La retraite, les 7 chiffres de Pierre Gattaz, et la nostalgie du monde d’avant

La retraite, les 7 chiffres de Pierre Gattaz, et la nostalgie du monde d’avant

Dans un argumentaire, diffusé notamment par la Tribune, l’ex Président du Medef, affirme son soutien au projet de réforme. Comprenant, à raison, que la “bataille” politique s’engage autour de chiffres-symboles (64 ans, 172 trimestres), Pierre Gattaz entend convaincre son auditoire, à travers 7 chiffres clés, du déclin de la société française qui a perdu le goût du travail. Et du nouvel élan qu’apporterait cette indispensable réforme des retraites.

Reprenons ces 7 chiffres avec la même grille de lecture que l’auteur.

1/ 13 et 12 ans de gain d’espérance de vie en bonne santé pour les hommes et femmes depuis 1960 constitue le socle du raisonnement. Nous vivons mieux, en conséquence nous pouvons travailler plus longtemps. Une approche a priori logique sous-tendue par l’idée que le travail est source d’épanouissement. Mettons de côté ce postulat et concentrons nous sur les chiffres. S’ils sont incontestables, il ne s’agit que de moyennes et le critère “espérance de vie en bonne santé” pourrait tout aussi bien légitimer une approche par métiers ou par catégories professionnelles. L’Insee documente ce sujet depuis des années. Ainsi, l’espérance de vie en bonne santé d’un homme cadre de 35 ans est-elle de 6 ans supérieure à celle d’un homme ouvrier et d’un 5 ans à celle d’un homme employé. Ces mêmes chiffres pourraient alors justifier une réforme ouvrant la retraite aux premiers à 70 ans et aux seconds à 62 ans. Contraire au principe d’égalité ? A voir, car, dans les exemples cités ici, chacun aurait, en moyenne et statistiquement, une espérance de vie en bonne santé, égale, de 15 ans à la retraite.

2/ Les français travaillent 1680 h/an, soit bien moins que la moyenne européenne (1846 h). Les chiffres choisis par M Gattaz prêtent en eux-mêmes à caution. L’OCDE, en 2020, prenant en compte les salariés et les indépendants, placent les français devant les allemands, les hollandais ou les danois. Le propos, en ce qu’il veut étayer l’idée que les français n’aiment pas travailler, est donneur de leçon ou maladroit. Il éclaire en revanche en creux une réalité que l’ex-Président du Medef aurait pu utilement commenter : le taux d’emploi est plus faible en France que chez nos voisins européens. 8 à 10 points de moins que les allemands, hollandais, suédois, danois, autrichiens, etc. Une marge de progression significative pour augmenter la quantité d’heures travaillées ET le nombre de cotisants.

3/Chez nos voisins et “concurrents” européens, les gens partent effectivement à la retraite plus tard qu’en France (64.5 ans contre 63 ans). Ce chiffre est-il significatif de la prospérité économique du pays comme le laisse entendre Pierre Gattaz ? Considérant que parmi les 6 Etats où les personnes partent le plus tardivement à la retraite on trouve la Lettonie, l’Islande, la Roumanie, l’Estonie, la Suède et la Suisse, on peut en douter.

4/ Le déficit de 13.5Mds€ du système de retraite, prévu pour 2030, nécessite un effort collectif. Tout le monde peut s’accorder sur un principe de bonne gestion. Le chiffre est extrait des prévisions du COR, et il constitue l’un des scénarios évoqués par cet organisme. Le même organisme dit aussi que les dépenses liées aux retraites vont baisser à partir de 2035 et le système pourrait devenir excédentaire à partir de 2070. Beaucoup a déjà été dit sur les différents scénarios proposés, la fragilité des hypothèses sous-jacentes (taux de croissance, taux d’emploi, etc.) à 10 ou 15 ans, voire l’indépendance du Conseil en question — la Première Ministre s’en prenant elle-même récemment à la liberté de parole du président dudit Conseil. Il faut constater aujourd’hui que la neutralité et l’objectivité attendues de ces instances non-élues ne compensent pas la défiance à l’égard des représentants. Davantage qu’un débat technocratique, l’époque demande des débats sur les principes, les idées et les objectifs visés par les projets politiques. Un équilibre budgétaire se suffit pas à motiver des choix politiques, surtout en France où l’Etat est en déficit depuis 1974.

5/ Notre dette publique est en effet devenue incommensurable pour tout un chacun. 3000 milliards d’€, 3 trillions d’€, une somme que la pensée humaine peine à percevoir. Le résultat de 48 ans de déficit public ininterrompus dont la perception ne saurait être changée par 13 milliards de plus ou de moins. Dès lors, ce chiffre est hors-sujet dans le débat sur la réforme des retraites. Il soulève en revanche la question de l’organisation de l’Etat à prélèvements constants puisque les nombreuses baisses d’impôts sollicités et obtenues par le Medef n’ont pas généré de résultats significatifs en termes de création d’emplois et de richesses.

6/En 43 ans, nous sommes passés de 4 actifs pour un retraité, à un ratio de 1.7 pour 1. Dans 10 ans, nous serons à 1.4 pour un. Etonnamment, à part le constat de “fragilisation” du système de répartition, l’ex Président du Medef ne tire aucun enseignement de ces données. C’est pourtant là que pourrait se situer le débat politique. Dès lors que notre système de répartition n’est plus viable en l’état — le report de l’âge légal n’est alors qu’un pansement sur une jambe de bois — , il faut repenser le contrat social et l’organisation de la solidarité intergénérationnelle.

7/Le report de l’âge de la retraite impacte positivement le PIB (+1% en 2027). Formidable serait-on tenté de dire ! Pourquoi ne pas alors le repousser plus encore au regard de la dette publique considérable qu’il nous faut rembourser ? Le raisonnement par l’absurde permet parfois de toucher à l’inanité de certains propos.

Ces 7 chiffres éclairent des lignes de césure politique, une forme de détachement des élites, et une grille de lecture du monde, datée, ancrée dans les trente glorieuses, peinant à percevoir les nouveaux enjeux. Merci à Pierre Gattaz de cette communication qui permet d’ouvrir le débat de façon plus transparente.

@pierregattaz #retraite #emplois #insertion #goutdutravail

Jean-François Gachet

Gérant d'une structure de formation professionnelle

1 ans

Tres bel article. Complet, détaillé et juste. Il résume assez bien ma pensée profonde sur le sujet. Je suis assez fan de la preuve par l'absurde (méthode que j'utilise souvent face à interlocuteur borné). Ceci dit, le thème de la retraite est en même temps commun à tous et particulier à chacun ce qui en fait un sujet particulièrement complexe à gérer. Quelque soit le système, il y aura des déçus, des perdants. Mais j'estime qu'il doit être protégé dans sa forme et que s'il "participe (?) " au déficit général, il n'en est pas la première cause. Il faudrait peut-être commencer par là.

Hervé Humbert

Revenues growth is good? But convinced it could be even better?

1 ans

Très bon article. Le côté report âge de retraite = amélioration PIB est démonstratif de quelqu'un qui n'a pas encore compris que cet indicateur ne tenait pas en compte tout un ensemble d'externalisatés qui sont néfastes (environnement, stress, etc...). C'est dur de faire changer les esprits...

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