Le silotage comme stratégie de maintien de la paix

Le silotage comme stratégie de maintien de la paix

Beaucoup d’entreprises, de dirigeants, se plaignent de ce que leurs services fonctionnent de façon « silotée », ne collaborent pas assez, chacun dans son coin ou sa tour d’ivoire. Et chacun de mobiliser les habituelles explications « psychologisantes » : le caractère humain ne serait « pas porté à la coopération », les salariés n’auraient pas envie de « sortir de leur zone de confort », etc. Ritournelles mille fois entendues.

Bien souvent, ces plaintes cachent le regret du manager de ne pas pouvoir faire autre chose que de s’occuper de son équipe : on aimerait des équipes qui fonctionnent toutes seules, « autonomes », « responsables » ; on aimerait que le travail se fasse tout seul, sans avoir à décider, trancher, arbitrer.

Pour comprendre pourquoi ces incantations ne produisent guère d’effet, peut-être faut-il rappeler ce qu’est une organisation : une grande machine à découper les sujets en petits bouts et à les confier à des « spécialistes » ; les chiffres aux financiers ; le recrutement et les contrats de travail aux RH ; les transports à la logistique ; la fabrication aux opérations ; les systèmes d’information aux informaticiens ; etc.

A partir de là, il est logique que tout ce beau monde adopte le point de vue de la petite boîte où la spécialisation l’a placé : le financier voit les problèmes avec les lunettes de la finance, le commercial avec celles du commerce, etc.

Une organisation est donc naturellement une machine faite pour créer du dissensus.

Qu’il y ait divergences de points de vue, différends, est parfaitement normal. Comment pourrait-il en aller autrement ? Ce qui n’est pas normal, c’est que les désaccords se transforment en tensions, les tensions en conflits. C’est le signe qu’un niveau hiérarchique n’a pas fait son boulot : celui du dessus.

Quand des désaccords (durables) ne sont (durablement) pas arbitrés, que se passe-t-il ? Que peut-il se passer ? Les options sont en nombre (très) limité. Les acteurs ont le choix entre : crier plus fort que le voisin, en espérant emporter la partie ; ou se taire et se retirer sur ses terres. Comme la plupart des salariés, même haut placés, ne vont pas au travail pour se battre, la deuxième option – le retrait – est le plus souvent choisie : chacun chez soi et les moutons seront bien gardés. 

Le silotage est avant tout fait pour se protéger soi, et pouvoir travailler à peu près en paix avec les autres.

Quand les enfants d’une fratrie se chamaillent une fois ou deux, on regarde les enfants. Quand ils se chamaillent durablement, on regarde les parents : que font-ils ? ou plutôt : que ne font-ils pas ? Le silotage est la moins pire des solutions pour gérer pacifiquement des différends inévitables que personne n’arbitre.

Cela étant posé, quelles voies s’offrent à nous ?

  • A très court terme, clarifier le mode de décision et le partager avec les acteurs, pour leur signifier que, s’ils n’arrivent pas à trouver d’accord à leur niveau – solution évidemment toujours la plus souhaitable –, ils n’ont pas à rentrer dans une escalade de la tension.
  • Mieux encore : attaquer la question à la racine, c’est-à-dire créer suffisamment de « commun » pour que les acteurs puissent dépasser leur strict champ de responsabilité. Par exemple au moyen d’une vision commune, par exemple en traitant collectivement – en équipe – les sujets individuels.

Sur ce dernier point, comme le diable est dans les détails, cela suppose d’aller assez finement dans les comportements, les postures, les attitudes : comment je me comporte quand un de mes collègues apporte un problème qui m’impacte moi ? Je lui tombe dessus en estimant que c’est à lui de trouver la solution ? Je l’aide ? On l’aide ? Le sujet individuel, en fait-on un sujet collectif ? Ton problème ne peut-il pas devenir mon problème, notre problème ?

Plutôt que de traiter le désilotage sur le mode de l’injonction, il y a là dans ces questionnements un état d’esprit et des pratiques à installer dans les équipes, en commençant évidemment, si possible, par la première marche de l’escalier.

Mickaël Cailleau

Master Coach Professionnel pour leaders & entrepreneurs • Développer votre carrière et entreprise • Libérer votre potentiel par le jeu

1 ans

Le silotage, c’est comme si chaque individu jouait sur son propre échiquier ne voyant que son propre but (l’intérêt personnel prime sur l’intérêt collectif). Si l’on veut décloisonner et voir de façon plus globale, l’individu aurait tout intérêt à jouer sur un Goban (jeu de Go). Chaque individu, secteur est interconnecté et chacun doit prendre sa part de responsabilité, montrer une direction, se connecter aux autres et agir pour le bien commun. Mais, qui a mis ce jeu-là en place? Qui est au commande de tout cela, l’individu, l’entreprise ou les deux ?

Cécile Guinnebault

Transformez vos obstacles en ressources | Executive Coach PCC & EIA-SP | Superviseure ESIA | “Chères Erreurs” : newsletter et livre à paraître en février 2025

1 ans

"Ce qui n’est pas normal, c’est que les désaccords se transforment en tensions, les tensions en conflits. C’est le signe qu’un niveau hiérarchique n’a pas fait son boulot : celui du dessus." La dernière fois que j'ai dit ça à un client, je me suis fait virer 😅 C'est quand même plus facile de déléguer la responsabilité aux individus...

Charlyne Giraud

J’aide les acteurs de la transfo. à concilier impact & équilibre ⚡️ Coach & consultante en transfo.

1 ans

Toujours aussi pertinent et juste dans vos articles Arnaud Tonnelé. Merci pour ce nouveau regard sur l'organisation silotée. Cela renforce mon attrait pour le coaching d'organisation.

Sophie Cattier

Coach d'organisation 👓 RNCP 🎗 | Superviseuse certifiée 🚁🔥 | Administratrice du CECORP et de France Processus 🎯 | Transformation culturelle 🧭

1 ans

Le silo est entretenu par l'absence, l'interdiction, la non permission, l'ignorance, d'une compétence essentielle pour sortir des clivages entretenus et désirés à tous les étages : la transversalité. Dans le monde des petits chefs (et des grands chefs) où l'information est source de pouvoir, autoriser un sous-fifre à échanger avec le collègue du service d'en face est un crime de lèse-majesté. Et si l'échange à lieu entre deux niveaux différent c'est le peloton d'exécution. Que cela permette l'optimisation d'un processus ou satisfaction client plus grande n'est absolument pas une justification possible. Moralité dans certaines organisations la transversalité repose sur le seul dirigeant dont le rôle n'est pas de regarder comment ça se passe opérationnellement. Est-ce vraiment comme cela qu'on va répondre aux défis des organisations ?

Elsa MILLOT

Consultante Senior | Coach chez EMI Insight

1 ans

Réflexion très intéressante sur un sujet au combien d’actualité. Merci à Arnaud Tonnelé et belle façon de revisiter le mon ton son notre problème version collaborative

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets