Le scientisme ?
Editorial de l'émission La Tronche en Live du 12 janvier 2016.
Invité : Guillaume Lecointre, Professeur de Systématique au Muséum d’Histoire Naturelle.
Initialement publié sur le blog La Menace Théoriste.
Editorial
Celui qui se méfie des scénarios paranormaux, qui dénonce la pensée magique, qui suspecte la matière d’être capable d’expliquer par elle-même le monde dont il est témoin, qui pense que la psychologie et la sociologie donnent à voir des déterminismes cachés éclairant les mystères des légendes et des religions, celui qui pense que toute vérité est bonne à croire à condition de l’avoir fait passer au crible de la pensée méthodique, qui décline l’offre de vérité absolue des spiritualités vendues sous le sceau de la tradition ou de l’exotisme ou des deux, celui qui veut savoir pourquoi il pense savoir ce qu’il sait, et qui aimerait que les autres en fassent autant, qui rechigne à accorder à chacun le droit d’avoir raison contre les faits et s’entête à douter même de ses doutes, celui qui veut que ses connaissances soient toujours sur la sellette afin d’être remplacées dès que s‘annonce une alternative plus vraisemblable, celui qui est agaçant parce qu’à force de ne pas prétendre avoir définitivement raison, il réussit à ne jamais avoir vraiment tort dans sa démarche, celui qui maîtrise le doute raisonnable, celui-là est familier, plus qu’il ne le voudrait, avec l’acrimonieuse accusation du crime honni contre la pensée, la salissure intellectuelle qui voudrait souvent clore les débats d’idée.
Celui-là, c’est un scientiste, mesdames et messieurs.
Le scientisme consiste à penser que la science à réponse à tout. La moindre de vos questions, vos petits embarras, vos lourdes angoisses, tournez-les vers la science et elle vous apportera des solutions.
Parmi les questions qu’on se pose, et depuis longtemps, il y a celle du sens de la vie. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Qui suis-je ? Qu’est-ce que la conscience ? A quoi sert l’univers ? Chacun peut imaginer son lot de questions métaphysiques, et le scientisme consisterait à dire que la science a les moyens d’y répondre.
Je n’ai jamais croisé ce genre de scientiste chez les sceptiques, les zététiciens, les rationalistes. Mais peut-être ces gens existent-il, peut-être faut-il apprendre à reconnaître les adeptes des sciences holistiques.
Nous allons nous poser la question de ce que la science, telle que pratiquée dans le monde académique de nos jours, dit sur ses propres limites. Nous verrons qu’elle ne prétend pas répondre à la question du sens de la vie, et pourtant certains semblent le croire. Elle ne dit rien sur l’existence de Dieu, et pourtant là-encore des scientistes nous disent le contraire.
Pour cette rentrée 2016, nous recevons un scientifique pour lui demander d’éclaircir un peu la notion du scientisme, et celle du positivisme, pour retrouver ensemble les contours du périmètre d’action de la science, et décrypter la position relativiste qui lui dispute sa place unique dans le paysage de la connaissance. Cet invité, c’est Guillaume Lecointre, systématicien et professeur au Muséum d’Histoire Naturelle.