Le problème de l’immobilier n’est pas l’accès au crédit, mais le prix du m2
Les économistes ne cessent de répéter qu’il y a la « bonne » dette, celle destinée à financer par exemple des investissements, et la « mauvaise » dette, qui sert à régler les dépenses de fonctionnement d’un Etat impécunieux. Ces derniers jours, nous avons découvert qu’il existait le même distingo à propos du surendettement : celui pour la bonne cause, dans l’immobilier, et le toxique, concernant le crédit à la consommation.
A vingt-quatre heures d’intervalle, deux signaux ont été envoyés dans des directions diamétralement opposées. L’UFC-Que Choisir a publié le 16 décembre une étude sur « la distribution irresponsable du crédit à la consommation ». Le lendemain, le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), autorité chargée de la surveillance du système financier, présidé par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, décidait d’assouplir ses recommandations aux banques sur la distribution de crédits immobiliers.
Schizophrénie
Schizophrénie quand tu nous tiens… Le consommateur serait donc poussé au crime par certains établissements financiers, quand d’autres le brimeraient en faisant preuve d’intransigeance mal placée. Que voulez-vous, l’époque est à la victimisation : l’essentiel, c’est de se plaindre. Peu importe la logique.
« Alors que 900 000 consommateurs s’apprêtent à perdre leur emploi, les crédits conso en défaut pourraient dépasser les 12 milliards d’euros (+ 40 %) en 2021 », alerte l’UFC Que Choisir. Pourtant, le lendemain, courtiers et professionnels de l’immobilier sablaient le champagne en apprenant que le HCSF accédait enfin à leurs revendications pour ouvrir un peu plus le robinet du crédit.
Les ménages auront désormais l’autorisation de s’endetter sur 27 ans (au lieu de 25) pour acheter leur logement, tandis que les remboursements pourront atteindre jusqu’à 35 % des revenus mensuels (contre 33 auparavant). Largesse supplémentaire : les banques ont la latitude d’accepter un dossier d’emprunt sur cinq qui ne remplirait pas ces conditions.
C’est à se demander si la forte poussée du chômage attendue pour 2021, lorsque les mesures gouvernementales de soutien à l’économie seront levées, ne concernera que les acheteurs à crédit de voiture ou de téléviseur, pas les accédants à la propriété. Malheureusement, la flambée du nombre de demandeurs d’emploi qui pourrait franchir le seuil historique des 11 % de la population active ne fera pas de différence entre les deux types d’emprunteurs et les défauts de paiement grimperont en flèche.
Deux poids, deux mesures
Ce « deux poids, deux mesures » est éminemment politique. Il y a tout juste un an, le même HCSF avait alerté sur l’appétit des Français pour la dette. Ils sont responsables de 40 % de la progression de l’endettement des ménages de la zone euro depuis 2015, alors qu’ils ne représentent que 20 % de la population. Depuis, François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, appelle les établissements financiers à plus de vigilance sur les dossiers les plus fragiles. Mais douze mois après, sous la pression du lobby des professionnels de l’immobilier, le gouvernement s’est dit qu’il pourrait faire du social pour pas cher en permettant à des dizaines de milliers de Français, à commencer par les jeunes ménages, d’accéder à la propriété.
Cette mesure, tout à fait louable sur le plan politique, l’est, paradoxalement, beaucoup moins sur le plan social et économique. D’abord, malgré la pandémie et les larmes de crocodile des courtiers et des promoteurs, les prêts à l’habitat ne se portent pas si mal. Certes, les deux confinements ont laissé des traces, mais à chaque allégement des restrictions, la production de crédit est repartie à la hausse signifiant que le problème n’a rien de structurel.
Dans ce contexte, même si les craintes sur les perspectives du marché de la construction de logements neufs sont légitimes, mettre en surchauffe le marché du crédit n’est sans doute pas la meilleure solution pour compenser un creux conjoncturel inéluctable au regard de la violence de la crise.
D’autant que les Français bénéficiaient déjà des conditions d’accès au crédit parmi les plus favorables du monde. Avec un taux d’endettement qui atteint près de 100 % du revenu disponible brut, ils sont les plus endettés d’Europe. Rien d’étonnant à cela quand on écoute les discours de nos dirigeants politiques. Entre le « quoiqu’il en coûte » macronien et les oppositions diverses et variées qui répètent de façon totalement irresponsable que la dette de l’Etat peut se rayer d’un trait de plume, chacun n’est-il pas incité à se lâcher sur le crédit ?
Bulle spéculative
En fait, l’assouplissement des conditions de prêt risque d’avoir les effets inverses à ceux escomptés. Dans les zones où l’offre de logement est structurellement inférieure à la demande, comme c’est le cas dans les grandes métropoles, améliorer la capacité d’emprunt des acheteurs ne va aboutir qu’à faire grimper les prix et gonfler le patrimoine des vendeurs. Ainsi, à Paris, alors que, ces dernières années, emprunter n’a jamais été aussi facile grâce à la baisse des taux d’intérêt, le pouvoir d’achat immobilier, c’est-à-dire la surface qu’on peut s’offrir avec un salaire moyen, n’a cessé de diminuer.
Le problème pour les jeunes ménages n’est pas tant les conditions de crédit que la hausse des prix du mètre carré dans les grandes métropoles, qui constitue l’un des principaux moteurs du creusement des inégalités. Or cette inflation n’est pas prête de se calmer. Les centaines de milliards d’euros injectés par la Banque centrale européenne dans l’économie pour absorber le choc de la crise et financer les plans de relance alimentent une gigantesque bulle immobilière. Ces liquidités abondantes cherchent à s’investir à tout prix, en particulier dans la pierre. Tout en maintenant à flot les économies, ces politiques monétaires créent des distorsions aux conséquences politiques potentiellement explosives contre lesquelles l’assouplissement des conditions de crédits n’aura aucune prise.
Expert en évaluation immobilière REV | Concepteur et éditeur de logiciels | Formateur consultant | Président de la CNEI
3 ansTellement vrai !
Spécialiste Transactions Lafage C21 - Expert Evaluateur Valeurs Vénales
3 ansLe problème de l'immobilier locatif est la difficulté de mettre dehors les mauvais payeurs. Du coup il y a des barrières pour les nouveaux entrants, nous n'investissons pas assez dans l'immobilier et les prix des loyers sont trop élevés par manque d'offre. Ce qui contribue à faire monter les prix de vente, car si louer est compliqué et cher, autant acheter. La politique accomodante des banques favorise l'inflation des prix. En améliorant ces points, les coeurs de ville les plus dynamiques resteront chers car l'espace y est limité. Il faut rendre attractif les banlieues...les villes périphériques et ce n'est pas chose facile..
FONDATRICE Mon Analyse Foncière®️ ✅Décrypter les règles d'urbanisme- Valider un projet- Déposer une autorisation d'urbanisme - Echanger avec les services instructeurs. 🔷Je suis là pour çà!
4 ansLes professionnels de l'immobilier ont effectivement fait du lobby pour obtenir cette "avancée" jugée indispensable, non pas au maintien de l'accession, mais à celui des transactions. Dès lors la problématique de base reste effectivement toujours la même.
Actuaire, chercheur à l'EHESS
4 ansJuste un commentaire sur la photo : la mythique et magnifique villa Malaparte, que l'on voit dans le film de Jean-Luc Godard Le mépris (1963)