"Les gens ne veulent plus travailler"​ : à qui la faute ?

"Les gens ne veulent plus travailler" : à qui la faute ?

Avec la reprise, le marronnier des "tensions sur le marché du travail" revient en force. Au Medef, on s’en inquiète ostensiblement. Réjouissons-nous : on entend de moins en moins les formules toutes faites d’autrefois, "les gens ne veulent pas travailler", ou la variante "quand on veut vraiment bosser, on trouve toujours".

Au ministère comme dans le patronat, on le dit maintenant haut et fort : en phase de pénurie de talents, il faut augmenter les salaires. Sans doute. Mais est-ce suffisant ? La réponse complète passe sans nul doute par l’expertise du DRH : c’est à lui que revient la tâche de donner envie de rejoindre l’entreprise.

Un marché structurellement tendu

« Si des tensions coexistent avec un taux de chômage élevé […], cela révèle une inadéquation entre l’offre et la demande de travail, source de chômage structurel », nous explique la Dares dans un document méthodologique sur la mesure des tensions sur le marché du travail qui vient de paraître. Qu’est-ce qui détermine ces fameuses tensions ? La Dares propose un inventaire des causes possibles :

- L’inadéquation des compétences et des emplois. Les employeurs ne trouvent pas les bons profils. Une partie du problème se situe incontestablement à ce niveau.

- L’inadéquation géographique : en France métropolitaine, la dispersion des taux de chômage régionaux est parmi les plus faibles d’Europe, ce qui signifie que ce facteur jouerait relativement peu.

- Les facteurs démographiques : dans certains métiers, la forte proportion de seniors entraîne des tensions, liées aux départs massifs à la retraite de salariés expérimentés.

- L’impact de la hausse des contrats courts, qui accroît le turn-over et rend les emplois moins attractifs.

- La difficulté des entreprises à formuler leurs besoins, soulignée par France Stratégie il y a déjà 4 ans.

- L’inadéquation entre l’offre de travail et les attentes des individus.

- L’inadéquation des pratiques de recrutement.

Ces facteurs sont inégalement imputables aux entreprises : celles-ci ne maîtrisent pas la démographie de la même façon qu’elles contrôlent leurs pratiques de recrutement. Mais toutes ont un point commun : une stratégie RH pertinente peut y apporter des réponses. L’inadéquation des compétences peut se gérer par la formation. Les barrières géographiques peuvent être au moins en partie surmontées par des politiques de recrutement attractives, des aides au déménagement et à la mobilité, un recours accru au télétravail. Les facteurs démographiques peuvent être anticipés par une vraie GPEC, etc. Mais c’est sur la formulation des besoins et sur le processus de recrutement que les DRH peuvent agir le plus immédiatement.

Un marché de luxe

En recrutement comme en affaires, il n’y a pas de mal à jouer le jeu de la libre concurrence. Mais encore faut-il connaître son marché. L’amateur de kebab sera regardant sur la qualité du produit ; il le sera moins sur le service ou la déco du restaurant. Le consommateur de cuisine gastronomique, en revanche, s’attendra à un certain décorum. Les entreprises comprennent très bien ces principes dans le marketing de leur offre. Curieusement, elles semblent les oublier dès lors qu’il est question de vendre leur marque employeur aux candidats.

La relation entre recruteur et recruté peut en effet se concevoir dans les deux sens : l’entreprise achète des compétences mais elle « vend » de l’expérience collaborateur. Or, et beaucoup d’employeurs et de RH peinent à l’appréhender entièrement, l’expérience collaborateur est un produit de luxe. Le marché de l’emploi est un marché du haut de gamme, dans lequel les candidats-clients affichent des exigences élevées. Échouer à satisfaire ces exigences se traduit par des pertes pour l’entreprise, sous forme de moindre engagement, de recrutements à répétition, d’inflation du turn-over, de détérioration de la marque employeur.

Ce constat n’est pas réservé au marché de l’emploi des cadres et de quelques techniciens spécialistes : il s’applique de façon flagrante à un nombre croissant de métiers, des sages-femmes aux soudeurs en passant par les aides ménagères et les chauffeurs routiers. En dernière analyse, l’approche du marché du travail comme un marché du luxe est même pertinente pour n’importe quel recrutement, dès lors que l’entreprise est décidée à tirer le meilleur de son capital humain – ce qui est, après tout, la mission des RH.

Un marché affecté par la pénurie d’envie

À côté de la pénurie de compétences et de profils, les entreprises font face à une pénurie d’envie, à une crise des vocations qui nuit gravement à leur performance et à leur développement.

