Le Drian avertit Poutine sur la crise ukrainienne : "Pas un pas de plus !"
le 29 janvier 2022 - Le Journal du Dimanche
INTERVIEW - Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, explique au JDD en quoi la situation militaire et politique est grave et ce que la France veut obtenir par la diplomatie.
Après une nouvelle semaine diplomatique intense, l'Ukraine a appelé samedi les Occidentaux à être "fermes" dans leurs négociations avec la Russie, accusée de préparer une invasion du pays, alors que Washington maintenait la pression en annonçant l'envoi de soldats en Europe de l'Est. Message entendu en France. Alors qu'Emmanuel Macron et Valdimir Poutine ont échangé vendredi, Jean-Yves Le Drian , le ministre français des Affaires étrangères, met en garde la Russie dans le JDD : "Nous sommes déterminés à mener ce dialogue jusqu'au bout pour mettre le président Poutine devant ses responsabilités."
La maison Blanche estime qu'une action militaire russe en Ukraine est possible en février, c'est-à-dire à partir de la semaine prochaine. Partagez-vous cette éventualité?
Je n'ai pas connaissance qu'une décision russe a été prise en ce sens par le président Poutine.
Mais, est-ce que techniquement et militairement, la logistique russe nécessaire est-elle opérationnelle pour un tel scénario?
Aujourd'hui, oui. C'est pour cela que la situation est très grave.
C'est à Vladimir Poutine de faire un choix entre la négociation et la confrontation
La France insiste pour que le chemin de la diplomatie avec la Russie soit poursuivi avec obstination. Avec quels résultats jusqu'à présent?
Dans une affaire aussi grave, notre stratégie, telle que le Président de la République l'a définie, repose sur trois principes : la fermeté, la solidarité et le dialogue. Fermeté pour dire que toute atteinte nouvelle à l'intégrité et à la souveraineté de l'Ukraine aura des conséquences graves et aboutira à des sanctions massives contre la Russie. La solidarité, elle, s'exprime d'abord avec l'Ukraine où je me rendrai dans quelques jours avec ma collègue allemande mais aussi entre Européens et entre alliés de l'Otan. Quant au dialogue, oui, nous y veillons de façon obstinée. Nos réponses aux injonctions russes visent à ouvrir des discussions avec la Russie pour obtenir un nouvel ordre de sécurité et de stabilité en Europe. Il importe qu'elles soient sur la table et qu'elles soient débattues.
Vladimir Poutine vous donne-t-il l'impression d'accepter ce dialogue, tel que vous le définissez?
C'est à lui de faire un choix entre la négociation et la confrontation, entre faire de la Russie une puissance de déséquilibre ou un acteur de la désescalade.
Les négociations qui se sont tenues à l'Elysée mercredi ont-elles vraiment permis de contribuer à cette désescalade?
C'est une bonne chose que les conseillers diplomatiques des chefs d'Etat français, allemand, russe et ukrainien se soient rencontrés dans ce format dit 'Normandie' et qui est chargé de veiller à la mise en œuvre des accords de Minsk sur le Donbass. Il n'y avait pas eu de telle réunion depuis longtemps, ce qui prouve que la Russie reconnait ce format comme étant toujours valide. La rencontre a même fait l'objet d'un communiqué commun, pour la première fois depuis décembre 2019, sur la nécessité de respecter le cessez-le-feu et, sur le fond, les quatre parties ont accepté de se revoir dans quinze jours à Berlin, ce qui est aussi une bonne chose. Le président de la République s'est entretenu avec le président Vladimir Poutine et le président Volodymyr Zelensky vendredi sur le sujet, afin de poursuivre notre travail incessant en faveur de la désescalade.
Sur les sanctions en cas d'agression, pourquoi ne pas dire toute de suite et clairement que si les Russes envahissent l'Ukraine, le système de transaction bancaire Swift leur sera coupé ou que le gazoduc NordStream2 ne sera pas mis en œuvre?
Le principe de sanction massives vise à dissuader la Russie d'agresser l'Ukraine. Pour qu'il soit efficace, il doit faire place à un minimum d'ambiguïté. Une description détaillée des mesures nuirait à la volonté partagée des alliés d'agir efficacement. Mais ces sanctions financières et économiques devront être suffisamment fortes pour que la Russie s'interroge sur les risques qu'elle encourrait pour sa propre économie si elle décidait de porter atteinte une nouvelle fois à la souveraineté de l'Ukraine.
Qu'en est-il de la décision des Etats-Unis de fournir d'ores et déjà en quantité du gaz naturel liquéfié pour pallier une rupture des approvisionnements en gaz russe de l'UE en cas de conflit et de sanctions?
Nous avons des discussions entre européens et entre alliés dans le cadre des mesures à prendre contre la Russie pour mettre en place des dispositifs d'atténuation si d'aventure la Russie prenait des initiatives de rétorsion aux sanctions.
