L'ART DE LA GUERRE ECONOMIQUE. S'inspirer de Sun Tzu?

L'ART DE LA GUERRE ECONOMIQUE. S'inspirer de Sun Tzu?

"L'objectif de la guerre est de contraindre l'ennemi à abandonner la lutte y compris sans combat... pour s'assurer la victoire à moindre coût".

Dès la naissance officielle de l’intelligence économique, le concept de guerre économique fait son apparition dans le rapport de la Commission Martre publié officiellement en février 1994. L’un des rédacteurs les plus actifs Christian Harbulot, conseiller officiel de cette commission « Intelligence économique et stratégie des entreprises » du XIème Plan, avait dessillé les yeux de beaucoup d’entre nous, chiffres à l’appui, sur la réalité et souvent l’acuité de ce que l’on peut qualifier de guerre économique entre les puissances majeures de la planète. Déjà, en octobre 1992, il avait publié « La machine de guerre économique » (Economica) et dans le rapport de la Commission Martre, cette notion de guerre économique si elle n’est pas claironnée apparaît sous-jacente dans les chapitres traitant notamment de l’influence ou des politiques économiques des pays les plus actifs.
             Dans mon dernier post publié début août j’ai consacré quelques pages à certains articles du numéro de juillet 2016 de la Revue des Affaires consacré « aux grands affrontements et à la conflictualité dans de domaine économique ». Je reviens brièvement sur un autre article de ce numéro : « L’arme informationnelle dans la nouvelle conflictualité médiatique ». Mon attention a été attirée par un nom propre bien connu cité au début du texte et fréquemment mentionné lorsqu’on traite de stratégie militaire : Sun Tzu.
Bien que beaucoup d’entre vous le connaissent, il me semble utile de donner quelques éléments concernant ce personnage qui énonce dans le dernier article de son livre L’art de la guerre : « Une armée sans agents secrets est un homme sans yeux ni oreilles ».
Cette petite phrase peut paraître banale mais elle indique à celui qui s’intéresse au renseignement sous toutes ses formes que le texte mérite d’être consulté.


L’art de la guerre : Ce célèbre ouvrage est l’œuvre du général et stratège chinois Sun Tzu qui serait né en 544 et mort en 496 avant J.-C. (Il convient de préciser que certains nient jusqu’à l’existence de cet homme). Il serait excessif de dire que ce livre n’a pas pris une ride mais beaucoup de stratèges militaires de différentes nations l’ont étudié et mis en pratique et il est généralement reconnu comme étant une pièce essentielle dans leur domaine.
       Un petit coup d’œil sur Wikipédia confirme que l’Art de la guerre de Sun Tzu est l’ouvrage de stratégie militaire le plus ancien connu. L’encyclopédie ajoute à juste titre que cet ouvrage fait ressortir que « l’objectif de la guerre est de contraindre l’ennemi à abandonner la lutte y compris sans combat, grâce à la ruse, l’espionnage et une grande mobilité » cela pour « s’assurer la victoire à moindre coût ».

La possible transposition, au moins partielle, de cet objectif à la guerre économique explique pourquoi l’IE s’y intéresse.
A l’ère du numérique il est très facile de se faire une opinion sur son contenu car le livre est disponible en format Kindle, stockable et lisible sur les PC, les tablettes ou même les smartphones et non pas uniquement sur les liseuses Kindle. Je me suis procuré ce livre en 2014 dans l’édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » dans sa traduction française due au père jésuite Amiot au 18ème siècle, (il en existe d’autres). Le texte est structuré en treize Articles :
1. De l’évaluation.
2. De l’engagement.
3. Des propositions de la victoire et de la défaite.
4. De la mesure dans la disposition des moyens.
5. De la contenance.
6. Du plein et du vide.
7. De l’affrontement direct et indirect.
8. Des neuf changements.
9. De la distribution des moyens.
10. De la topologie.
11. Des neufs sortes de terrains.
12. De l’art d’attaquer par le feu.
13. De la concorde et de la discorde.
Le format Kindle présente l’avantage d’un accès direct à tel ou tel de ses articles en cliquant sur lui à partir de la table des matières.


Connaissance de « l’ennemi »
C’est un point essentiel sur lequel Sun Tzu insiste à plusieurs reprises dans son livre et particulièrement dans l’article 13 (De la concorde et de la discorde) :
« … multipliez les espions, ayez-en partout, dans le propre palais du prince ennemi… ayez une liste des principaux officiers qui sont à son service ; sachez leurs noms, leurs surnoms, le nombre de leurs enfants, de leurs parents, de leurs amis, de leurs domestiques ; que rien ne se passe chez eux que vous n’en soyez instruit. » Il reprend là ce qu’il exprime à la fin de l’article 3 (Des propositions de la victoire et de la défaite) « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même … Si tu connais ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales. Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites ».
        Lorsque nous recommandons en intelligence économique de réaliser dans l’entreprise des fichiers relationnels internes (notamment du type « Qui fait quoi ?») puis de les externaliser en les étendant petit à petit au personnel des entreprises concurrentes (ça peut être long et difficile) nous avons une approche visant à tendre vers la connaissance totale que Sun Tzu préconise.
Une phrase de ce même article 3 a retenu mon attention : « Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent ». Elle m’a paru d’un usage universel et j’avais déjà vu ça quelque part et récemment… en fait je me suis souvenu que cette phrase se trouvait stockée dans mon smartphone. Où ? Dans un fichier Pdf d’un peu plus de cinquante pages téléchargé au printemps dernier, « Citations du Président Mao Tsé Toung » (publication longtemps désignée dès sa parution en 1964 sous le nom de « Petit livre rouge » qui a fait un tabac dans le monde entier) où l’on trouve page 41 la directive suivante : « N’attendez pas pour les résoudre, que les problèmes s’accumulent et donnent lieu à de multiples complications ». Intéressant de noter que 2500 ans après Sun Tzu, le Grand Timonier, autre Chinois célèbre, confirme ce point essentiel. (Notons au passage qu’on est très loin d’Henri Queuille qui, Président du Conseil de notre 4ème République, écrivait : « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. »).
Pour en revenir à Mao il est impensable qu’il ait ignoré l’œuvre de Sun Tzu même si ce nom n’est pas évoqué dans ses citations alors que certaines rappellent des articles de l’Art de la guerre.


