Le design de l'euro numérique progresse
La Banque de France contribue activement au projet de l'euro numérique. Elle dialogue régulièrement avec le marché pour présenter l’évolution du projet. C’est pourquoi Alexandre Stervinou, directeur des études et de la surveillance des paiements à la Banque de France, a participé à une conférence en octobre 2024 organisée par la délégation régionale Hauts-de-France de l’AFTE. Il a, à cette occasion, partagé les dernières avancées.
Les contours de l’euro numérique se dessinent. Le projet a conclu une phase d’investigation fin 2023 et a ouvert des expérimentations, qui courent jusqu’en octobre 2025. L’idée est d’établir les règles de fonctionnement, de résoudre les questions techniques et d'effectuer des tests.
Deux versions
Pour rappel, la monnaie numérique de banque centrale (MNBC) vise à assurer un prolongement de la monnaie de banque centrale (réserves bancaires, pièces et billets) dans l’espace numérique. Elle prendrait deux formes :
• Une version interbancaire (dite de « gros ») : elle serait accessible uniquement aux banques et aux institutions financières pour des règlements sur des actifs tokenisés ;
• Une version de détail ( dite « euro numérique ») : accessible aux particuliers et aux commerçants, elle permettrait aux banques centrales de garder un lien avec les citoyens malgré le déclin des espèces.
A noter qu’il existe une multitude de projets de MNBC dans le monde : 93% des banques centrales s’y intéressent, d’après des données de la Banque des règlements internationaux (BRI).
Les MNBC de gros poursuivent un objectif commun consistant à permettre le règlement des transactions sur actifs tokenisés à partir de monnaie centrale. Pour les MNBC de détail, les motivations varient en fonction des priorités des banques centrales. Certaines privilégient l’inclusion financière, quand d’autres cherchent une alternative à des services privés ou souhaitent dé-dollariser leur économie.
Souveraineté européenne
En Europe, l’accent est mis par l'Eurosystème sur la lutte contre le déclin des espèces et la souveraineté européenne des moyens de paiement. En effet, le marché des paiements européens connaît une incursion croissante d’acteurs étrangers. En France, la part de marché du réseau domestique Cartes Bancaires (CB) s’est par exemple dégradée, passant de près de 90% fin 2021, à moins de 75% au premier trimestre 2023 d’après la fintech Yavin.
La logique des acteurs étrangers diffère de celle des acteurs domestiques, si bien que les frais de paiement des commerçants auraient connu une envolée significative sur la même période. L’euro numérique vise à offrir un nouveau moyen de paiement qui transitera par des canaux européens, limitant ainsi la dépendance, tout en proposant des avantages aux commerçants.
Un certain nombre de frais devraient ainsi être supprimés, comme des frais liés aux paiements internationaux au sein de la zone euro. « Une fragmentation apparaît clairement dans l’univers des paiements en ligne et il est nécessaire de le rationaliser pour aboutir à des économies d’échelle et donc une offre compétitive », a assuré Alexandre Stervinou.
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Les banques commerciales gardent la main
La nouvelle monnaie se positionne donc avant tout comme un moyen de paiement. Cela tranche avec les craintes des banques commerciales, qui redoutent que ce projet n’entraîne une fuite des dépôts vers l'euro numérique, moins risqué car garanti par la Banque centrale. Mais l’objectif de la BCE n’est pas de disrupter les banques : elle leur laisse au contraire la main sur le projet.
« L’euro numérique sera largement à la main des banques dans sa distribution et sa gestion au quotidien. Il n’interfèrera pas avec leur capacité de financement de l’économie réelle », a plaidé le directeur des études et de la surveillance des paiements de la Banque de France. Les intermédiaires financiers, au premier rang desquels les banques commerciales, seront notamment chargées de l’ouverture et de la tenue des comptes, de l’interface utilisateur, l’authentification, la gestion des données (LCB-FT), la relation clientèle...
Une limite de détention sera imposée aux clients particuliers afin de tenir le nouvel outil à son rôle et de prévenir les risques en matière de stabilité financière. Le secteur bancaire plaide en faveur d’un maximum équivalant aux dépenses mensuelles (en espèces) des épargnants, quand le secteur de la consommation affirme qu’une limite trop basse déprimerait son utilisation. Du côté des entreprises, c’est un transfert automatique vers les comptes de paiement plutôt qu’une limite qui est envisagé.
A vos contributions !
D’autres caractéristiques de l’euro numériques ont également été présentées, comme son aspect non-programmable (les euros numériques ne seront donc pas « périmables », ce qui faisait craindre des injonctions à la consommation), une confidentialité plus élevée qu’avec d’autres moyens de paiement en ligne, notamment avec un mode hors-ligne…
Mais si la question de l’infrastructure est déjà bien engagée, d’autres points restent encore à préciser. Notamment en ce qui concerne le modèle économique, qui doit se calquer sur celui des cartes bancaires mais avec une valeur ajoutée pour toutes les parties prenantes.
« C’est d’un débat de société dont il s’agit. Nous sommes dans une logique de co-construction avec les citoyens et les entreprises, sans aucune prétention d’imaginer le tout en solitaire », insiste Alexandre Stervinou.
Dans cet esprit, tour retour ou contribution de la part d’adhérents de l’AFTE sera le bienvenu afin d’avancer sur le sujet. Une liste des points importants ou des problématiques peut être par exemple dressée, ou des idées sur l’impact de ce nouveau type de monnaie dans la gestion de trésorerie.
Rapport d’étape :
La Banque centrale européenne (BCE) a publié lundi 2 décembre un rapport d’étape sur les derniers progrès réalisés dans le design de l’euro numérique. Un cahier des règles a notamment été mis à jour avec les commentaires des acteurs du monde de la consommation et du secteur des paiements.
La procédure de sélection des fournisseurs potentiels d'une plateforme de services numériques en euros a avancé. Un appel d'offres pour les composants externes a été publié et les offres sont en cours d'évaluation. En outre, les banques centrales nationales de l'Eurosystème ont été invitées à soumettre des offres pour les composants internes.
L’établissement d’une limite de détention prend aussi forme. Elle pourrait se situer à hauteur du salaire mensuel moyen dans l’Union européenne, soit autour des 3.200 euros, avec la possibilité de la modifier et de l’indexer dans la durée.
Des enquêtes et des entretiens en ligne visant à mieux connaître les préférences des utilisateurs sont également prévus dans les mois à venir. Ils se concentreront sur des groupes cibles particuliers, tels que les petits commerçants et les consommateurs vulnérables.
En octobre 2025, le conseil des Gouverneurs se prononcera sur la décision de lancer ou non la prochaine phase. Une version pilote pourrait voir le jour à partir de 2027.