Les tourbières stockent 30 % du carbone terrestre, 1 km de haies stocke 3 à 5 tonnes de carbone par an
Par Béatrice Mingam, lundi 26 février 2024
Le défi de l’atténuation du changement climatique repose, notamment, sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la séquestration de plus de carbone dans les sols par les puits naturels de carbone. Après les forêts (newsletter du 19 février 2024), nous poursuivons notre découverte de ces puits avec les zones humides et leurs tourbières, mais aussi les haies, éléments constitutifs du bocage. Le maillage bocager, associé aux zones humides, préserve la biodiversité. Ses arbres, arbustes et autres plantes permettent de stocker du carbone. C'est aussi un rempart contre l'érosion des sols, la pollution des eaux et les marées vertes.
Après le remembrement, restaurer les haies vives
Recréer un maillage de haies vives est un enjeu pour le territoire. Constituées d’arbres, d’arbustes, d’arbrisseaux, de sous-arbrisseaux et de plantes indigènes, ces haies, éléments constitutifs du bocage traditionnel français, ont été mises à mal par le remembrement.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les 145 millions de parcelles en France avaient une taille moyenne de 0,33 hectare, rendant difficile et peu rentable l’utilisation de tracteurs, moissonneuses batteuses et autres engins agricoles modernes.
Avec la politique de réorganisation des terres, qui s’opère successivement en 1946, 1959, 1960, puis de manière intensive entre les années 1960 et 1980, les paysages des campagnes ont été durement affectés.
750 000 km de haies ont été supprimés
Bocages, talus, fossés, mares et micro-zones humides ont été massivement détruits, impactant sévèrement la faune et la flore. Sur les 15 millions d’hectares remembrés, 750 000 km de haies vives ont été supprimés, particulièrement dans le nord de la France et la Bretagne.
Dès 1954, des voix se sont élevées pour en dénoncer les impacts éco-paysagers collatéraux, comme celle de Paul Matagrin, directeur de l’École nationale supérieure d’agronomie de Rennes. Il craint « des conséquences climatiques, des problèmes d’eau et d’érosion des sols ». « Notre équilibre écologique ancestral, dit-il alors, s’est brisé et nous ne savons pas encore quelle sera la limite de ces destructions irréversibles ».
Il faudra cependant attendre 2007 pour que le Grenelle de l’environnement propose d’instituer un « remembrement environnemental » ou « remembrement écologique » pour réparer les dégâts.
Les impacts du remembrement, révélés depuis, sont importants. La faune et la flore sont perturbées. L’équilibre entre l’eau et les sols est rompu, donnant lieu à des inondations, des pratiques de drainage pour évacuer l’eau ou assainir des zones humides, et l’eutrophisation des milieux terrestres et aquatiques (augmentation des concentrations d’azote et de phosphore, dues à l’activité agricole pour l’un, des eaux résiduaires urbaines pour l’autre).
Les super-pouvoirs des haies
Dans le cadre de la coopération carbone, les haies peuvent jouer un rôle. Selon une étude de l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), 1 km de haies stocke 3 à 5 tonnes de carbone par an. Le maillage bocager a un autre super-pouvoir : il empêche l'érosion et le déversement d'excès de nutriments dans l'eau, sources de pollution, comme le phosphore, issu des eaux usées d’origines domestiques et industrielles, et l'azote, dont les nitrates. Ceux-ci proviennent principalement de l'agriculture via les épandages ou les effluents d’élevage. Ils sont assimilables par les plantes et servent de base à l’alimentation azotée de nombreuses plantes cultivées.
Comment phosphore et azote (dont les nitrates) forment-ils les marées vertes ?
Le phosphore et l'azote, indispensables à la croissance des plantes, peuvent se retrouver en excès dans les eaux du littoral par le mécanisme du ruissellement par le sol, les nappes souterraines et les cours d'eau jusqu'à l'océan. Des plantes aquatiques s'en nourrissent : les algues vertes ou laitues de mer, à l'origine des marées vertes lorsqu'elles prolifèrent et s'échouent sur les rivages après une eutrophisation (ou déséquilibre) du milieu. Au bout de 24 h à 48 h, sous l'effet du soleil, elles entrent en putréfaction, forment une croûte et produisent du sulfure d'hydrogène (H2S), un gaz potentiellement mortel.
Le combat de la journaliste Inès Léraud
A forte concentration, le H2S peut provoquer des pertes de connaissances ou la mort après quelques mouvements respiratoires. « Depuis la fin des années 1980, au moins 40 animaux et trois hommes se sont aventurés sur une plage bretonne, ont foulé l'estran et y ont trouvé la mort », dénonce la journaliste Inès Léraud d'abord dans un reportage radio sur France Inter, puis dans une enquête publiée sous forme de BD, avant de devenir un film diffusé sur les écrans en 2023.
