouvoir, le président ukrainien a tenté de se libérer de cette tutelle, tout d’abord en limogeant son directeur de cabinet, un avocat de Kolomoïsky puis en adoptant la loi « anti-Kolomoïsky » qui vise à limiter le financement des partis politiques par les grandes fortunes et instaurer un registre d’oligarques obligés de dévoiler leurs biens au public. Toutefois, l'arrivée de la guerre fin février a mis un coup de frein à cette dynamique politique.

Une stratégie internationale basée sur le soft power

Selon le professeur Joseph Nye, le pouvoir se définit comme “la capacité d’influencer le comportement des autres pour obtenir le résultat que l’on souhaite”. Pour un Etat cela signifie qu’il est possible de contraindre par des menaces militaires (hard power), par des pressions économiques (hard power) ou d’inciter par un ensemble de moyens autres que coercitifs (soft power). La tragique guerre en Ukraine illustre parfaitement ces trois leviers. Si la Russie mise sur un hard power militaire évident, en estimant qu’il sera suffisant pour atteindre ses objectifs, force est de constater que cette stratégie est contrariée par la résistance ukrainienne. L’Europe et les Etats-Unis estiment de leur côté que le hard power économique suffira à contraindre le Président Poutine à renoncer à ses plans, ce qui ne semble pas aboutir à ce stade. Toujours est-il que l’Ukraine démontre que le soft power est capable de galvaniser l’opinion publique globale, notamment via le social media, et de résister dans un combat qui semblait perdu d’avance. Les efforts considérables déployés à la fois par les diplomates ukrainiens pour mettre sur pied une coalition internationale de soutien et par la communication ukrainienne pour faire basculer l’opinion publique, ont abouti à un soutien tangible et concret, tant politique que militaire.

L’indifférence, principal défi pour la suite du conflit

Depuis quelques semaines, la guerre en Ukraine s’est enlisée et l’on constate, malheureusement, une perte d'attention du public pour la situation, manifestée en ligne et dans les médias. L'occurrence du mot «Ukraine» dans les recherches sur Google s'est par exemple effondrée. La couverture médiatique en ligne a aussi largement régressé, avec un nombre d’interactions sur les réseaux sociaux au sujet de l'Ukraine aujourd’hui bien loin du pic de près de 18 millions, fin février. “Oublions-nous déjà la guerre en Ukraine ?”, s'est inquiété le magazine américain Bloomberg dès le 19 mai 2022. Le risque n'a pas échappé non plus à la famille Zelensky elle-même. « Peuple des États-Unis, ne vous habituez pas à cette guerre... Sinon, nous risquons une guerre sans fin... Ne vous habituez pas à notre douleur », s'est exclamée le 22 mai la première dame ukrainienne, Olena Zelenska, sur ABC News.

Si manifestement, on constate cette lassitude des opinions publiques occidentales sur le sujet, des moyens existent néanmoins pour tenter de remédier à cela. Trois axes peuvent être pertinents pour gérer la suite de ce conflit. 

D’abord, le premier axe consisterait à faire émerger de nouveaux visages pour personnifier plus amplement la communication ukrainienne. En effet, il paraît indispensable d’incarner via d’autres personnalités la stratégie ukrainienne pour y déployer non seulement d’autres narratifs sur des sujets différents mais aussi pour éviter la sur-communication du Président Zelensky. En effet, un même dirigeant peut difficilement s’exprimer sur tous les sujets, tout le temps. En multipliant les “ambassadeurs” de la marque Ukraine, le narratif global de la communication est plus complet, mieux incarné et plus audible. 

Le deuxième axe serait de continuer à politiser le rôle des entreprises. Le niveau d'exigence réputationnel s’est élevé depuis plusieurs années: les entreprises ne peuvent plus esquiver l’aspect réputationnel dans les écosystèmes et les contextes où elles évoluent. C’était déjà grandement le cas pour les questions environnementales et sociales. Cela le devient plus fortement sur les questions géopolitiques. Elles sont ainsi de plus en plus interrogées sur leur positionnement sur les réseaux sociaux : elles devront certainement acter une politique rapidement et l'assumer en conséquence. Plus que jamais, l'époque est à l'engagement pour les entreprises, dans l'ultra-présent.

Enfin, le troisième axe serait de politiser davantage le débat vis-à-vis des enjeux locaux de l’occident : renchérissement du prix du pétrole, du gaz et des matières premières, l’inflation, le pouvoir d’achat… les liens avec la guerre en Ukraine sont multiples et évidents, et il faut les exploiter. Pas plus tard que le 8 juillet 2022 Vladimir Poutine avait déjà mis en garde l'Europe des "conséquences catastrophiques" des sanctions sur le marché de l'énergie, indiquant que "le résultat de ces actions va entraîner une hausse des prix du gaz et de l'énergie pour les consommateurs". Pour européaniser et occidentaliser le conflit, il y a aujourd’hui une nécessité pour l’Ukraine de changer le narratif qui s’est progressivement usé au fil des mois. Afin d’adapter le discours à une nouvelle réalité, il faudra aller au plus proche des préoccupations des populations européennes, car demain le prix du plein d'essence, le montant de la facture de chauffage, le coût de certains produits risquent de s'alourdir encore.

Plus largement, il paraît essentiel pour l’Ukraine d’explorer de nouvelles alliances pour rentrer en profondeur dans les sociétés médiatiques occidentales, car la concurrence russe demeure féroce et son influence reste forte à la télévision et sur les réseaux sociaux dans de nombreux pays.

Conclusion

En tant que communicants, cette guerre tragique nous éclaire, de manière très concrète, sur le rôle central du social media en matière d’influence, de réputation et d’opinion publique. C’est une bataille qui ne se gagne pas du jour au lendemain, mais par strates, avec une boussole essentielle : une croyance inébranlable en nos convictions. L’influence de demain se construit aujourd’hui.

En tant que citoyens français et européens, cette guerre doit nous rappeler que les mots paix et Europe ne sont pas inséparables pour l’éternité. L’exigence d’unité, le courage de dire la vérité, la défense de nos convictions, voici sans doute ce qui nous permettra de cimenter encore plus notre attachement à la liberté, à la paix et à la place de la France en Europe et dans le monde.

Grégory KAMDEM

Directeur associé | Développez votre agence de communication sereinement | Agence de prospection commerciale B2B | Des RDV hautement qualifiés pris avec votre coeur de cible 🎯

2 ans

Il s'agit d Un conflit géo politique bien plus complexe que cela qui décrit la Russie comme Un méchant envahisseur. A titre d exemple l armée ukrenienne possède dans ses rangs 25% de néonazi via le groupe azov. De plus l OTAN Est au porte de la Russie. Les tords sont des deux côtés alors, a mon avis pensez que l occident tout entier a raison de s Unir contre le monstre Russe Est Une erreur. Je ne parle des risques de guerre plus généralisé ou complexe. Et oui le président ukrainien, ancien comique maîtrise sa communication contrairement au président russe qui reste simple.

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