Les femmes et la retraite : constats et causes (1/3)
Karak

Les femmes et la retraite : constats et causes (1/3)

Aujourd’hui, le constat est implacable : le montant moyen des retraites des femmes est inférieur à celui des hommes. L’écart moyen observé des pensions de droit direct est proche de 40 % !


Derrière ce nombre global, certes non représentatif de la complexité du sujet mais tellement éclairant sur la situation, il convient de souligner plusieurs points particuliers :

-       Tout d’abord, sans les dispositifs explicites de solidarité (minima de pension, majoration de durée d’assurance au titre des enfants, compensation des périodes de non-emploi…), cet écart serait accentué de 7 points ;

-       L’écart constaté se réduit au fil des générations. Il est de 49 % pour les retraités de plus de 85 ans contre 33 % pour ceux de 65 à 69 ans ;

-       Les évolutions projetées montrent une amélioration constante durant les trente prochaines années pour une stabilisation de l’écart à 25 % ensuite (à l’horizon 2050 et au-delà, le montant moyen d’une retraite de droit direct d’une femme devrait représenter 75 % de celui d’un homme) ;

-       Les droits dérivés jouent un rôle majeur en faveur de la réduction de l’écart. La pension de réversion permet ainsi de le réduire aujourd’hui à 24 % et, à compter de 2050, à 12 % environ ;

-       Enfin, en retenant une approche sur cycle de vie (c’est-à-dire en prenant en considération l’espérance de vie supérieure d’une femme), l’écart baisse alors à 15 %. Surtout, dans cette hypothèse, l’impact du mariage est prégnant puisque, pour un couple marié, le ratio F/H de pension totale (droits directs et dérivés sur cycle de vie) est de 98 %.


On le voit, les écarts statistiques calculés varient selon les angles analytiques retenus. Mais derrière cette diversité, le constat établi initialement demeure : la pension des femmes est inférieure à celle des hommes. Il est bien sûr le fruit de la différence de rémunération constatée durant la vie active.

Sachant que les retraites versées dans le cadre du futur SUR seront, plus encore qu’aujourd’hui, liées à la rémunération en activité, il est nécessaire de se pencher sur les différences observées entre femmes et hommes sur le marché du travail.


De nos jours, plusieurs éléments plaideraient en faveur d’une équité attendue plus grande : l’arsenal législatif en faveur de la parité est bien établi ; les femmes quittent le système scolaire avec un niveau d’étude supérieur à celui des hommes ; le taux de chômage des femmes équivaut peu ou prou à celui des hommes.

Et pourtant…

-       Le taux d’activité (présence sur le marché du travail) des femmes est de 10 points inférieur à celui des hommes ;

-       La part du temps partiel est 5 fois supérieur chez les femmes que chez les hommes ;

-       Le salaire horaire moyen des femmes est de 15 % inférieur à celui des hommes (davantage encore dans le seul secteur privé) ;

-       La part des cadres parmi les femmes est de 25 % inférieure à celle de leurs homologues masculins (malgré un niveau de diplômes supérieur) ;

-       Le plafond de verre demeure : moindre représentation des femmes aux postes à très haute responsabilité ;

-       Les périodes de non-emploi sont plus fréquentes chez les femmes ;

-       Les secteurs féminisés sont moins rémunérateurs…


Depuis longtemps, les économistes mesurent les sources de ces différences de rémunération. En France, la première source est le niveau inférieur de salaire horaire, viennent ensuite le taux d’activité (taux d’emploi dans le graphique ci-dessous) et le temps de travail (plus de temps partiel chez les femmes).


Les comparaisons internationales montrent que cette répartition varie fortement d’un pays à l’autre.

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Mais quelles sont les causes profondes de la persistance de ces différences de revenus du travail ?


De ce point de vue, les différences internationales sont moindres car une cause majeure émerge : la naissance du premier enfant. Elle opère comme le déclencheur des différences. Déjà, au sein des ménages, l’arrivée du premier enfant montre une baisse du taux d’activité des femmes (- 2 points environ) contre une hausse de celui des hommes (+ 5 points environ).

Cet impact s’observe également sur toutes les composantes de la rémunération globale du travail, comme le montrent les graphiques ci-dessous où le trait vertical indique la naissance du premier enfant.

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La parentalité est donc au cœur des différences salariales, qui s’accentuent plus encore au fil des naissances. Ainsi, le taux d’activité des femmes, qui est de 72 % après le premier ou le deuxième enfant, tombe à 62 % après le troisième et surtout à 33 % après le quatrième… alors que l’impact est inverse chez les hommes.


