La niche parlementaire Liot : un cocktail explosif !

La niche parlementaire Liot : un cocktail explosif !

Une peur mine le gouvernement. Le 8 juin est marqué d’une croix blanche sur tous les calendriers. Le sort de cette journée est pour le moment imprévisible. Elle pourrait clore définitivement ou relancer de plus belle l’interminable séquence retraites que le gouvernement tente tant bien que mal de refermer. Ce 8 juin, c’est la “niche Liot”.


Qu’est ce qu’une niche parlementaire ?

Selon la constitution de la Vème République, le rôle de l’Assemblée nationale et de ses députés est pluriel. Le député a un pouvoir législatif et un pouvoir de contrôle du gouvernement. Le pouvoir législatif consiste à proposer, discuter, amender et voter des textes de loi et le contrôle du gouvernement s’effectue quant à lui par des auditions et missions d’informations. Pour réaliser au mieux toutes ces tâches, le calendrier de l’Assemblée nationale est divisé en plusieurs parties. Certaines semaines sont dédiées au contrôle mais la majorité du calendrier est réservé au gouvernement pour faire voter ses projets de loi et ainsi mener la politique de l’État. Dans ce calendrier déjà bien chargé, sont ajoutées des journées dites de “niches parlementaires” où les groupes parlementaires de l’opposition peuvent présenter leurs propositions de loi. Ils peuvent ainsi exercer leur droit d’initiative législative. Le 8 juin 2023 est la journée de niche parlementaire du groupe Liot.


Le groupe Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) est un groupe parlementaire de fait. C’est à dire qu’il ne regroupe pas les membres d’un même parti mais des députés issus de plusieurs bords politiques qui ont souhaité appartenir à un groupe parlementaire car cela leur donne plus de visibilité et de temps de parole que s’ils étaient non-inscrits. Les 20 membres de ce groupe se sont mis d’accord sur une déclaration politique commune. Même s'ils sont issus de mouvements centristes, régionalistes bretons, corses, ou d’Outre-mer, les membres du groupe Liot partagent un fort ancrage local et un socle de valeurs communes. Aux côtés de Bertrand Pancher, le Président du groupe, l’une des figures de proue de cette formation parlementaire atypique n’est autre que Charles de Courson. Député centriste depuis plus de 30 ans, il entretient son image d’expert des textes financiers et budgétaires dans l'hémicycle du Palais Bourbon. Habituellement assez discret, ce dernier a été l’une des figures de proue de l’opposition à la réforme des retraites.


Qu’est ce que va proposer le groupe Liot lors de sa niche parlementaire ?


Le groupe Liot est resté fermement opposé au texte des retraites, autant sur le fond de la réforme, qui repousse l'âge de départ à la retraite à 64 ans, que sur sa forme avec l’utilisation successive par le gouvernement des articles 47-1 et 49-3.


Déposée le 20 avril -soit quelques jours après la décision du Conseil Constitutionnel- la proposition de loi qui sera discutée le 8 juin prochain porte sur cette réforme. Le nom de ce texte ? “Proposition de loi abrogeant le recul de l’âge effectif de départ à la retraite et proposant la tenue d’une conférence de financement du système de retraite”. Cette proposition de loi, qui feuilletonne encore plus la séquence de la réforme, sera rapportée par Charles de Courson. Son objectif ? Abroger purement et simplement les principales dispositions du texte adopté par 49-3 et ainsi empêcher le recul de l’âge légal de départ à la retraite.


L’article 1 de cette proposition de loi doit donc abroger la réforme des retraites, le deuxième oblige l’exécutif à organiser une grande conférence de financement pour garantir la pérennité du système de retraite, et le troisième et dernier article équilibre le texte du point de vue budgétaire (on dit que le texte est “gagé”). 


Bien que le texte n’ait aucune chance d’être voté au Sénat, et donc d’être promulgué, une adoption en première lecture à l’Assemblée nationale aurait un goût de séisme politique pour le gouvernement.


Ce vote des représentants du peuple contre cette réforme adoptée suite à un passage en force aurait une grande portée symbolique. En plus de délégitimer la loi et le gouvernement qui l’a portée, la crise politique pourrait peut-être mener jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale ! C’est en tout cas ce qu'affirme un cadre de la majorité : “Le vote de l’abrogation serait explosif dans l’opinion et ne pourrait entraîner qu’une dissolution !”.


Pour que le texte soit adopté par l’Assemblée, Charles de Courson doit réunir une majorité simple (la majorité des députés présents) et non pas absolue (la majorité des députés). Pour maximiser les chances du rejet de la proposition de loi, les cadres d’Ensemble ont déjà appelé leurs troupes à être présents ce jour-là au Palais Bourbon.


Sans surprise, cette proposition de loi devrait recevoir le soutien des députés de la Nupes et du RN. Les Républicains quant à eux jouent le rôle de pivot. Politiquement favorable au texte, la formation politique fait face à des dissensions internes. De plus, les dispositions qui n’ont pas été retenues par le Conseil Constitutionnel -les fameux “cavaliers sociaux”- étaient en partie les gages ajoutés par les LR du Sénat. Cela pourrait pousser des élus LR à voter en faveur de l’abrogation de ce texte considéré comme mal adopté et peu soucieux de l’intérêt général.


Pour évaluer ses chances, la majorité parlementaire a sorti les calculettes. Sylvain Maillard, député cadre du groupe Renaissance est perplexe "Arithmétiquement c'est compliqué. On verra comment ça se passe en commission, mais si la donne reste la même qu'il y a un mois, ça va être difficile."


Pour éviter d’aller jusqu’au vote, la majorité a la possibilité de faire de l’obstruction parlementaire et de déposer des centaines d’amendements pour que le vote n’ait pas lieu (la niche parlementaire s’arrête à minuit). Cette option est risquée car une nouvelle motion de censure serait alors sûrement déposée par Liot. Sachant que la dernière n’a été rejetée qu’à 9 voix près, cette option est très risquée. Pour rappel, cette motion de censure avait été déposée par le désormais incontournable Charles de Courson. L’obstruction parlementaire ne devrait pas être utilisée par la majorité.


Le gouvernement pourrait aussi pousser le bureau de l’Assemblée à faire jouer l’article 40 de la constitution qui impose à une proposition de loi de ne pas créer de déficit budgétaire. Cela rendrait le texte irrecevable et il ne pourrait pas être voté. La Présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet aurait déjà exprimé sa réticence quant à cette option. Une chose est sûre, si le vote a lieu, le résultat sera serré.


Mais selon certaines sources, l’opposition de Liot ne s'arrêterait pas à cette réforme. Le groupe parlementaire et son président Bertrand Pancher souhaiteraient la création d’un “contre gouvernement”. Porté par Liot et qui rassemblerait du RN jusqu’à la Nupes en passant par quelques LR et même des membres de la majorité, ce “contre gouvernement” se formerait autour d’un programme établi à l’avance. Malgré la promulgation de la loi, la réforme des retraites nous réservera encore et toujours des surprises.


#liot #assembleenationale #pancher #nicheparlementaire #retraites #reforme

Gilles Filiberti

AVENIR MUTUELLE Vice-Président

1 ans

Double paradoxe : le «  porteur » de cette PPL s’était construit une image d’intransigeance de l’équilibre impérieux des comptes public. Fidèle à cet engagement de toute une (longue) vie parlementaire il s’est fait élire, il y a peine un an sur la promesse de la retraite à 65 ans.

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