Le phénomène trans : le regard d'un philosophe

Le phénomène trans : le regard d'un philosophe

Dany-Robert Dufour est l'un des plus remarquables philosophes français de sa génération. Mobilisant la philosophie du langage, la sémiologie, la philosophie politique et la psychanalyse, son œuvre éclaire puissamment les soubassements du capitalisme et de la société néolibérale (voir notamment :"Le Divin Marché. La révolution culturelle libérale", "La Cité perverse. Libéralisme et pornographie" - "L'art de réduire les têtes" "Pléonexie. Vouloir posséder toujours plus"). Il porte aujourd'hui son regard philosophique sur "Le phénomène trans" dans un livre publié aux éditions du Cherche Midi. Voici un extrait de l'introduction de ce livre courageux et roboratif, qui situent son propos.

Dans une enquête sérieuse et récente menée à l'Université de Colombie Britannique, on lit que "Au cours des 12 derniers mois, près des deux tiers des jeunes [ayant subi une réassignation, c’est-à-dire un "changement de sexe"] ont déclaré s’être automutilés ; un nombre semblable (2 sur 3) ont déclaré avoir des pensées suicidaires sérieuses ; et plus de 1 sur 3 a tenté (une ou plusieurs fois) de se suicider"1. Je commenterai ces chiffres plus loin, mais il est clair que je n'ai nullement l'intention d'ajouter aux drames qu'une bonne partie de ces personnes vit car, pour moi, même si certains s'en sortent tant bien que mal, beaucoup me semblent avant tout des victimes d'un système que je vais essayer de nommer. Ils ont mordu à l'hameçon du progrès et de l'accomplissement de leurs désirs et se trouvent plongés dans un cauchemar dont ils ne peuvent plus sortir, sinon en se faisant propagandiste du voyage sans retour, souvent une impasse, dans lequel ils se retrouvent engagés. Si ces lignes pouvaient aider certains d'entre eux à mettre des mots sur leurs maux, j'aurais atteint une partie de mes visées. Mais c'est aussi aux personnes tentées par le changement de sexe, aux éducateurs et aux psy qui font face à une demande grandissante, aux parents d'enfants et d'adolescents troublés par cette possibilité et à tous ceux que le phénomène trans questionne que je m'adresse. J'aimerais essayer de les aider à réfléchir aux tenants et aboutissants de cette offre récente, changer de sexe, sidérante en tant qu'elle fascine aujourd'hui les Hommes en les conduisant, sous couvert de liberté et de libération, à une dépendance technologique totale débouchant sur une redéfinition de l'humanité.

Offre peut-être un peu trop sidérante pour être vraiment honnête. Dans Le meilleur des mondes de Huxley, la natalité passait sous le contrôle des scientifiques. Huxley voyait venir ce qui se profilait déjà à l'horizon, le rêve transhumaniste où le Soma, une drogue bienfaisante, permettait d'être éternellement heureux. Roman d'une exceptionnelle puissance qui décrit une dictature ayant les apparences de la démocratie. Bref, une dictature parfaite. Presque cent ans plus tard, non plus dans un roman, mais dans la réalité, c'est la sexualité qui passe sous nos yeux, sous le contrôle du Marché en sidérant les individus par la promesse de les sortir de la fatalité de leur condition sexuée. Et, à nouveau, la question de la dictature (celle d'un Marché devenu total) se présente sous les traits d'une démocratie parfaite ("C'est mon choix", "C’est ma liberté"). Je propose d'interroger cette sidération, sachant que "sidérer" dérive du latin siderari (subir l’influence néfaste d'un astre). Quel astre mauvais ―ou quel génie huxleyien malfaisant ― est donc en train de nous sidérer ? Question qu'il faut instruire pour tenter de nous dé―sidérer.

Mais pourquoi nous dé―sidérer ? Tout simplement, pour désirer à nouveau. L'étymologie est sans équivoque : "désirer", c'est se "dé―sidérer". Pour que le regard devienne libre à nouveau : "Ta tête se détourne : le nouvel amour !/ Ta tête se retourne, le nouvel amour !" chantait Rimbaud dans Les Illuminations ("À une raison").

J'aimerais donc que ce petit essai fonctionne comme un manuel de désidération. Je pose en somme que désirer, c'est cesser de contempler l’astre fatal promettant d'en finir avec la différence sexuelle de façon à interrompre la fascination que cette abolition fictive exerce pour revenir enfin à soi et reposer la grande question humaine, celle du désir (tant hétérosexuel qu'homosexuel ou bisexuel) en tant qu'il est soutenu par l'existence de deux sexes.

Je n'ai pas trouvé de meilleure voie pour tenter de désidérer/désirer que de nouer, d'entrelacer l'analyse théorique précise et l'ironie philosophique, non pas du tout aux dépends de telles ou telles personnes, mais à l'encontre de propositions intenables et cependant de plus en plus répandues, dont j'ai entrepris ici de montrer la vanité, la contradiction ou l'inanité.

Je me suis donc autorisé dans cet essai du jeu fondateur de Socrate pour qui bien philosopher implique de rire afin de secouer la doxa qui paralyse les esprits. Rire non pas pour se divertir et oublier, mais pour penser sérieusement ce qui nous arrive.

Si j'avais à faire comprendre le projet de ce livre à un journaliste actuel, je lui dirais que je tente d'y montrer en quoi l'idée trans, inventée dans les campus américains, est saturée d'apories et d'impasses qui jettent dans les affres ceux-celles qui s'y laissent prendre.

D-R. Dufour


ISBN: 978-2-7491-7679-6

Éditeur: Le Cherche Midi

Date de publication: 09/03/2023

Nombre de pages: 179

Dimensions : 21,4 x 14,3 x 1,8 cm

Prix: 19,90 €

Gustavo Cerqueira

Agrégé des facultés de droit - Professeur à l'université Côte d'Azur - Directeur-adjoint du Groupe de recherche en droit, économie et gestion - Gredeg, UMR CNRS/UniCA - Consultant indépendant

1 ans

Excellent ouvrage. Très instructif et clair.

Olivier H

Compagnie Européenne de Gestion d'Equipements Commerciaux

1 ans

SIC "Dans Le meilleur des mondes de Huxley, la natalité passait sous le contrôle des scientifiques. Huxley voyait venir ce qui se profilait déjà à l'horizon, le rêve transhumaniste où le Soma, une drogue bienfaisante, permettait d'être éternellement heureux. Roman d'une exceptionnelle puissance qui décrit une dictature ayant les apparences de la démocratie. Bref, une dictature parfaite. Presque cent ans plus tard, non plus dans un roman, mais dans la réalité, c'est la sexualité qui passe sous nos yeux, sous le contrôle du Marché en sidérant les individus par la promesse de les sortir de la fatalité de leur condition sexuée. Et, à nouveau, la question de la dictature (celle d'un Marché devenu total) se présente sous les traits d'une démocratie parfaite ("C'est mon choix", "C’est ma liberté"). " Cette dérive de "l'intimité marchandisée" fût annoncée depuis 10 ans par la manif pour tous (devenue le syndicat de la Famille). Rien ne contraint notre vieille nation à s'américaniser...

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