Nous sommes déterminés à mener ce dialogue jusqu'au bout pour mettre le président Poutine devant ses responsabilités
Vous évoquez une solidarité parfaite entre européens et alliés mais certains en font plus que d'autres. L'Allemagne, par exemple, va envoyer des casques de combat aux troupes ukrainiennes alors que la France, elle, se propose de réassurer la Roumanie en lui envoyant un bataillon…
Je ne ressens pas de divergence entre Européens. Ma collègue allemande, avec laquelle je m'entretiens quasiment tous les jours, a été très claire sur ce qu'il adviendrait du projet NordStream2 en cas d'agression de la Russie. Et sur la réassurance des alliés de l'Otan, là aussi, nos positions sont unanimes. Je me rendrai d'ailleurs à Bucarest mercredi pour confirmer à la Roumanie que la France peut être nation-cadre sur le plan militaire dans ce scénario de réassurance, comme l'a annoncé le Président de la République. L'Allemagne, elle-même, fait déjà exactement la même chose en ce moment en Lituanie.
Dans le dialogue entre la France et la Russie, en dehors du Format Normandie, y a-t-il eu la moindre avancée qui permette de sortir de ce que l'Elysée appelle "une extrême volatilité" à la frontière ukrainienne?
Pour l'instant, il n'y a pas de signes. Mais je note que mon homologue Serguei Lavrov va étudier les réponses faites collectivement entre alliés aux injonctions de la Russie car il y verrait, me dit-on, matière à discuter. C'est déjà une avancée. Nous sommes déterminés à mener ce dialogue jusqu'au bout pour mettre le président Poutine devant ses responsabilités et l'opportunité de discuter d'un nouvel ordre de sécurité et de stabilité en Europe. Car il n'y a plus de règles aujourd'hui et seul le rapport de forces semble prévaloir. Il faut rétablir des règles qui s'inspirent des engagements pris, y compris par l'Union soviétique, à Helsinki dans les années 1970 et dans la charte de Paris au début des années 1990.
Mais n'est-ce pas précisément cette période et ces règles dont Vladimir Poutine ne veut plus car elles ont, selon lui, conduit son pays au déclin?
La proposition du président Poutine consiste à interdire à un pays souverain, l'Ukraine, l'appartenance aux organisations internationales qu'il souhaite, avec l'Union européenne par exemple ou l'Otan. Cette question d'adhésion n'est pas d'actualité mais le principe de souveraineté et de libre choix de chacun est à nos yeux incontestable. Nous sommes prêts à discuter de nouvelles règles, adaptées à la nouvelle donne d'aujourd'hui et qui correspondent à nos intérêts collectifs de sécurité, mais dans le strict respect de tous les principes posés par l'Acte final d'Helsinki et la Charte de Paris.
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L'Ukraine a le droit de maitriser son propre destin
Autrement dit, il ne peut pas y avoir de "finlandisation" de l'Ukraine?
Je viens de le dire. L'Ukraine a le droit de maitriser son propre destin. Il ne saurait être question de souveraineté limitée. La stabilité du continent européen signifie la garantie pour chacun de choisir librement ses alliances sans qu'on les lui impose.
Pourquoi est-ce si difficile d'obtenir de l'Ukraine qu'elle change de législation en accordant au Donbass un statut spécial d'autonomie, comme le prévoit les accords de Minsk?
Dans ces accords, il y a en effet sur la table la nécessité d'avoir cette législation mais aussi une négociation sur le processus électoral qui accompagnera la mise en place de ce statut spécial. Les Ukrainiens me semblent disposés à en parler. Il y a une articulation à trouver entre la législation, la négociation sur sa mise en œuvre et le recouvrement de la souveraineté ukrainienne sur sa frontière avec la Russie. J'espère que ce sera le cas dans les quinze jours qui viennent et à Berlin où les négociateurs doivent se revoir.
Au cas où la Russie n'envahirait pas l'Ukraine tout entière mais essaierait uniquement de rallier le sud de la Russie à la Crimée qu'elle a déjà annexée, en passant par Marioupol, la réaction occidentale serait-elle la même?
Toute atteinte nouvelle à l'intégrité territoriale de l'Ukraine aura des conséquences massives. On ne peut pas être plus clair. Ma collègue allemande a dit 'pas un pas de plus', je fais mienne cette expression.
Parvenez-vous finalement à comprendre ce que veut Vladimir Poutine?
Il dit lui-même qu'il veut maitriser son 'étranger proche' - qui se trouve être aussi le nôtre – et y étendre sa 'zone d'influence'. L'Ukraine en fait partie et c'est un point de fixation majeure. Il souhaite que les pays dans cette sphère-là, comme la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan ou la Moldavie, aient une souveraineté limitée. C'est sa logique. Nous ne sommes donc pas simplement dans un test d'unité entre alliés mais face à l'application de cette nouvelle doctrine avec laquelle aucun compromis de notre part n'est possible. D'où la nécessité de régler ce contentieux du Donbass.
Notre combat contre le terrorisme doit se poursuivre mais sans doute dans d'autres conditions
Au Sahel, pourquoi dites-vous que la situation ne peut plus rester en l'état?
