Le professeur démissionnaire.

Le professeur démissionnaire.

Dans ma petite famille, nous sommes trois personnes à l'appel. Le chef de l'équipe : ma femme, sa conseillère principale : ma fille et moi-même.

Comme vous l'avez constaté, je n'ai pas de fonction de manager car on dit chez moi que lorsqu'on est chef au boulot et bien il est impossible d'être cumulard à la maison. Chez nous, on n'a pas attendu des lustres, contrairement à nos chers femmes et hommes politiques, pour réduire les prérogatives de certains, et éviter ainsi la confiscation de tous les pouvoirs. 

L'autre point fort des femmes de la famille était que je côtoyais deux nageuses hors pair. Ma femme était capable de nager sans difficulté, les quatre nages connues de tous. Ma fille a hérité de sa mère car elle nageait sublimement bien. A son adolescence, elle avait même participé à une compétition nationale en natation synchronisée. 

Un petit arrêt sur image s’impose à cet instant du récit. 

Je me souviens que l'action se passait dans le bassin olympique de la piscine de Senlis. Notre fille s'échauffait, elle avait déjà parcouru trois allers-retours avec aisance lorsque je lui fis signe de me rejoindre au bord du bassin. Je dis à ma fille :

- Tu arrêtes de suite d'humilier ton père avec ces enchaînements de bassin sans difficulté. Tu viens de nager, en une demi-heure, plus que ton père durant toute sa vie !

Elle regagna le centre du bassin comme un poisson dans l'eau et me glissa juste avant :

- Papa, tu devrais une fois pour toute prendre des leçons de natation !

Ça y est, le pavé était dans la marre... J'étais resté debout tout coi !

Et pourquoi pas ?

Je décidai de suite de me rendre à l'accueil de cette piscine pour connaître les noms des éventuels maîtres-nageurs. A la fin de la compétition victorieuse de ma fille, je leur annonçai triomphalement que j'avais réservé des cours particuliers afin d'apprendre à nager. Je fus applaudi et pourtant la championne du jour avait été ma fille. J'avais bien demandé à l'employé de la piscine si le maître-nageur était bien armé contre les apprentis difficiles. Celle-ci m'avait rétorqué :

- Voyons monsieur, vous n'êtes pas censé ignorer que nos professeurs sont diplômés d'État et qu’ils ont déjà à leur actif un nombre élevé de réussites dans leur domaine.

Je reconnais aisément que je n'avais pas relevé malgré ma répartie légendaire. Bon, assez tergiversé ! Je me retrouvais en maillot de bain ce lundi soir, comme programmé, avec la dame de la piscine. Je rencontrais pour la première fois cette homme athlétique, souriant et déterminé à m'inculquer les gestes justes pour me permettre de nager en toute quiétude à la fin de la semaine. Mon maître-nageur me signala que nous avions rendez-vous, tous les jours, durant une heure et que je devais assidûment respecter ce rendez-vous quotidien afin d'obtenir le résultat escompté.

Je tiens à vous le signaler, j'étais motivé comme jamais et appliqué comme si la suite de ma vie en dépendait. Il me posa quelques questions et voulut savoir surtout si j'avais une crainte de cet élément liquide qu'il me désigna de la main en me montrant le grand bassin. Puis, il m'invita à entrer dans cette eau à l'odeur fortement chlorée. Ce professeur me demanda si je pouvais lui montrer mes capacités actuelles à évoluer dans cette immensité translucide. A la fin de ma première prestation, je l'entendis dire entre ses dents :

- Ouh là là, c'est un cas celui-là !

Il me donna ses premiers conseils et l'heure était déjà terminée. Nous nous quittâmes par un salut cordial, chacun fier de sa prestation. Les jours se suivirent comme le premier, je me présentais à l'heure à mon cours individuel bien décidé à trouver la parade ou le geste juste pour évoluer dans l'eau avec efficacité. 

Ah j'oubliais, ma femme disait de ma nage qu'elle ressemblait à aucune de celles qu'elle connaissait habituellement. Ma nage s’apparentait totalement à un bouchon de liège qui tentait de pénétrer dans l'eau mais qui ressortait aussitôt avec l'attraction terrestre. Ce balancier incessant, vous en conviendrez, ne permettait pas de progresser efficacement dans un bassin de 50 mètres.

Puis arriva le jeudi et la surprise du chef, la révélation du maître-nageur, devrais-je plutôt écrire. J'étais en train de batailler plus que de nager lorsqu'il me demanda soudainement de venir près du bord du bassin. Je me suis exécuté car en tant que bon élève, je suivais tant bien que mal les directives de mon professeur qui ne semblait pas satisfait des résultats obtenus. Il chercha ses mots et je me suis dit qu'il allait me féliciter de mes efforts quotidiens. Et bien non, il m'annonça avec grande difficulté :

- Alain, nous allons faire un break !

- Quoi !!! Lui répondis-je ?

- Vous m'avez bien entendu, je préfère arrêter les cours.

J'étais sonné, KO debout ! J’étais sûr d'être, le seul élève, depuis la création de cette piscine dont le professeur jetait l'éponge. Je ne pouvais pas en rester là et je le questionnai :

- Mais quel est le problème ?

- Alain, je constate que vous êtes assidu, motivé et pugnace mais je dois vous l'avouer, avec vous je n'y arrive pas.

On aurait dit un homme qui n'arrivait pas à satisfaire sa partenaire et qui lui annonçait que c'était bien la première fois de sa vie. Quant à moi, je sortis du bassin et je suis venu lui confirmer que nous pourrions arrêter dès ce jour. Le maître-nageur m'a souri et était totalement soulagé. Il n'accepta d’ailleurs pas mon chèque bancaire pour régler les quatre jours de cours.

La moralité de cette histoire est simple encore aujourd'hui : je pratique la nage du bouchon. Mais c'est plus en phase avec ma nouvelle ville d'adoption, j'habite à Bordeaux !

ouaouh, on dirait les cours de mon fils....c'est pas fait pour moi ça 😀

Alain ZIMMERMANN Bonjour, après avoir bien ri, la morale "N'est pas un poisson dans l'eau qui veut..." et Le Grand Bleu ne doit pas être un film qui t'a fait rêver ;). Le bouchon, ne va pas noyer ton chagrin dans un bon Bordeaux quand même :-). Au lieu d'un art aquatique, tu maîtrises bien l'art lyrique et je prends toujours autant de plaisir à te lire! Bon week-end ! Merci ;)

Loïc Grall

Référent filière RH | Consultant et Formateur | Co-créateur du podcast RH Bordeaux

4 ans

Vous n'êtes peut-être pas à l'aise dans le milieu aquatique mais vous savez vous débrouiller dans d'autres milieux ! Tant que vous ne vouliez pas briguer une médaille olympique en papillon, pas grave au fond (pas du bassin) A chacun.e de trouver les biotopes dans lesquels il/elle s'épanouit Merci pour ces moments partagés 🙂

Oriane Lafon

Chef de projet @ Landfiles | Strategic Thinking

4 ans

🤣

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