La confiance dans l'intelligence collective esquisse un bel avenir pour la banque de proximité
Dans un environnement déterministe, la performance de l'entreprise passe par l’alignement de 3 composantes : un environnement prévisible, une organisation pyramidale et une capacité de planification. Cette démarche, parfaitement adaptée au capitalisme industriel de masse qui a fait le succès du système occidental, devient vaine. La composante immatérielle de l’économie qui fait désormais l’essentiel de sa valeur ajoutée, les coups de boutoirs des innovations de rupture et l’horizon sans avenir d’une vaine promesse sociale marquent la fin du mythe industriel.
Nous pourrions nous réjouir collectivement de cette période d’incertitude car sans incertitude, le monde serait dépendant des seuls rapports de forces. Mais cette séquence remet tellement en cause nos grilles d’analyse que la majorité d’entre nous se trouve bien incapable d’apprécier réellement le potentiel de la séquence historique que nous traversons.
Etudiant professeur, j’avais été séduit par une méthode d’apprentissage qui ne cherchait pas à greffer chez l’enfant une bibliothèque de savoirs mais plutôt à développer chez lui une intelligence de situations. Basée sur la force et la rigueur de l’observation, la bienveillance et le respect de l’enfant, cette approche plaçait l’accomplissement de soi au-dessus de l’envie de plaire. Cette méthode est celle de Maria Montessori (1870 – 1952), médecin, philosophe, psychologue, qui aura considérablement œuvré pour favoriser l’épanouissement de l’enfant et de l’adolescent. Ses recherches lui auront permis d’identifier la formidable dynamique psychique de l’enfant, cet « esprit absorbant » qui le pousse à explorer son environnement et développer ses compétences. Sa méthode d’apprentissage révolutionnaire en son temps fut reconnue et saluée par ses contemporains, Jean Piaget et Sigmund Freud en faisaient partie. Elle continue encore à recevoir la plus grande attention de la part de nombreux neuroscientifiques. Punition et récompense sont exclues de cette approche, les enfants étant, eux-mêmes, incités à évaluer leur propre travail. C’est une éducation vers la paix qui développe la confiance. Elle ne protège pas des échecs mais permet de s’en servir pour progresser. Dans les écoles Montessori, les enfants ne vivent pas sous la pression de l’évaluation, « ils s’emparent de leurs envies pour donner du sens à ce qu’ils apprennent ». Personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose, le savoir est dans l’humanité et non logé en un tiers omniscient le délivrant avec parcimonie à des élèves méritants.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, je crois qu’il y a dans ce regard de quoi nourrir notre réflexion sur l’avenir des entreprises et plus particulièrement sur un secteur que je connais bien, celui de la banque de proximité. « Personne ne sait tout mais ensemble nous savons plus et mieux », voilà ce qui peut nous réconcilier avec ce contexte économique dans lequel nous nous trouvons. Ce contexte étrange ou la prudence est érigée en vertu non pas parce qu’elle nous protège du risque avéré mais en ce qu'elle nous apaise de nos craintes des ténèbres de l’incertitude. Le temps est peut être venu de repartir à la découverte des Indes pour questionner non pas la rondeur de la terre mais la verticalité du pouvoir de décision. Vouloir percer l'incertitude de l'économie nous offre la formidable opportunité de reconsidérer la pertinence de notre modèle de management dominant. Ne doutons pas que nous pouvons trouver dans cette remise en cause de formidables gisements d’intelligence collective et la naissance de nouveaux modèles d’organisation, pour peu que nous acceptions d’en permettre l’émergence. Pour ma part, j’ai acquis au cours de ces dernières années la conviction de la capacité de nos conseillers de proximité à s’adapter avec intelligence aux spécificités locales et aux environnements incertains en mobilisant avec talent leur savoir-faire, leur savoir-être et leur jeu collectif.
Je voudrais partager avec vous ce qui me permet d’afficher cette confiance.
Il y a quelques années, nous nous sommes demandés si et comment allions nous pouvoir résister à la vague déferlante de la numérisation des usages fracassant sur son passage les certitudes de la relation durable entre le client et la banque. Devant la diminution du nombre de clients fréquentant les agences bancaires, nous étions nombreux à nous questionner sur la manière d’interrompre ce processus, redoutant qu’il soit sans frein. Dans le même temps, la fréquence d’utilisation des canaux numériques progressait à un rythme plus important encore. L’avenir qui se dessinait aurait pu nous conduire logiquement à considérer la relation numérique comme désormais dominante et la réduction de notre réseau d’agences de proximité comme une décision de gestion logique.