Dans l'estuaire du Gouessant en baie d'Hillion (Côtes d'Armor), il est responsable de la mort d'un chien en 2008, de 36 sangliers en 2011 et d'un jogger en 2016. Dans la baie de Saint-Michel en Grève, la mort d'un cheval en juillet 2009, son cavalier ayant été sauvé de justesse, a aussi fait grand bruit dans les médias, comme celle de Thierry Morfoisse, charrieur d'une benne d'algues en décomposition la même année, victime d'un accident du travail qui lui a été fatal, reconnu seulement neuf ans après son décès.
Les éléments constitutifs du bocage, notamment les haies, forment un rempart à la source. Ils réduisent les crues et limitent les pollutions diffuses présentes dans les eaux de ruissellement. Leur système racinaire capte les particules dissoutes, ce qui permet de diviser par quatre les flux de nitrates, d'où l'importance de récréer haies et zones humides avec l'aide des collectivités locales, mais aussi et surtout avec les agriculteurs volontaires sur leurs parcelles de terrain.
Le projet Carbocage
En 2017, le projet Carbocage, porté par les chambres d’agriculture des Pays de la Loire et de Bretagne, financé sur trois ans par l’Ademe (2017-2020), a lancé une bourse locale du carbone. Il propose une rétribution des agriculteurs pour la fonction puits de carbone de leurs haies, qu’ils sont incités à recréer, un revenu d’appoint. Entreprises et collectivités locales désireuses de contribuer volontairement à cette séquestration carbone donnent un coup de pouce à leur gestion optimisée en achetant des crédits sur une plateforme numérique. Le gain potentiel en gaz à effet de serre est estimé à 1,3 million t eqCO2 par an à l'horizon 2030, selon les chambres d'agriculture.
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Ce projet permet aux entreprises de compenser leurs propres émissions de CO2 par le financement d'actions de séquestration de carbone. A l’origine, il comptait la participation d’une trentaine d’entreprises et d’une quarantaine d’agriculteurs sur quatre territoires pilotes : les Mauges (Maine-et-Loire), la Vallée de la Sarthe, le pays de la Roche aux fées (Ille-et-Vilaine) et le pays de Roi-Morvan (Morbihan).
La Poste, notamment, dont les 60 000 véhicules parcourent 60 fois le tour de la Terre chaque jour (760 millions de kilomètres), a commencé, dès 2018, à soutenir l’initiative sur les quatre territoires en débloquant une première enveloppe de 50.000 € pour 70 km de haies réparties sur une dizaine d’exploitations.
« Cela a contribué au stockage de plus de 200 t eqCO2 en 2019 et un potentiel de stockage sur 15 ans de près de 3 000 t eqCO2 », indiquait l'entreprise au magazine Web-Agri en décembre 2019. Les salariés ont même participé à la plantation de linéaires de haies bocagères dans une ferme biologique expérimentale du Maine-et-Loire.
Des agro-industriels alimentaires ont aussi mis la main à la pâte carbocagère, comme Triballat et Agrial qui rachètent du crédit carbone et offrent la possibilité à leurs salariés d’abonder un compte épargne carbone lorsqu’ils économisent de l’énergie sur leur poste de travail.
Dans le cadre d'une évaluation du projet, des chercheurs de l'Inrae ont arpenté le bocage de Bretagne et des Pays de Loire. Leur étude montre des stocks de carbone organique significatifs dans les sols à proximité des haies bordant des parcelles agricoles.
« Le stock additionnel total mesuré sur 90 cm de profondeur varie de 0,8 à 2,2 tonnes de carbone pour 100 mètres linéaires de haies, pour les haies jeunes, et de 1,2 à 4,2 tonnes de carbone pour 100 mètres linéaire pour des haies anciennes, expliquent-ils. Cela correspond à une augmentation annuelle de stocks de 9 à 13 ‰ localement autour de la haie, soit deux à trois fois l’objectif annuel de croissance de 4 ‰ des stocks de carbone du sol, destiné à réduire de manière significative dans l'atmosphère la concentration de CO2 liée aux activités humaines ».
Par contre, nuance l’Inrae, « à l’échelle d’un paysage, l’impact des haies sur le stockage de carbone est inférieur à l’objectif 4‰ : dans un paysage théorique composé de parcelles carrées d’un hectare, l’implantation de haies tout autour des parcelles, ne permettrait qu’un stockage de carbone additionnel annuel de 1 à 1,5 ‰ ce qui suggère que cette implantation soit pensée en complément d’autres pratiques d’entretien ou d’amélioration des stocks de carbone dans les paysages agricoles ».
