LA GESTION DU DINAR ET LA CHERTÉ DE LA VIE
L’augmentation généralisée des prix que subissent les consommateurs a trouvé son expression statistique dans le bulletin de l’ONS (Office National des Statistiques) du 13 septembre 2022. L’inflation est évaluée à 9.4% sur un an à fin juillet 2022. Confronté à la réalité, ce chiffre peut être contesté. Pour la simple raison qu’il est une moyenne.Même pondérée, cette moyenne ne peut représenter la diversité des consommateurs. On connait la citation célèbre de Aaron Levenstein, un statisticien et professeur américain, qui affirmait avec humour : « Les statistiques, c'est comme le bikini. Ce qu'elles révèlent est suggestif. Ce qu'elles dissimulent est essentiel ». Retenons donc que ce chiffre nous suggère une tendance.
L’inflation s’est bien installée dans le quotidien des Algériens. Les consommateurs sont frappés de plein fouet par l’augmentation des prix. Leurs réactions se trouvent alors dirigées en premier lieu contre les « spéculateurs », ceux parmi les commerçants de gros et de détail qui provoqueraient ou exploiteraient les pénuries. Ils sont encouragés en cela par le Gouvernement. Une campagne médiatique et une répression policière et judiciaire contre les « spéculateurs » sont mises en œuvre. En admettant le phénomène de la spéculation, il serait plus utile à la manifestation de la vérité de mesurer son poids dans l’augmentation des prix des produits courants. Cela ne semble pas être l’intention de nos gouvernants. Ils encouragent la focalisation de l’opinion sur les pénuries « provoquées » et les prix « spéculatifs ». Ils mettent également l’accent sur la situation internationale tendue, conséquence de l’agression russe contre l’Ukraine. Cela permet de lier les prix à la géopolitique. Mais cela ne concerne qu’une partie des produits courants. De plus, la tendance à l’augmentation de ces prix avait commencé à se manifester avant cette guerre. Les prix de la farine, de la semoule et d’autres produits subventionnés ne correspondaient pas sur le marché aux prix officiels fixés administrativement. On peut donc relativiser l’impact de la situation géopolitique sur les prix. Les responsables du Commerce ont également mis l’accent sur les conséquences haussières du renchérissement du dollar ou de l’euro face au dinar algérien. Certes, c’est une réalité. Mais pas une fatalité. La fragilité du dinar doit être également corrélée à la faiblesse de nos exportations hors hydrocarbures et des investissements étrangers en Algérie. Ce sont deux domaines de notre économie tributaires des choix gouvernementaux. Les réformes économiques restent encore timides. L’ouverture plus grande aux investissements privés nationaux et étrangers est porteuse d’un renforcement de la monnaie nationale. Ce sont là, il est vrai, des mesures de moyen et long termes. Cela favorise donc la focalisation sur les manifestations immédiates de l’inflation et élude la cause profonde de cette inflation.
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En réalité, l’inflation n’est pas un phénomène à effet immédiat. Même si elle provoque une augmentation généralisée des prix, l’inflation agit progressivement et révèle son ampleur dans la durée. Les premiers bénéficiaires de la distribution de monnaie fournie par la planche à billets n’affrontent pas encore l’augmentation des prix. C’est une situation vécue à la suite de certaines augmentations spectaculaires de salaires qu’aiment promouvoir le Gouvernement. Ce n’est qu’avec la circulation de cette monnaie en excès que différents secteurs sont progressivement affectés par la dévalorisation du dinar. Contrairement aux thèses largement diffusées qui réduisent le phénomène à la production et la circulation des marchandises, l’inflation est un phénomène monétaire. Elle résulte d’une augmentation importante de la masse monétaire sans une augmentation correspondante dans la création des richesses nationales. Trop de monnaie en circulation pour une disponibilité insuffisante de produits provoque une augmentation des prix. L’inflation ne se confond pas avec une augmentation partielle de certains produits. Des perturbations dans la production et la distribution peuvent engendrer des mouvements de prix. Mais ce mouvement n’est pas général. L’augmentation des prix des produits courants obère les consommateurs au faible pouvoir d’achat. Leur demande reste forte sur ces produits de première nécessité. Par conséquent, leur demande est affaiblie sur nombre d’autres produits. Il en résulte donc un affaiblissement de la demande pour ces autres produits. Leurs prix ne sont pas sous la pression d’une forte demande dans un contexte de régularité de l’offre. L’augmentation générale des prix est un phénomène inflationniste. En réalité, c’est la monnaie surabondante qui a perdu de sa valeur. Ainsi, si l’on considère la période qui s’étend de 2010 à 2021, soit 11 années, il est possible d’évaluer la perte de valeur que subit le dinar et par conséquent le consommateur. Sur la base des taux d’inflation annuels fournis par l’ONS sur la période 2010-2021, le site « donnéesmondiales.com » fournit grâce à son calculateur un exemple. 1000 DA en 2010 ont subi une baisse de valeur en 2021 de 61,1%. Autrement dit, en 2021, vous avez nominalement toujours 1000 DA mais un pouvoir d’achat de 389 DA. Ou encore, il vous faut 1610,68 DA pour acquérir en 2021 l’équivalent marchandises des 1000 DA de 2010.
Cette réalité inflationniste peut se comprendre plus aisément en procédant à la lecture du tableau joint en image à l’article. Un relevé des évolutions du PIB (Produit Intérieur Brut) et de la masse monétaire pour la période 2010-2021 donne un accroissement de 4,20% pour le PIB au cours de ces onze années. La masse monétaire s’accroit de 141% pour ces mêmes onze années. Une relative stagnation dans la création de richesses et une masse monétaire multipliée par presque 2 et demi. Ne sont-elles pas là des tendances lourdes de notre économie ? Cela ne renvoie-t-il pas à la politique monétaire des gouvernements qui se sont succédé au cours de ces onze années ? Le débat ne doit pas être éludé. Même si l’augmentation des revenus des hydrocarbures exportés éloigne le moment de vérité à chaque flambée du prix du baril de pétrole. Mais jusqu’à quand ?