En constituant un groupe de réflexion multidisciplinaire, nous entreprîmes alors de comprendre cette tendance qui affaiblissait notre modèle de proximité relationnelle. En nous méfiant des recettes traditionnelles qui ne fonctionnaient plus, nous décidâmes de repartir de la feuille blanche en nous posant à chaque instant la question de la pertinence des conditions d’exercice de notre métier. Aucun cabinet conseil ne fut sollicité car nous souhaitions mener nous-mêmes ces travaux d’analyse au rythme de notre propre capacité de compréhension. Cette démarche nous amena à déconstruire notre vision implicite de la relation commerciale, à interroger la durabilité de la valeur créée dans l’agence bancaire et à interpeller la singularité de ce canal physique face aux alternatives numériques. Avant de s’engager sur des choix stratégiques structurants, nous avions décidé de mener une étude comportementale quantitative pour comprendre comment se construisait la relation à la banque. Nous pûmes ainsi observer une corrélation élevée entre l’usage de l’agence et l’intensité relationnelle. Les clients, quels que soient l’âge, les usages de consommation et le profil socio professionnel, conditionnent majoritairement l’intensité de leur relation à la qualité de la prestation des conseillers en agence. Le contact humain dans un contexte de présomption de compétences reste donc incontournable, pour autant qu’il soit au niveau d’exigence attendu car plus l’intensité relationnelle est forte, plus l’usage de l’agence est élevé. Et vice versa.
Pour adapter notre modèle de création de valeur à ces évolutions contextuelles, nous avions collectivement conclu à l’impérieuse nécessité de reconstruire en profondeur un nouveau modèle de relation commerciale autour notamment de la compétence du conseiller, de l’organisation commerciale et de la reconfiguration des espaces de vente. Trois années d’expérimentation nous ont permis d’élaborer un nouveau modèle, évolutif par nature, d’en éprouver sa robustesse et de préparer un dispositif de déploiement fortement inspiré du processus d’incubation des start-up. Cette période a été dans ma carrière une expérience unique, incroyable et d’une richesse stupéfiante. Jamais, je n’avais vécu une si profonde remise en cause de nos certitudes professionnelles. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer que ce nouveau modèle de distribution est le fruit de notre intelligence collective.
Dans une organisation bancaire classique, les clients les plus générateurs de richesse sont regroupés en « portefeuilles ». Chaque portefeuille est affecté à un conseiller qui doit être capable de proposer l’ensemble des offres de la gamme de produits bancaires et assuranciels. Les clients qui disposent d’un patrimoine financier ou de revenus importants peuvent bénéficier de l’assistance d’un second conseiller expert, mais cet avantage est réservé à une petite partie de la clientèle. Les clients professionnels (commerçants, professions libérales, artisans, agriculteurs…) sont suivis par des conseillers spécialisés qui couvrent également les besoins privés. Chaque conseiller rend compte à un manager qui dirige un ou plusieurs points de vente. C’est une organisation pyramidale, en râteau.
Le modèle que nous avons mis quelques années à élaborer puis à déployer rompt avec l'organisation bancaire classique. Le métier de conseiller généraliste seul en charge d’un portefeuille de clients a disparu. Le client dispose désormais d’une équipe de conseillers dédiés qui vont intervenir en fonction de la nature de sa demande. Cette unité commerciale est composée de 4 spécialistes (services bancaires, assurances, habitat et financements de projets, épargne et des placements financiers) et d’un responsable de relation clientèle. Ces spécialistes travaillent ensemble autour des besoins du client, la coordination est assurée, sans lien hiérarchique, par le responsable de relation. Pour faire une analogie rapide, ce responsable est comme un médecin généraliste qui travaille avec une équipe d’experts sur les grands domaines de la banque. Les clients ont la possibilité de s’adresser directement à un spécialiste ce qu’ils font en moyenne 7 fois sur 10. Chaque unité commerciale partage les mêmes objectifs commerciaux. Les objectifs ne sont plus individuels : la performance de chacun n’a de sens que si elle sert le collectif. Le design de nos agences a été également repensé en fonction des principes de notre nouveau modèle relationnel : des agences ouvertes avec des zones « thématiques », des salons et des coins conseil. Nos agences sont transparentes et ouvertes vers l’extérieur. L’agence s’intègre dans la famille des commerces de proximité de sa zone de chalandise. Les guichets, les rideaux opaques et les affiches défraichies ont été abandonnés pour adopter des matériaux transparents, lumineux et accueillants. Des espaces collaboratifs, dans lesquels les conseillers travaillent en dehors des entretiens clientèle, favorisent la fluidité des échanges au sein des unités commerciales et participent de la diffusion du principe de l’architecture client totalement ouverte aux autres expertises de la banque.