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Le pacte haie du gouvernement
Le gouvernement a présenté le 29 septembre dernier un pacte en faveur de la haie doté d’un budget de 110 M€ dès 2024, afin de mettre un coup d’arrêt à la destruction et la dégradation des haies. On estime que 20 000 km linaire disparaissent en moyenne chaque année. En l’espace de 20 ans, leur largeur est passée de 3 à 4 mètres de largeur en moyenne à aujourd’hui 50 cm et la biodiversité s’est raréfiée.
Bonne nouvelle ! 50 000 km de nouvelles haies devraient être plantées d’ici 2030. La haie doit être un outil pour les agriculteurs qu’ils doivent entretenir et améliorer. Elles donnent de l’ombre aux animaux d’élevage, recréent la biodiversité, permettent un revenu d’appoint en bois de chauffage ou, pourquoi pas, en arbres de pépinière.
En complément, je vous propose de visionner cette vidéo de l’Office Français de la biodiversité, en collaboration avec le Cnrs. Une partie a été tournée dans le bocage breton.
Dans le Morbihan, un plan de restauration de 23 M€
Les marées vertes des Côtes d’Armor ont largement défrayé les chroniques. Mais elles touchent l’ensemble du littoral breton. Le Centre d’étude et de revalorisation des algues (Ceva) a comptabilisé 141 sites touchés, au moins une fois, par des échouages entre 1967 et 2018. 86 sites ont été concernés au moins une fois chaque année durant cette période par des marées vertes, en Côtes-d’Armor, Finistère et Morbihan.
L’augmentation des apports en nitrates (des composés d’azote et d’oxygène) par la chaleur et l’ensoleillement ou les fortes pluies en fonction des périodes de l’année, a accru le phénomène d’apparition des algues vertes dans le Golfe du Morbihan. Dans l’eau, les algues vertes s’accrochent, s’entassent, coupent la lumière et étouffent les herbiers de zostères, essentielles à la faune et contre l’érosion marine.
L’objectif du Sage (Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau) du golfe du Morbihan-Ria d’Etel est de parvenir à une baisse de la concentration de nitrates de 15 % par an pour atteindre 15mg/l.
23 millions d’euros sur six ans vont être investis par Golfe du Morbihan Vannes Agglomération (GMVA), Auray Quiberon Terre Atlantique (Aqta), Questembert communauté et Arc sud Bretagne, avec le soutien de l’Agence de l’eau, la Région et le Département pour restaurer les zones humides, les cours d’eau, les talus, les haies et améliorer l’assainissement. La signature du contrat territorial 2022-2024 « Bassins-versants côtiers du golfe du Morbihan, de Quiberon à Pénerf » a été réalisée le 4 avril 2023 pour les six ans à venir. Les bassins-versants côtiers du golfe du Morbihan représentent 1 500 km de cours d’eau pour une superficie de 1200km².
Restaurer les zones humides avec Rerzh et les gérer avec les conservatoires d’espaces naturels
85 % des zones humides ont pourtant été détruites en France. Or, elles favorisent l’absorption du carbone. Leur restauration est le cheval de bataille de Rerzh (Réseau sur la restauration des zones humides de Bretagne). Il a été créé en 2013 sous l’impulsion du Forum des Marais Atlantiques (FMA) et du Conseil départemental du Finistère, réunis au sein de la Cellule d’animation sur les milieux aquatiques et la biodiversité (Camab), autour de partenaires techniques et scientifiques bretons.
«Les tourbières, les mangroves et les herbiers marins sont les puits de carbone les plus efficaces au monde. Ils absorbent et stockent deux fois plus de carbone que toutes les forêts réunies sur Terre. Quand on sait que les tourbières représentent 3 % des terres et assurent 30 % du stockage de l’ensemble du carbone terrestre, imaginez ce que nous pourrions obtenir en renouant avec les zones humides». Rerzh
Les conservatoires d’espaces naturels aident aussi les collectivités à une meilleure gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi).
Pour en savoir plus, plongez-vous dans cette vidéo :
Merci d'avoir lu cet article de notre dossier Coopération Carbone. Il est destiné à être enrichi régulièrement. N'hésitez pas à commenter nos publications, à partager vos propres actions et expériences. Vos commentaires et suggestions nous permettront de poursuivre cette aventure éditoriale.
Nous nous retrouvons lundi 4 mars pour un nouvel épisode autour de la thématique des puits naturels de carbone.
Sources et ressources pour aller plus loin :
Carbocage
Remembrement
Algues vertes
Nitrates
Conseil, stratégie, accompagnement RSE & Communication durable et responsable | gestion de projets
9 moisConseil, stratégie, accompagnement RSE & Communication durable et responsable | gestion de projets
9 moisBravo pour cet article très enrichissant. Il serait profitable à tous qu'une éducation de la population soit faite sur ces thèmes, ne serait-ce que pour éveiller les consciences...