"Les transitions collectives ne doivent pas se résumer à accompagner des suppressions de postes" (Angeline Barth, CGT)
Par Christophe Marty, le 02/11/2020 - Lire la dépêche en ligne
Les partenaires sociaux sont parvenus à infléchir la proposition du gouvernement en faveur des transitions professionnelles interbranches avec leur position commune du 16 octobre 2020. Dans un entretien à AEF info, Angeline Barth, secrétaire confédérale de la CGT en charge de la formation professionnelle, attire toutefois l’attention sur les risques qui existent à ne considérer la question des transitions professionnelles que seulement en lien avec les suppressions d’emploi. Si elle accorde au gouvernement le crédit de réunir les partenaires sociaux pour trouver des réponses à la situation actuelle, la secrétaire confédérale de la CGT regrette qu’il ne soit pas capable de sortir de "son logiciel de stratégie du ruissellement et d’aides aux entreprises sans conditions". Elle livre également sa lecture du plan de relance et du rapport Igas-IGF sur le financement de la formation.
AEF info : Au bout de trois semaines d’échanges entre les partenaires sociaux et le gouvernement, quel bilan d’étape tirez-vous de cette séquence ?
Angeline Barth : Cette séquence de travail a été dense. Nous sommes collectivement face à une situation inédite à laquelle personne n’était préparé. Le gouvernement n’a pas la réponse à tout et nous réunit pour trouver des réponses aux enjeux qui sont les nôtres. Mais il ne sort pas de son logiciel de stratégie du ruissellement et d’aides aux entreprises sans conditions, qui n’ont jusqu’à présent en aucune manière fait preuve de leur efficacité sur l’emploi.
AEF info : Quel est votre avis sur le projet de dispositif de "Transitions collectives" qui doit être mis en place d’ici quelques semaines pour accompagner les transitions professionnelles interbranches ?
Angeline Barth : Dès le mois de juin, nous avons proposé au gouvernement de mettre au débat une remise en route des "Contrats de Transition professionnelle", qui avaient été expérimentés après la crise de 2008 sous l’impulsion de la CGT. Ce dispositif permettait le retour à l’emploi des salariés licenciés pour motif économique. Nous souhaitions qu’il puisse être adapté pour répondre aux enjeux de maintien dans l’emploi des salariés, aujourd’hui face à la crise économique et demain face aux transitions écologiques. Nous avons ensuite largement débattu en septembre avec les organisations syndicales et patronales de l’enjeu des transitions professionnelles, qu’elles soient collectives ou individuelles, et nous sommes arrivés à un point d’accord, qui a été pour partie repris par le gouvernement.
Mais nous pensons, à la CGT que les transitions collectives ne doivent pas se résumer à accompagner des suppressions de postes. La question de l’emploi doit s’accompagner de prospectives et d’ambitions permettant d’entamer au plus vite le virage nécessaire pour répondre aux enjeux environnementaux. Sinon, de nombreux emplois risquent d’être menacés à très moyen terme, si rien n’est anticipé collectivement. Nous continuons à faire des propositions dans ce sens pour faire évoluer ce projet de "Transitions collectives".
AEF info : Sur ce sujet des transitions professionnelles, est-ce que l’enveloppe de 100 M€ supplémentaires mise sur la table par l'État pour le CPF de transition est suffisante ?
Angeline Barth : Il manquait déjà 500 M€ au budget du CPF de transition par rapport à l’existant et à ce qu’était le CIF précédemment, donc la proposition initiale d’ajouter 100 M€ était clairement insuffisante. Aujourd’hui, les associations de Transitions professionnelles ne peuvent déjà pas répondre aux demandes en raison du manque de budget et nous savons pertinemment que nous allons avoir deux types de nouveaux cas à accompagner du fait de la crise :
- les salariés des TPE dans lesquels il n’y aura pas de PSE et qui vont se trouver le bec dans l’eau et auront besoin d’aides pour rebondir ;
- les salariés chez qui la crise du Covid a créé de nouvelles aspirations en termes de métiers, de localisation… Il va aussi y avoir des gens qui auront envie de faire autre chose dans le cadre d’un projet personnel.
Par ailleurs, les associations Transitions Pro ont un problème depuis cet été pour gérer tous les salariés précaires, les intérimaires, intermittents, saisonniers…, qui ne travaillent plus depuis le mois de mars et n’ont donc plus de contrat depuis six mois et n’ont pas accès aux dispositifs de transitions professionnelles alors qu’ils ont besoin de se former. Ils passent sous les radars et il y a de vrais besoins auxquels on ne peut pas répondre.
AEF info : Les discussions liées au suivi de la réforme de la formation professionnelle devraient être reportées au début d’année 2021. Comment jugez-vous ce report ?
Angeline Barth : Les ministres ont en effet annoncé le 26 octobre dernier qu’ils comptaient ajourner ces sujets. Nous ne sommes pas surpris : ce sont des sujets qui nécessitaient de mettre au débat les questions de financement et de contributions des entreprises. Ce choix du gouvernement est totalement cohérent avec ses orientations : ne pas faire contribuer les entreprises.
AEF info : Qu’attendiez-vous de cette concertation qui s’est ouverte début octobre ?