Chaque unité commerciale se réunit une fois par semaine pour préparer et suivre ses actions hebdomadaires. Ces réunions se tiennent en dehors de la présence de managers et servent à organiser le calendrier, faire le bilan de la semaine passée et préparer les actions à mener. L’unité commerciale décide des réajustements nécessaires pour respecter le projet d’équipe, partage les expériences et met en place des stratégies d’entraide pour rattraper les retards. Les spécialistes sont membres de plusieurs unités commerciales ce qui rend possible l’osmose des bonnes pratiques. La progression de l’équipe est recherchée. La promesse client vise à lui proposer l’accès à la meilleure des compétences disponibles tout en valorisant le fonds de commerce de la banque. La réussite des uns dépend de celle des autres, ce qui est un formidable régulateur social.
Les premiers résultats sont extrêmement encourageants. Avant, disent les nouveaux venus dans le modèle « on prenait un poste dans une agence, aujourd’hui on intègre une équipe, ça change tout ». La compétence de chacun s’affine dans l’exigence et la bienveillance du collectif. L’amélioration des performances est déjà perceptible : le « taux de couverture » de la clientèle progresse, les besoins de nos clients se découvrent et se ciblent plus facilement. Les spécialistes interviennent sur une base de souscripteurs beaucoup plus importante, disposant de profils plus variés. Le renforcement des unités commerciales développe peu à peu les communautés de pratiques qui s’organisent autour du partage des savoirs, l’entraide, les expertises, le coaching par les pairs. Des dynamiques de solidarité et de savoir collaboratif se développent alors qu’elles n’émergent que très rarement sous un management classique. D’autres indicateurs de performance montrent que ce modèle transcende et intègre : 80% des conseillers affichent des résultats commerciaux en progrès après leur intégration en unités commerciales.
Au-delà de la spécialisation des métiers dont les résultats témoignent d'un effet de plus en plus remarquable sur la qualité de nos prestations et la satisfaction de notre clientèle, la performance de la banque s’appuie progressivement sur ces formes d’intelligences collectives favorisées par des managers, dont la posture conditionne la réussite et qui se forment eux aussi à cette nouvelle organisation. Pour réussir dans un contexte à forte incertitude, il nous a été en effet indispensable d’imaginer une organisation souple disposant d’une bonne capacité d’adaptation locale et d’une forte manœuvrabilité. Avec la mise en place de ces unités, nous avons fait un grand pas vers une nouvelle forme de management de l’incertitude en nous appuyant sur ces « intelligences collectives originelles » produites naturellement par des petits groupes. L’unité commerciale devient peu à peu la molécule de base de notre nouvelle organisation commerciale.
Cette approche est comparable à celle des équipes de sport collectif ou chaque joueur, expert dans son domaine, sait ce qu’il doit faire en fonction de la situation rencontrée par l’équipe. Les attaquants qui défendent savent que ce sont eux qui doivent contre-attaquer et marquer lorsque l’opportunité se présentera. Et pour un même sport donné, chaque équipe peut produire un « jeu différent » élaboré à partir d’individualités qui forment l’équipe sans que la performance de celle-ci ne puisse être réduite à la simple addition des performances individuelles. En poursuivant l'analogie, le métier de manager de proximité évolue en passant d’entraîneur de sport individuel à entraîneur de sport collectif. Tout le changement est là.
Le rôle des managers reste donc totalement déterminant. Ils doivent exprimer l’exigence tout en autorisant explicitement l’émergence et le renforcement du fonctionnement autonome des unités commerciales dont les liens interpersonnels deviennent les facteurs-clé de leur bon fonctionnement. La mise en place de cette organisation s’accompagne de la nécessité de renforcer la compétence managériale dans sa capacité à comprendre, exprimer et partager vision et objectifs. Le « comment faire » passe progressivement sous la responsabilité des unités commerciales.
