LE CONTRÔLE DE PROPORTIONNALITÉ EN DROIT COMPARE
I : Le contrôle de proportionnalité
Le contrôle de proportionnalité a été inauguré en matière d'expropriation, par la théorie du bilan, puis il a été progressivement étendu à d'autres hypothèses. Il convient de souligner que l’Administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans le choix de procéder ou non à l’expropriation pour cause d’utilité publique. Mais dès que le choix est fait, les différentes phases de la procédure administrative ne sont pas toujours discrétionnaires ; notamment l’appréciation de l’utilité publique. Tel est le contexte dans lequel s’inscrit la théorie du bilan, basée sur le contrôle de proportionnalité entre les couts de l’opération projetée et les avantages escomptés.
A. La théorie du bilan
La notion est née en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Elle permet au juge de l’excès de pouvoir d'apprécier si, dans l'expropriation projetée, les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard aux avantages escomptés. Ce principe est dégagé par le Conseil d'Etat par l'arrêt Ville Nouvelle Est[1]. Les inconvénients nés de l'expropriation ne doivent pas être excessifs par rapport aux avantages attendus.
On peut considérer que d'une part, le juge administratif exerce un contrôle complet des éléments de fait du dossier tant du côté des avantages qui ont motivé la décision de l'autorité administrative à la réalisation du projet, que des inconvénients résultant de ce projet.
D'autre part, il s'agit d'une mise en équivalence, d'une stricte proportionnalité, car le juge est prêt à sanctionner les atteintes excessives, c'est-à-dire lorsqu’il y a plus des inconvénients que des avantages. La théorie du bilan n'est certes pas d'application fréquente. Pour être mise en œuvre en matière d'expropriation, il faut que la décision administrative ait déjà résisté à deux examens successifs : celui de l'existence d'un intérêt public, c'est-à-dire en d'un besoin réel ; celui de la nécessité de l'expropriation c'est-à-dire le même résultat ne pouvant pas être obtenu par d'autres procédures.
B. Les autres domaines du contrôle de proportionnalité.
Le contrôle de proportionnalité s'applique dans des domaines divers, comme en matière de mesure de police et de sanction disciplinaire.
1. Le contrôle de proportionnalité en matière de mesure de police
Dans ce domaine, le principe de proportionnalité est appliqué de façon très rigoureuse par le juge. Une décision ne sera légale qu’à condition d’être pleinement proportionnée aux faits. Les mesures de police ne sont légales que si elles sont nécessaires. Une mesure de police est donc illégale si elle porte atteinte à une liberté alors qu’elle n’est pas nécessaire pour éviter tout trouble à l'ordre public. Le juge vérifie ainsi l’adéquation de la décision à la situation de fait compte tenu de l’objectif recherché par l’autorité. C'est le cas dans l'arrêt Benjamin du Conseil d'Etat en 1933 : l’interdiction d’une réunion n’est pas légalement justifiée dès lors que des mesures plus souples permettaient de préserver l’ordre public.
En l'espèce, le maire aurait pu en faire appel à la gendarmerie et la garde mobile, pour éviter tout désordre, tout en laissant René Benjamin donner son conférence.
Dans cette affaire, Sieur Benjamin devrait donner à Nerves une conférence littéraire, « Deux auteurs comiques : Courteline et Sacha Guiny ». Les instituteurs syndiqués firent savoir au maire qu'ils s'opposaient par tous les moyens à ce qu'il n’y ait lieu la conférence d'un homme « qui avait sali dans ses écrits le personnel de l'enseignement laïc »[2]. Par la presse, les tracts et les affiches, ils convièrent à une contre-manifestation des défenseurs de l'école publique, des syndicats, des groupements de gauche. Le maire de Nevers prit, à, la suite de cette campagne, un arrêté interdisant la conférence de Sieur Benjamin. Puis le syndicats fit une annonce et substitue la conférence publique en conférence privée.
2. Le contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires
L’Administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire en matière de déclenchement de l’action disciplinaire. Cependant ces appréciations discrétionnaires connaissent des limites, une fois que la poursuite disciplinaire est engagée contre un fonctionnaire. Parmi ces limites figure le respect du principe de proportionnalité des sanctions.
Le juge administratif opère un contrôle de proportionnalité sur les décisions administratives portant sanctions disciplinaires. Car la nature de la faute commise et la gravité de la sanction infligée ne doivent pas être disproportionnées, c'est-à-dire que les sanctions doivent être proportionnelles à la faute commise. Ce principe est dégagé par l'arrêt RAHOLDINA Fiara.
