La Corse et la France

La Corse et la France


L'Europe a son île, la Grande-Bretagne, la France à la sienne, la Corse.

La Grande-Bretagne, est-ce l'Europe ?

La Corse est-ce la France ?

Un rapprochement qui n'est pas comparaison, mais qui met bien en lumière les problématiques géopolitiques et historico-politiques qui assaillent aujourd'hui l'Europe, l'Union européenne et les pays européens.

D'une part, une nation britannique fidèle tout au long de son histoire insulaire à la primauté de la liberté sur toute autre considération, comme l'explicite lucidement et avec beaucoup de justesse Gaspard Koenig dans Les Echos[1].

Par ailleurs, deux articles atypiques et forts intéressants sur la question corse parus dans Le Figaro écrits récemment par Natacha Polony et Ivan Rioufol échappent à l'unanimisme de la pensée française d'aujourd'hui de la plupart des médias comme des politiques[2].

Trois chroniques qui mettent parfaitement en lumière le poids de l'Histoire, et donc du passé, dans la mentalité des Anglais et des Corses ainsi que leur attachement viscéral à leur identité toujours davantage remise en cause par l'uniformité d'une mondialisation américanisée et  imposée encore aujourd'hui à l'Europe sous tutelle depuis la Première et surtout la Seconde Guerre mondiale.

Depuis la nuit des temps, et pour être plus exact, depuis la romanisation de la Gaule par les Romains, la France n'a cessé de privilégier le pouvoir d'un seul en un seul espace sur tous ceux qui pourraient l'équilibrer ailleurs. Cette attitude fondamentalement antidémocratique dans sa conception est devenue progressivement pour les Français le seul repère de leur vie politique.

Le pouvoir d'un seul a commencé par les rois germaniques qui ont conquis la Gaule sur l'Empire romain et qui ont pas à pas constitué la dynastie des rois de France et dont l'apothéose a été Louis XIV. Il s'est poursuivi, et surtout encore amplifié, avec la Révolution puis les régimes bonapartistes. Les IIIe et surtout IVe Républiques ont substitué temporairement le pouvoir d'un parlement impuissant à celui d'un seul jusqu'à la restauration nécessaire de l'autorité par un homme exceptionnel, Charles de Gaulle qui, lorsqu'il a voulu, sachant qu'il n'était pas éternel, régionaliser notre pays et répartir ainsi ses forces politiques, économiques et culturelles, s'est heurté aux refus des politiciens qui ne pouvaient imaginer un changement qui put leur enlever une once de pouvoir.

Le seul espace du pouvoir d'un seul, c'est évidemment Paris qui avait pris la place de Lyon, Lugdunum, capitale des Gaules romaines, après l'écroulement de l'Empire romain, la Gaule indépendante préromaine n'ayant aucune capitale capable d'imposer la loi d'un seul sur tous les autres. Paris qui, très vite, à l'exception de la période où les banquiers lombards firent très temporairement de Lyon à nouveau la capitale financière et économique de la France, éliminera tout État historique et toute ville concurrente en centrant uniquement sur elle toutes les activités humaines, le culturel, l'économique et le politique plus précisément puis videra "les Provinces" de tous leurs talents en les attirant à son profit et à leurs dépens.

Une évolution à l'opposé de celle de la grande majorité des autres pays européens, à commencer par l'Allemagne, l'Italie, la Suisse, mais aussi l'Angleterre qui ne parviendra pas à réduire à néant les identités écossaises ou galloises ou l'Espagne dont la volonté de "castillaniser" les Catalans, les Basques ou les Galiciens s'est heurtée à une opposition farouche.

La Corse, qui a été achetée par Louis XV aux Génois, puis écrasée militairement par les Français en dépit de la sagesse et de l'humanisme de son protecteur, Paoli, a encore aujourd'hui quelque raison de ne pas être tout à fait aussi française que les politiciens parisiens le souhaiteraient.

Si elle n'est pas le seul État de l'ancienne Gaule à avoir été vaincu par le pouvoir politique expansionniste natif des bords de Seine, elle a pour caractéristique fondamentale d'être culturellement "italianisante", et par conséquent différente de cette Gaule romanisée qui constitue toujours actuellement l'essentiel de la France, tout comme le sont, y compris linguistiquement, les Alsaciens, germanisés au VIe siècle, les Flamands, les Basques, les Niçois, les Bretons ou, dans une moindre mesure les Catalans ou les Gascons.

Il est évident que tant que la France ne reconnaîtra pas culturellement, mais aussi politiquement, la spécificité de ces "peuples" différents, qui ont néanmoins épousé une partie de son histoire de gré ou de force, elle ne pourra comprendre ses principaux voisins et donc former avec eux une Europe puissante, indépendante et libre.

Une incompréhension mortifère qu'elle partage aussi avec l'Espagne de Madrid qui ne veut pas admettre qu'en son sein existent d'autres peuples.

La Corse est aujourd'hui le révélateur d'une France et d'une Europe qui seront ou non remonter leur passé afin de s'accepter telles qu'elles sont, et ainsi pouvoir renaître et retrouver la beauté et la grandeur qui fut souvent la leur, comme a su le faire la très vieille Chine désormais plus jeune, vigoureuse et résolue que jamais.

 

[1] Les Echos, "Le Brexit ou l'affirmation d'une liberté", 7 février 2018.

[2] Le Figaro, "Macron, le côté obscur de la Corse" et "Cette complainte corse qui est à entendre", 9 et 10/11février2018.



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