Les premiers signes montrent que le modèle s’installe. Il faudra du temps pour qu’il fonctionne avec aisance car le changement demandé est profond. Pour les managers, accepter la dynamique de création de l’intelligence collective de leurs équipes c’est d’abord partager la nécessité du « lâcher prise ». C’est aussi quitter le confort du pouvoir hiérarchique pour adopter une nouvelle légitimité, celle du manager accompagnant.
Il ne faut cependant pas surestimer la difficulté de la démarche. Le management de l’incertain s’appuie sur nos qualités propres, sur notre intelligence émotionnelle. Il faut accepter l’intrusion du « soi singulier » dans sa sphère professionnelle. Le management de l’incertain n’est pas un principe qui accepte le désordre. La rigueur, la discipline, le sens des responsabilités en fondent la démarche. Mais ces caractéristiques ne sont acceptables que si elles se complètent de la confiance, de la bienveillance et d’une réelle capacité de mise en perspective. Manager dans l’incertitude, c’est changer le paradigme de la performance : l’abandon de la carotte et du bâton au profit d’une capacité à accepter ce que nous sommes au sein d’un collectif réuni par de mêmes valeurs. Prendre appui sur la force de collectifs de proximité, décentralisés, aux compétences complémentaires ouvre de nouvelles perspectives. Ces unités commerciales développent peu à peu des dynamiques et des qualités particulières très en phase avec les tendances sociétales qui émergent et se renforcent rapidement : partage, conscience collective, capacité d’apprentissage en réseau collaboratif et donc meilleure préparation à percevoir la complexité et profiter des opportunités de l’inattendu.
Cette organisation commerciale n’est pas révolutionnaire, elle est de son temps. Le temps de la réussite des entreprises qui auront la volonté de s’engager avec confiance dans la force et la singularité de la dynamique des actions libres, concertées et partagées en s’éloignant du mirage faussement rassurant de la centralisation des pouvoirs.
Valence, Mars 2016.
Consultant organisation free-lance
8 ansMerci pour cette présentation intéressante et motivante: la démarche est forte!
Chef d'entreprise, IMC2
8 ansFaire jouer "collectif" c'est fondamental.... comme au rugby, voire au football. Pour autant hisser la motivation et la compétence de chacun au plus haut niveau reste un enjeu de taille pour que la performance soit au rendez vous. Promouvoir le rôle des conseillers spécialisés auprès de la clientèle et faire reconnaître leur valeur ajoutée implique cependant qu'ils aient un réel pouvoir de décision pour prendre en compte toutes les situations non référencées dans les grilles de délégations ou des systèmes "experts" . Le champ d'exercice de cette approche est immense et recèle de vraies opportunités de différenciation. Bon courage !
Directrice du marché des professionnels chez Crédit Agricole Sud Rhône Alpes
8 ansJe partage complètement, la force de proposition des actions commerciales mise en place par ces unités commerciales est rapidement démontrée, reste compliqué pour le manager de ne pas céder à l'envie de revenir en arrière en imposant l'action, pour se rassurer dans les moments de doute.
✔ Group CFO - DAF
8 ansCela donne envie d'autant plus que cette démarche est à la portée de toutes les entreprises et secteurs d'activité car basée essentiellement sur les individus et leur contribution collective; on ne parle pas là de logiciels informatiques, de procédures,...etc. A la portée de tous pour peu d'être persévérants - 3 ans chez vous et c'est pas fini - de se "nourrir" du terrain - l'approche top-down souvent utilisée pour aller plus vite est en fait un frein à la participation collective, d'expérimenter voire de se tromper - difficile d'obtenir de nouveaux résultats sans changer ses comportements. Et puis travailler mieux ce n'est pas forcément travailler plus. Bravo et merci pour le partage.
Executive Talent Manager - Développement des Ressources Humaines
8 ans"Le client dispose désormais d’une équipe de conseillers dédiés qui vont intervenir en fonction de la nature de sa demande. Cette unité commerciale est composée de 4 spécialistes (services bancaires, assurances, habitat et financements de projets, épargne et des placements financiers) et d’un responsable de relation clientèle. Ces spécialistes travaillent ensemble autour des besoins du client, la coordination est assurée, sans lien hiérarchique, par le responsable de relation." "La compétence de chacun s’affine dans l’exigence et la bienveillance du collectif." "La réussite des uns dépend de celle des autres, ce qui est un formidable régulateur social." ... "toute une banque pour vous"