Dans cette affaire, le Sieur RAHOLDINA Fiara Hafadrainy Augustino, ancien-Administrateur Civil, sollicite de la Chambre Administrative l'annulation des arrêtés du 29 février 1980, par lesquels il a été révoqué de son emploi avec déchéance définitive des droits éventuellement acquis à pension et déclaré incapable, à jamais, d'exercer aucune fonction publique. Or, en l'espèce, les irrégularités commises par le Sieur RAHOLDINA l'ont été sous la pression des circonstances dont l'insuffisance des crédits attribués à la sous-préfecture pour la continuité du service public. La Cour a statué que les sanctions prises par l'Administration sont disproportionnées car elles : « … font apparaître, que l'Administration n'a pas toujours fait les diligences nécessaires à une réelle manifestation de la vérité ... »[3]
II : LE CONTRÔLE DE PROPORTIONNALITÉ EN DROIT COMPARÉ
Le contrôle de proportionnalité, comme on le connaît déjà, a pour objectif de limiter l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Administration.
Au niveau international, on peut distinguer deux principaux systèmes de contrôle de proportionnalité. Le premier a été inauguré par la jurisprudence constitutionnelle allemande par l'utilisation du terme proportionnalité. Elle est actuellement suivie par plusieurs pays dont la France et Madagascar. Le second applique le principe du raisonnable et de la balance. En fait, il y a d'une part le système romano-germanique, et d'autre part le système anglo-saxon.
§1- Le système romano-germanique
Michel FROMONT, en étudiant le principe de proportionnalité en droit allemand, l'a défini comme : « principe qui prohibe toute atteinte excessive aux droits ou à la situation d'un individu et qui impose à l'Etat une obligation de modération »[4].Dans ce sens, le principe de proportionnalité comprend trois éléments : la pertinence, la nécessité et la proportionnalité au sens strict. Mais avant tout, nous allons résumer successivement la genèse du contrôle en droit romano-germanique.
A. La genèse du contrôle de proportionnalité
Madagascar est l'un des pays qui adopte le système romano-germanique. Il nous semble alors opportun d'étudier le modèle allemand notamment le contrôle de proportionnalité sur sa genèse et son influence à travers les doctrines dont celles d’Otto MAYER et Walter JELLINEK
1. Doctrine d’Otto MAYER
Otto Mayer est le précurseur du principe de proportionnalité en Allemagne par le biais de son ouvrage : « Traité de droit administratif »[5]. Il a utilisé, le terme proportionnalité « du moyen de défense contre un danger, pour décrire le comportement légal d'une autorité de police »[6], une image évangélique : « on ne doit pas attacher le blé avec la mauvaise herbe »[7], il précise sa pensée : « … La réaction de l’autorité de police ne peut viser que l’administré dont provient la perturbation lorsque la loi autorise des mesures énergiques, cela va de soi. Mais en outre en raison de son fondement dans le droit naturel, l’exigence de proportionnalité de la réaction demeure valable et détermine l’ampleur de la manifestation de la force qui est considérée comme admissible (…) Là où le maintien de l’ordre semble devoir être assuré par un moyen plus doux l’autorité, commet un excès de pouvoir si elle emploie un moyen plus brutal »[8].
La Cour Constitutionnelle Fédérale d'Allemagne a donné un sens substantiel du principe de proportionnalité qui s'imposerait aux autorités publiques dans l'exercice de leurs pouvoirs de police. Ce principe est aujourd'hui d'ordre constitutionnel[9], implicitement consacré par la Loi Fondamentale Allemande de 1949, en constituant la liaison emblématique de l'Etat de droit avec les droits fondamentaux. Pourtant, il demeure un principe d'origine jurisprudentielle.
2. Doctrine de Walter JELLINEK
Le principe de proportionnalité occupe dans le droit allemand une place particulière, exprimée par la phrase de W. JELLINEK: « On ne tire pas sur les moineaux avec un canon »[10], c'est à dire que les moyens utilisés doivent être équivalents au but, autrement dit il faut qu’il y ait un équilibre entre les parties concernées.
À la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, les auteurs allemands ont étudié le principe de proportionnalité dans le cadre du pouvoir discrétionnaire. On a essayé de cette façon de limiter le pouvoir de l'exécutif, qui n'a pas été contrôlé par un Parlement fort et démocratique. À la place d'une révolution qui n'avait jamais eu lieu, la doctrine a construit un mécanisme juridique afin de balancer le pouvoir de monarque et sa police.
Ainsi selon W. JELLINEK, « le pouvoir discrétionnaire se limitait au pouvoir non prévu par la loi. Toute conception insérée dans le texte pourrait faire d'un contrôle juridictionnel, en statuant sur les moyens en rapport avec la fin poursuivie »[11].
