LA SUPERSTITION

LA SUPERSTITION

 

Tous les symboles sont des mythes, mais si nous les prenons pour des réalités ou pour des vérités divines, alors ils deviennent des superstitions. La multitude, toujours plus instinctive que pensante, s'attache aux idées par l’image ou par les formes. L’être humain se caractérise par un  besoin  atavique de protection. Ni le sol qui le supporte, ni le sentiment communautaire,  ni même la foi ou l’amour et encore moins la sécurité sociale ne représentent  pour ce trouillard viscéral des abris suffisants. Nos vaillants ancêtres les Gaulois que rien n’effrayait ici-bas, redoutaient pourtant  que l’empyrée ne leur chût  sur le crâne. Quant à la plupart des autres peuples, elle craignait qu’en se levant matin, elle ne trouvât un ciel déserté par le soleil.

Il semble très difficile de donner une assertion générale de la superstition. Des croyances  aujourd’hui considérées comme ineptes étaient tenues hier pour des savoirs ne méritant aucun opprobre particulier. Étymologiquement, la superstition renvoie à la divination – et c’est pourquoi on classe comme pratiques superstitieuses toutes ces pratiques qui croient deviner dans les phénomènes naturels les signes de la volonté de Dieu ou de la Providence. Le terme désigne d’emblée les prétentions à reconnaître dans des signes, un dessein conscient. La superstition commence dès que survient la croyance que certains événements, que nos actes ont une conséquence positive ou négative, que certains objets, animaux ou personnes portent systématiquement bonheur ou malheur, que certains phénomènes sont des présages automatiquement suspicieux ou funestes. La superstition est finaliste (tout existe en vue d'un but, une tuile tombe d'un toit sur une tête pour punir l'individu), et anthropocentrique (ce but des actions de la nature est toujours, comme par hasard, l'homme). Les origines en sont historiques, religieuses, ou parfois liées à des événements de la vie ordinaire. Ainsi certaines configurations s’avèrent-elles  fastes et  d’autres néfastes : étoile filante, vendredi 13, chat noir, trèfle à quatre feuilles, patte de lapin, miroir brisé, fer à cheval 1. En général, chacun connaît ces superstitions ancestrales, mais plus personne ne se souvient de ce qui les motive.

De nouvelles superstitions se sont créées avec le temps et les conséquences que peuvent avoir des objets du monde contemporain en font une source inépuisable. La science elle-même peut être à l’origine de nouvelles superstitions. Elle va souvent contre nos idées les plus spontanées, elle est donc, pour l’esprit insuffisamment instruit, une nouvelle forme de pensée magique. Il en va autant du conspirationnisme qui est à la politique ce que la superstition est à la religion, le fantasme d'un ordre personnel caché régnant grâce à l’interaction de forces occultes2. La théorie du complot ressurgit par vagues dans le paysage politique. Ces croyances sont souvent d’ordre culturel, c’est-à-dire partagées à des degrés divers selon les sociétés et les époques. Comme le suggérait Spinoza, la superstition naît de l’ignorance des causes. Même chez les personnes cultivées et rationnelles que nous prétendons  être, c'est chose curieuse de voir combien généralement, nous restons attachés à des doctrines que nous avons rejetées de nom ; gardant la substance après en  avoir abandonné la forme. Car les personnes superstitieuses ne sont pas moins rationnelles ou moins intelligentes que d’autres, mais beaucoup plus angoissées ou plus opprimées. Et si comme le pensaient Pascal et Schopenhauer, la superstition n’était qu’un divertissement, une distraction  de l’homme pour ne pas se trouver en face de sa propre réalité, de son état d’être mortel ? Ce qui est moralement suspect n’est pas nécessairement moralement mauvais.

 

1Le fer à cheval fut de tout temps un fétiche privilégié. Une chose est sûre,  le fer à cheval  ne porte bonheur qu'à condition d'être trouvé par hasard sur un chemin, d'avoir l'ergot [qui s'accroche à la corne du sabot] tourné vers le sol et de comporter sept trous, quatre sur la branche gauche, trois sur celle de droite. Il protège du Diable lorsqu'il est cloué en forme de C [initiale du Christ], face à la porte d'entrée. Certains prétendent qu'il faut l'accrocher pointes vers le haut, afin que ses pouvoirs ne s'échappent pas !

2Le Dieu de la nature chez le superstitieux devient l'Oppresseur diabolique chez le conspirationniste. S'il existe bien des  secrets, des conjurations et des magouilles, il ne saurait  exister de volonté toute puissante, c'est-à-dire qui maîtrise les effets multiples et contradictoires de ses actions. Depuis Nietzsche Dieu est mort, il n’est plus la cause de la politique !

 

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