L’hôtellerie-restauration, le bâtiment, l’industrie déplorent depuis de nombreuses années la difficulté à recruter et à fidéliser, en blâmant les usual suspects : charges trop lourdes, complexité administrative, et bien sûr la décadence des mœurs qui amène, depuis la nuit des temps, les nouvelles générations successives à se comporter de manière criminellement insouciante. La génération Z, tous des zappeurs opportunistes !

Sans doute y a-t-il du vrai dans toutes ces explications. Mais peu importe : ce sont des facteurs sur lesquels l’entreprise, à son niveau, n’a pas d’influence. Or, pour l’entrepreneur, la question n’est jamais "à qui la faute ?" mais "quels sont mes leviers d’action ?".

En matière de recrutement et de fidélisation, le DRH en détient l’essentiel. C’est à lui que revient la mission de faire naître l’envie de rejoindre l’entreprise, en sachant la raconter, la mettre en scène, donner sens à son action et à celle du futur collaborateur à son poste. C’est à lui de connaître les attentes de ses clients externes – les candidats – pour être en mesure d’y répondre au mieux. C’est à lui de valoriser la marque employeur et de dessiner les contours de l’expérience potentiellement vécue dans l’entreprise par le futur embauché. À lui, encore, de soigner l’expérience candidat et de faire en sorte que toute personne répondant à une annonce, quelle que soit l’issue de la candidature, en reparte avec une vision juste et positive de l’entreprise.

Un nouvel équilibre à trouver

La pénurie de talents est un énorme problème structurel dans nombre de secteurs et d’entreprises. C’est une préoccupation stratégique majeure des employeurs. Les DRH détiennent une partie de la réponse. Ils doivent se saisir de cette mission, dans leur intérêt comme dans celui de leurs organisations. En tant que marketeur du projet humain de l’entreprise, le DRH peut contribuer à modifier les déséquilibres qui tiennent les candidats éloignés des postes à pourvoir, ou qui les font fuir une fois embauchés.

Cela suppose, bien sûr, que le management suive, et que les promesses soient tenues : c’est une stratégie globale. Le DRH doit susciter l’envie et vendre de l’expérience de travail, mais cela suppose que le produit soit vendable !

Article publié initialement publié sur Focus RH le 29/09/2021.

Arnaud Tonnelé

Co-fondateur de CARE COACHING & TRANSFORMATION | Coach | Formateur en coaching d'organisation | Auteur | (pas de démarchage, pliz !🙏)

3 ans

Merci pour votre article, Thomas, dont je partage le propos. Il me semble qu’il y manque néanmoins peut-être 2 aspects : - 1. La rétention. Les entreprises se soucient d’attirer, moins de retenir me semble-t-il. Il y aurait moins de tensions sur les ressources si l’on se souciait d’adresser sérieusement la question des démissions. - 2. L’emploi des seniors. La France a le taux d’emploi des seniors le plus bas dEurope. C’est une population qui est insuffisamment gérée, et qui du coup, ne rêve que de partir à la retraite. Il y a, là aussi, un potentiel mal exploité.

P. G.

🌄# CoachprofessionnelZen/Bien-être et bienveillance au travail 🎬#ConseilenimageProPerso 🖼️# Selftaughtartist

3 ans

Manque de créativité, de simplicité. Les discours faux font fuir Parfois, il faut laisser la terre en jachère pour renouveler les nutriments de qualité. Savoir cultiver son jardin différemment,

Daniel DEBUS

DRH / HRD / CHRO / CPO Specialized in transformation / reorganization / projects & industrial relations

3 ans

Comme l’argent, le salaire ne fait pas le bonheur mais il y contribue… mais à salaire et titre égal, le poste n’est pas le même d’une entreprise à l’autre. Et quand le salaire est inégal, c’est encore une autre histoire ou un challenge de plus à relever. Parfois ce n’est pas l’absence mais le trop-plein d’envies qui devient une problématique si la DRH est peu outillée : envie de se réaliser, de progresser, d’évoluer, d’apprendre, de se développer, de faire carrière … les attentes sont nombreuses auxquelles les réponses des entreprises peuvent être en retrait voire absentes. Donner envie d’avoir envie n’est pas forcément à voir que d’un côté. #yatilundrhdanslasalle #yatilunedrhdanslasalle

Sophie Courtant

Sois, Communique, Ose ! Développez performance et bien être conjointement ! Faîtes évoluer vos repères avec un coach artiste. Certifiée RNCP

3 ans

L'absence d'envie...il semble que ce soit le nouveau mal de l'entreprise. L'envie de travailler, l'envie de venir sur site, l'envie de collectif. Faut-il donner envie ou comprendre les motivations des individus ?

François GEUZE

Innovateur & expert RH▪️ Auditeur Social ▪️ MagRH ▪️ Premier média multimodal des Ressources Humaines ▪️ @MagRH

3 ans

Justes remarques Thomas. Avoir une intelligence globale de la situation est nécessaire

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