B. Les éléments du contrôle de proportionnalité
Le contrôle de proportionnalité comporte trois éléments: la pertinence, la nécessité ainsi que la proportionnalité au sens strict.
1. La pertinence et la nécessité
Le principe de pertinence correspond à l’appropriation des moyens retenus au but poursuivi. Il correspond à l’idée de correspondance ou d’adéquation des moyens au but. Sans qu’il soit précisé quel degré de correspondance le juge exige pour que le critère soit satisfait, ce moyen permet de sanctionner une décision qui serait sans rapport avec les motifs qui la justifient.
Cependant, le principe de pertinence connaît une double exception :
- Premièrement, une mesure doit être considérée comme inapte si elle ne peut pas entièrement réaliser le but poursuivi. Pourtant, la mesure peut être suffisante même si elle contribue partiellement à la réalisation du but souhaité ;
- Deuxièmement, il n'est pas nécessaire que la mesure en cause contribue à la réalisation du but, au moment de la décision. C'est qui est nécessaire c'est de constater a priori que la mesure envisagée est susceptible d'atteindre le but poursuivi.
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Par conséquent, l'essentiel du contrôle de proportionnalité se concentre sur deux autres composantes et le contrôle de pertinence s'appuie comme introduction.
Ainsi, le contrôle de nécessité correspond à une analyse plus détaillée et spécifique.
Le principe de nécessité correspond à une analyse se situant à un échelon supérieur. Cette fois les motifs et le but sont pertinents mais il serait possible d’atteindre le même résultat sans recourir à la mesure choisie considérée en l’occurrence comme non nécessaire. Le principe de nécessité ne remet pas en cause le but mais les moyens employés. Une mesure est considérée comme nécessaire quand il n'existe pas d'autre moyen moins grave, permettant d'atteindre le même but en limitant moins les droits fondamentaux en cause. La mesure peut alors être se considérée comme équitablement effective quand elle peut atteindre le but voulu avec moins d'intensité. Pourtant, il faut comparer les moyens adéquats et non draconiens qu'un autre moyen ne doit pas être considéré comme plus effectif.
En bref, l'Administration ne doit pas prendre des mesures draconiennes pour atteindre un but s'il existe un autre moyen moins intensif. À titre d'illustration, même si le rôle de l'Administration est le maintien de l'ordre, en cas de grève, elle ne doit pas recourir à la force si la négociation est encore ouverte.
2. La proportionnalité au sens stricte
La proportionnalité stricte constitue le cœur du principe de proportionnalité, en imposant un choix qui justifierait de façon complète, rationnelle et raisonnée la solution choisie.
a. L'accent entre but et moyen
La pondération effectuée consiste « à mettre en balance d'une part, l'intérêt général et la limitation d'une liberté et d'autre part le droit fondamental qui la protège »[12]. De toute façon, la Cour Constitutionnelle Fédérale d'Allemagne considère toujours que le raisonnable, l'objectivement justifiable ou importante comme raisonnement d'intérêt public ne peut pas conduire à justifier la restriction du noyau des droits concernés. Ce qui est très important est que le contrôle de proportionnalité au sens strict met l'accent sur la relation entre le but projeté et les moyens appliqués. Dans le cadre de ce type de contrôle, le juge examine la légitimité du but voulu.
b. L'analyse in concreto
L'effectivité d'une mesure ne peut pas être décidée in abstracto. La Cour examine cette question uniquement in concreto. La plupart des annulations engendrées après un contrôle de proportionnalité s'effectuent au stade de l'examen de proportionnalité stricto sensu. De toute façon, la distinction effectuée entre les trois éléments de contrôle ne doit pas conduire à nier le caractère unitaire du principe de proportionnalité au sens large.
Finalement, il faut noter que l'Allemagne est non seulement l'un des berceaux du contrôle de proportionnalité, mais elle a également offert un modelé jurisprudentiel qui a été adopté et repris par la plupart des pays appliquant le système romano-germanique dont Madagascar par l'arrêt BORO Frosin78 où l'adéquation de la sanction à la gravité de la faute est posée en matière disciplinaire et la France par le biais de l'arrêt Ville Nouvelle-Est qui a inauguré cette théorie du bilan.
§2- Le système anglo-saxon
Deux principes découlent du système anglo-saxon en matière de contrôle de proportionnalité, le principle of reasonableness ou principe du caractère du raisonnable d'une part, et le principe de la balance ou balancing d'autre part.