Une deuxième cause qui peut être avancée est celle de la sous-rémunération des secteurs féminisés, comme le sont ceux de l’enseignement public ou du soin à la personne. Ainsi, un professeur des écoles, qui a effectué 5 années d’études après le bac et à qui l’on confie ce que nous avons de plus cher, débute sa carrière avec 1818 € brut seulement, soit moins de 20% au-dessus du SMIC.

Autre exemple, celui de psychologue hospitalier, également diplômé de Master 2, qui débute avec le même salaire brut que le professeur des écoles mais qui subit une progression plus lente (1,7 % de hausse annuelle moyenne sur 5 ans, soit 42 % de moins que le professeur susmentionné).

Ces illustrations doivent nous conduire à nous interroger sur l’origine du constat : est-ce parce que le secteur est féminisé qu’il est sous-payé ou bien parce qu’il est sous-payé qu’il s’est féminisé ?

Chacun apportera sa propre réponse mais souvenons-nous du rôle central que jouait le maître d’école dans les premières décennies de l’école de la République. Il était l’un des notables du village, jouissant d’une position sociale respectée et assurément d’une rémunération supérieure à la moyenne. Et c’était un homme…


Enfin, nous pouvons avancer une troisième cause à cette sous-rémunération chronique des femmes. Une cause qui nous fait toucher les limites de notre modèle paritaire actuel. Comme l’explique Camille Landais, économiste, la question de l’égalité entre femmes et hommes n’a jusqu’alors été abordée que sous l’angle des femmes : elles ont obtenu le droit de vote, le droit de jouir de leur salaire, le droit de disposer de leur corps, le droit d’accéder à l’éducation, le droit à un salaire plus élevé… Les droits des femmes ont été acquis sans que ceux des hommes en pâtissent.

Pourtant, l’inégalité salariale demeure, liée fortement à l’arrivée des enfants. La régression de cette inégalité passe maintenant par la conquête de nouveaux partages impliquant un profond changement des mentalités. Les hommes sont-ils prêts à partager le temps passé en congé parental pour s’occuper des enfants ? A s’arrêter lorsque ces derniers sont malades ? A adapter leurs horaires à ceux du mode de garde retenu ? Et les femmes sont-elles prêtes à l’accepter ?

Cette dernière question peut paraître étonnante, voire provocatrice, mais elle reflète une statistique qui l’est tout autant. Lors du dernier colloque du COR (Les femmes et la retraite – 2 décembre 2019), Mme Selma Mahfouz, Directrice de la DARES[1], indiquait que « 13 % des Français seulement pensent qu’une femme devrait travailler à temps plein après son premier enfant » et, si l’on ne retient que les réponses des femmes, ce chiffre « n’est pas significativement différent » !



L’impact majeur des grossesses sur les écarts salariaux sont récurrents dans de nombreux pays, y compris les pays nordiques pourtant souvent cités en exemple en matière de parité. La statistique rapportée par Mme Mahfouz est cohérente avec les 15 % persistants d’écart de rémunération, au détriment des femmes. On peut bien sûr l’expliquer par un comportement pragmatique ou inconscient des entrepreneurs enclins à favoriser la gente masculine parce qu’elle est davantage présente sur le lieu de travail (congé paternité plus court, moins de temps partiel…). Mais si l’on dépasse cette approche stérile, ne peut pas surtout voir, dans la grossesse et l’accouchement, la naissance d’un lien mère-enfant tellement profond que de nombreuses femmes sont enclines à désinvestir partiellement la sphère professionnelle au profit de la sphère filiale ?

La différence entre la part subie et la part souhaitée de ce désinvestissement est difficile à appréhender mais elle est peut-être mesurée par cet écart de rémunération encore pérenne. Sous l’angle des retraites, la question qui se pose est celle d’une forme de reconnaissance de la Nation envers ces mères afin que la perte de rémunération induite par ce désinvestissement partiel et temporaire de la sphère professionnelle ne se traduise pas par une perte de retraite d’un niveau équivalent.


Nous verrons donc, dans un prochain article, si et comment le futur système universel de retraite (SUR) contribuera à ce rééquilibrage de façon plus adaptée que les régimes actuels, dont on a pu constater ici une certaine inefficacité.



[1] Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère du travail.



evelyne Guffens

gérante, fondatrice chez EPITOME - conseil

5 ans

Effectivement votre analyse socio - économique montre parfaitement les écarts hommes/femmes. Et pourtant nous sommes un des pays EU où je crois la population féminine est celle qui accède le plus à une vie professionnelle. Concernant les femmes cadres sup, dans mes entretiens, j'ai constaté que le temps de la  toute petite enfance, certaines recherchent des postes moins exposés, voire moins bien rémunérés transitoirement ( dans le public ou dans certaines Institutions parapubliques)  afin de se ménager plus de temps pour les enfants. Elles ont planifié ensuite la reprise de postes avec le niveau de responsabilités qu'elles avaient auparavant.

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