Parce que nous sommes au Mali en face de deux ruptures. Celle du cadre politique, puisque la junte militaire au pouvoir, après deux coups d'Etats, n'écoute en rien les exigences de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) soutenue par l'Union africaine et par l'Union européenne afin que le Mali s'engage dans un processus de transition vers la démocratie. La junte maintient ses positions sur une échéance de changement politique à cinq ans, ce qui la maintient dans l'illégitimité, comme si le coup d'Etat créait le droit. Et puis, il y a une rupture du cadre militaire. La junte s'appuie sur la société privée russe de mercenaires Wagner dont l'objectif est clairement d'assurer la pérennité de son pouvoir. Elle demande de revisiter le traité de défense que nous avons avec le Mali. Elle entrave nos capacités d'action lorsqu'elle interdit de survol certaines zones aux forces internationales présentes au Mali, y compris des Nations Unies. La junte vient enfin de demander le départ, dans une action clairement provocatrice, du contingent danois de la force européenne Takuba, sans explications. Il est donc clair que la situation ne peut pas rester en l'état. Nous discutons avec nos partenaires pour envisager le type de réponse à apporter à cette nouvelle donne et l'adaptation que nous devons faire de notre dispositif. Notre combat contre le terrorisme doit se poursuivre mais sans doute dans d'autres conditions.
Est-ce que cela signifie que ce combat continue mais plus à partir du Mali?
Je n'ai pas dit cela.
Mais avec trois des pays du G5 Sahel, le Tchad, le Mali et maintenant le Burkina Faso, qui ont connu des coups d'Etat, est-il possible de poursuivre la lutte contre le terrorisme dans la région?
Au Tchad, le président Deby a été tué et il est normal qu'il y ait une transition et elle se déroule dans un processus clair. Au Burkina Faso, nous avons condamné ce coup d'Etat et nous souhaitons que l'intégrité du président Kaboré soit préservée. Il n'empêche que le colonel Damiba veut poursuivre la lutte contre le terrorisme au sein du G5 Sahel et il importe que les nouveaux acteurs au Burkina initient une transition rapide. Au Mali, l'argument de la junte qui réclame cinq ans de plus au pouvoir pour assurer la sécurité ne tient pas. La preuve, c'est qu'il y a déjà eu des élections au Mali en 2013 et en 2018, alors que la situation sécuritaire était tendue. Le combat contre le terrorisme leur apparait donc en fait comme secondaire.
La situation sécuritaire n'est-elle pas moins préoccupante aujourd'hui?
C'est vrai que nous avons réussi à éradiquer une partie de l'organisation d'Al-Qaida et de Daech mais il y a une diffusion du terrorisme vers le sud, ce qui peut demain mettre en difficulté les pays du Golfe de Guinée. Il y a déjà eu des attaques au nord de plusieurs de ces pays. En 2019, ils ont pris l'initiative à Accra de coopérer pour revigorer leurs dispositifs de sécurité. Nous les soutenons dans cette démarche. Le combat contre le terrorisme doit donc se poursuivre dans une bonne coordination entre les Etats africains et les Etats européens.
Est-ce que la France a quelque chose à se reprocher dans la façon dont elle a mené ce combat qui, visiblement, n'a plus le soutien unanime des populations locales?
S'il y a un échec, c'est celui des autorités maliennes de ne pas avoir mis en œuvre les accords d'Alger. Les autres Etats qui nous demandé d'intervenir sont bien déterminés à poursuivre ce combat : le Niger par exemple, mais aussi tous les pays qui condamnent la présence de la milice russe Wagner au Mali.
Vous saviez ce dont était capable cette milice, vous l'aviez vu à l'œuvre en République centrafricaine…
Ce sont des anciens militaires russes, armés par la Russie et accompagnés par une logistique russe. En Centrafrique, ils sont allés faire de la prédation en échangeant la sécurité des autorités contre le droit d'exploiter impunément des ressources minières. Au Mali, c'est pareil. Ils se servent déjà en ce moment des ressources du pays en échange de la protection de la junte. Ils spolient le Mali.
Wagner utilise la faiblesse de certains Etats pour s'implanter elle-même, pas pour remplacer les Européens
Les mercenaires de Wagner veulent-ils, avec la Russie, chasser la France du Sahel?
Wagner utilise la faiblesse de certains Etats pour s'implanter elle-même, pas pour remplacer les Européens, et au-delà pour renforcer l'influence de la Russie en Afrique.
A Vienne, il semble que l'Iran soit revenu dans la discussion pour gagner du temps et poursuivre son programme nucléaire. Y a-t-il encore la moindre chance de parvenir à un accord pour éviter que l'Iran se dote de l'arme atomique?
Nous arrivons à un moment clé des négociations. Ces discussions avancent; mais beaucoup trop lentement. Le risque, c'est qu'à la fin il n'y ait plus rien à discuter puisque dans le même temps l'Iran renforce ses capacités de production de matière fissile. Nous appelons les Iraniens à accélérer la négociation et à revenir dans le plein respect de l'accord de Vienne. Le temps presse.
Conseil en transactions commerciales CHR § Boulangerie
2 ansSinon on va se fâcher tout rouge
ADMINISTRATEUR UNIQUE chez OBSERVATOIRE MONDIAL GEOSTRATEGIQUE S.A.
2 ansBigre ! Vladimir .... tremble .....