A. Le principe du caractère raisonnable
Le principe du raisonnable est « l'équivalence du contrôle de proportionnalité »80 en Grande-Bretagne suivi par d'autres pays du Commonwealth comme l'Inde, le Canada, l'Australie et l'Afrique du Sud. Il est fondé sur l'idée qu'une décision ne doit pas avoir des effets déraisonnables, disproportionnés ou sans commune mesure avec ce que l'on pourrait attendre. La règle de caractère raisonnable ou encore règle de rationalité conduit le juge à évaluer ce que constitue le comportement raisonnable, en tenant compte de la situation de fait et de règle de précédent. Pour évaluer une décision et conclure comme arbitraire, les juridictions britanniques procèdent à un triplé d’analyse : l'objectivité, les mesures des règles ainsi que les moyens appliqués
Tout d’abord, l’objectif de la règle en cause est assez important pour justifier la limitation d'un droit fondamental. À titre d'illustration, le couvre-feu limite la liberté d'aller et venir, mais si l'objectif est l'ordre public, la règle est légale.
Ensuite, les mesures adoptées pour atteindre le but fixé, présentent un lien de rationalité avec celle-ci. C'est à dire il y a un lien entre la mesure prise et le but à atteindre. À titre d'exemple, le couvre-feu est justifié car le but est la tranquillité publique pour éviter des bruits excessifs durant la nuit.
Enfin, les moyens appliqués pour la limitation d'un droit ou d'une liberté sont nécessaires pour l'accomplissement d'un objectif. À titre d'exemple, en cas d'état de siège, les pouvoirs de police vont accentuer, la restriction de liberté d'aller et venir est nécessaire.
B. Le principe de la balance
La notion du principe du raisonnable se trouve plus proche de la balance dans la jurisprudence américaine. Ce terme a fait son entrée dans la pensée juridique américaine vers le début du XX ème siècle. Comme son nom l'indique, il consiste à peser le pour et le contre, il est un moyen interprétatif pour la protection des droits qui se balance avec d'autres intérêts et plus précisément avec l'intérêt général. Le principe de la balance s'applique en droit privé. À l'inverse du droit allemand, ce principe n'a pas été introduit afin de délimiter la discrétion de l'Etat de police, mais afin de pondérer l'application des droits à l'intérêt général.
D'ailleurs, le principe de la balance correspond à une notion tant doctrinale que jurisprudentielle, moins formelle et plus pragmatique que les triplettes d'analyse du principe de proportionnalité. Il s’applique surtout comme moyen de prévention de l'arbitraire et moins comme moyen de protection de droits fondamentaux. Portant, ce qui s'avère très intéressant est que la notion du principe de balance présente de nos jours certains points convergents avec la notion juridique du principe de proportionnalité telle qu'il paraît en Europe, d'une part, l'évolution parallèle des systèmes politiques, la protection des droits fondamentaux est présente dans la majorité des constitutions d'une façon équivalente, sinon isomorphisme.
D'autre part, la technique d'adjudication en matière de passation de marchés publics, dans laquelle les soumissionnaires sont en concurrence et que l'Administration doit retenir le prix le plus bas, est proche du principe de balance, il est de cette façon utilisé non seulement comme moyen de protection de l'intérêt général mais également comme critère d'évaluation de constitutionnalité des limites des droits, parallèlement comme il est déjà décrit, dans le système allemand qui met l'accent sur la proportionnalité au sens stricte.
Article d'ANDRIATIANA Tsikiniaina Olivier Gaël, Juriste Publiciste
[1] CE, 28 mai 1971, Ville nouvelle Est, G.A, Dalloz, 1993, n° 106, p. 648
[2] CE, 19 mai 1933, Benjamain, G.A, Dalloz, 1993, n° 52, p. 277
[3] C.A, 20 janvier 1982, RAHOLDINA Fiara Hafadrainy A., RJCA de 1977 à 2003, Jurid'Ika, Antananarivo, 2004, n° 89, p. 117
[4] Michel FROMONT, Le principe de proportionnalité, AJDA, Dalloz, 1995, p. 156
[5] Idem
[6] Georges XYNOPOLOULOS, Le contrôle de proportionnalité dans le contentieux de la Constitutionnalité et de la légalité en France, Dalloz, 1995, page 160
[7] Michel FROMONT, Le principe de proportionnalité, AJDA, Dalloz, 1995, p. 157
[8] Idem
[9] idem
[10] Xavier Phillipe, Le contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle et administrative française, Economica, 1990, p. 44
[11] Xavier Phillipe, Le contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence constitutionnelle et administrative française, Economica, 1990, p. 44
[12] Michel FROMONT, Op. Cit