Désinformation
        Parmi les risques caractérisant les actuels flux d’informations numériques à accès instantané et universel, l’intelligence économique doit considérer la surinformation et la désinformation qui est l’utilisation des techniques de l’information, notamment de l’information de masse (Internet via les réseaux sociaux par exemple) pour induire en erreur, cacher ou travestir les faits. Plus grave encore la déstabilisation, également possible via divers vecteurs numériques, est une modification volontaire de l’équilibre économique, commercial ou social d’une entité pour lui nuire et en tirer bénéfice par diffusion de rumeurs.
        Des actions similaires particulièrement pernicieuses se retrouvent dans cet extrait de l’Art de la guerre (Article 1 : De l’évaluation) qui recommande de leurrer l’ennemi : « Toute campagne guerrière doit être réglée sur le semblant ; feignez le désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à l’ennemi pour le leurrer, simulez l’infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion… ».
Tout cela est fort alléchant me semble-t-il et ces quelques évocations de « L’Art de la guerre » vous donneront peut-être envie d’approfondir la question.


Plus d’informations sur Sun Tzu ?
          Si vous ressentez cette envie, commencez par lire ce livre pas très volumineux. (Je ne peux pas être plus précis car ma version Kindle ne mentionne pas de nombre de pages ou de caractères). Ensuite vous pourrez vous renseigner auprès du groupe Sun Tzu France.
Le groupe Sun Tzu France donne les informations concernant une Journée mondiale Sun Tzu programmée pour l’an prochain :
« L’ONU a accepté la création de la journée mondiale Sun Tzu. Celle-ci a été fixée au 20 octobre jour de naissance du stratège chinois. La première édition aura lieu le 20 octobre 2017 et sera célébrée en grande pompe par la Chine qui est à l’origine de cette demande. Sun Tzu France se mobilisera pour cette journée et envisage l’organisation de symposiums dans toutes les grandes villes de France sur cette journée ».
Le groupe précise que Sun Tzu est le premier militaire à se voir consacrer une journée mondiale, « et il restera probablement le seul tellement sa pensée est atypique en exhortant à une forme de non-violence de la guerre ». On lit en effet dans l’article 3 : « Remporter cent victoires après cent batailles n’est pas le plus habile. Le plus habile consiste à vaincre l’ennemi sans combat ».
La guerre économique peut aussi être considérée comme « une forme de non-violence de la guerre ».
Et Machiavel dans tout ça ?
      Ma prise de contact avec Sun Tzu m’a rappelé une lecture faite il y a longtemps, « Le Prince » de Nicolas Machiavel, dont la tonalité présentait des analogies avec l’œuvre du stratège chinois antique. Je me suis donc replongé dans les Œuvres Complètes de Nicolas Machiavel rééditées par La Pléiade en 2010 et j’ai feuilleté les quelques dizaines de pages correspondantes (pages 289-371). J’ai ensuite abordé le plus volumineux Art de la Guerre (pages 723-910). Bien qu’il y ait un certain cousinage entre Machiavel et Sun-Tzu aucune indication du stratège chinois n’apparaît dans l’index de la fin de l’ouvrage.
Deux versions de L’art de la guerre en format Kindle
J’ai eu la surprise il y a quelques jours de voir qu’il existait « L’art de la guerre » en format Kindle contenant à la fois le texte de Sun Tzu et celui de Machiavel !! D’une pierre deux coups ! Les deux textes sont édités l’un à la suite de l’autre sans aucun commentaire entre les liens susceptibles d’exister entre eux.
Cet ouvrage que j’ai commandé en un click pour moins de deux euros me permet d’avoir ces textes sous la main sur mon PC, mon iPad et mon iPhone ce qui me laissera toute latitude pour les compulser au bureau, au salon ou en vadrouille dans les quelques mois à venir. (J’ai pu noter au passage que les titres des treize chapitres ne sont pas toujours les mêmes que dans l’exemplaire Kindle que j’avais acquis en 2014.)
Ma faculté d’émerveillement a encore une fois été exaltée par la richesse informationnelle qu’apporte le numérique à notre époque !
Je reviendrai peut-être sur Sun Tzu avant la fin de 2016 si cela me paraît utile.
                                                                                                           François Jakobiak
                                                                                                            Septembre 2016

Illustration : Yin et Yang, les deux entités de la cosmologie chinoise. (Photo F.Jakobiak)

Franck BOULOT

Responsable Patrimoine Immobilier (Maintenance, travaux, expertise sinistre, et gestion, contentieux, HSE...)

8 ans

François Jacobiak est modeste. Il a commis d’importantes études sur la problématique de l’IE. Et, fait partie des précurseurs. Il nous a ouvert la voie. Notamment avec « Exemples commentés de veille technologiques » que j’avais beaucoup apprécié alors que j’étais, modeste provincial, parmi les éminents membres du comité de travail qui donnera le « Rapport Martre ». Eh oui, les dirigeants de tous les pays ont du lire Machiavel. Certains seulement Sun Tzu.

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