Angeline Barth : Le problème de cette séquence est que, sur le fond, les finalités ou les dispositions prises par la loi du 5 septembre 2018, nous n’étions pas en phase avec les pouvoirs publics. Nous n’attendons pas que l’histoire nous donne raison mais force est de constater que tous les avertissements que nous avons pu adresser se sont avérés juste. Le véritable enjeu du plan de relance est en fait lié à la transformation des outils de production. Nous essayons de peser pour améliorer les dispositifs qui restent à la main des salariés mais aussi, et surtout, pour que le gouvernement ne vienne pas se servir de ces dispositifs comme de variables d’ajustement, entraînant ainsi une baisse des droits des salariés.
AEF info : Quel regard portez-vous sur le volet "compétences" du plan de relance inclus dans le "bouclier anti-licenciement" ?
Angeline Barth : Pour nous, les prolongements de l’activité partielle et de l’APLD sont deux éléments très importants de la sécurité sociale professionnelle mais on a toujours dit que ce n’était pas suffisant car ils n’ont pas été assortis de suffisamment d’obligations des entreprises en matière d’emploi et, surtout, d’emploi pérenne. En cela, ce n’est pas un véritable bouclier anti-licenciement puisque les entreprises qui sont ainsi aidées peuvent toujours licencier leurs salariés.
Au-delà de ça, le vrai débat est celui entre compétences et qualifications et là, on retombe sur ce que nous dénonçons depuis longtemps en matière d’individualisation et de politique emploi-formation adéquationiste. De notre côté, nous pensons qu’il faudrait remettre au centre des réflexions la politique des qualifications, notamment au regard de ce que nous avons constaté pendant la crise du Covid et en faveur de tous ces métiers mal rémunérés qui ont fait fonctionner le pays pendant le confinement. Il y a un certain nombre de choses qui devraient être remises sur la table en matière de réflexion classification-salaire.
Il y a aussi de vrais besoins de réflexions par filière et au niveau des territoires sur tous les métiers qui sont amenés à évoluer, notamment en raison de la transition écologique. Par exemple, il faut arrêter de réfléchir par branche pour envisager les choses sous l’angle des filières en matière d’apprentissage. Il y a des choses à construire entre donneurs d’ordres et sous-traitants pour qu’un apprenti puisse trouver du travail dans la branche où il s’est formé mais aussi, plus largement, dans la filière concernée. La relation filière-donneur d’ordre-sous-traitant est centrale que ce soit en termes d’emploi, de qualification, de transitions professionnelles…
AEF info : Le "plan jeunes" semble porter ces fruits, notamment en matière de recrutement d’apprentis. Est-ce un bon signal ?
Angeline Barth : Il fallait faire quelque chose pour les jeunes, c’est évident. Après, il y a des phénomènes d’opportunités qui sont dangereux. Nous observons sur le terrain que, dans certaines entreprises, des cohortes d’apprentis de deuxième année sont poussées dehors parce qu’ils coûtent trop cher et sont remplacés par de nouveaux apprentis de première année. De même, nous constatons qu’il y a des salariés qui sont remplacés par des apprentis… Il n’est pas possible de parler d’apprenti à "zéro euro" sans mettre des garde-fous pour garantir l’emploi pérenne et éviter ces phénomènes de substitution entre apprentis ou entre apprentis et salariés. Par ailleurs, nous avons des inquiétudes dans les secteurs qui sont les plus impactés par la crise (HCR, culture…) et où on nous remonte un grand nombre de jeunes qui ne trouvent pas d’entreprise pour faire leur apprentissage.
AEF info : Que pensez-vous du rapport Igas-IGF sur le financement de la formation professionnelle ?
Angeline Barth : Le fait que ce rapport ait été publié est déjà une bonne nouvelle en soi, même si cette publication a été très tardive pour un rapport daté de mars. Sur le fond, il donne raison à l’analyse que l’on porte depuis 2014 sur le sous-financement de la formation. Avant 2018, les financements ne répondaient pas au besoin des salariés mais là, il est clair que les financements ne répondent même pas aux besoins de la réforme. La réalité est finalement même pire que ce que nous redoutions.
AEF info : Quel regard portez-vous sur ses préconisations pour remettre le système de formation à l’équilibre ?
Angeline Barth : Il y a des pistes à regarder, notamment sur la constitution des réserves des Opco. Même si c’est un sujet délicat, nous considérons que ces réserves doivent être utilisées pour la formation des salariés en regardant avec les branches professionnelles comment elles peuvent s’en saisir. Aujourd’hui, nous voyons bien les besoins de formation pour transformer les outils de production, notamment pour répondre à l’urgence climatique. Après, cette solution n’est valable qu’une fois. Il faut aussi regarder ailleurs.
Les propositions de transfert de financement entre l’Éducation nationale, les lycées professionnels, et l’apprentissage représentent une ligne rouge pour nous. Les deux filières doivent coexister et être financées. Nous avons aussi des filières d’excellence dans les lycées professionnels même si elles sont dévalorisées aujourd’hui.
De même, il ne serait pas acceptable de baisser les droits des salariés en instaurant un ticket modérateur sur le CPF. Il y a déjà eu une baisse des droits avec la monétisation du CPF et on ne peut pas envisager aujourd’hui de baisser des droits qui ont déjà été réduits il y a deux ans.
Au final, les propositions de l’Igas et de l’IGF pour rétablir l’équilibre financier du système jouent exclusivement sur les droits et oublient de parler des ressources qui sont pourtant une part importante du problème du fait de leur insuffisance.
AEF info : Le rapport Igas-IGF propose également de revoir la gouvernance du système de formation. Un sujet qui est aussi à l’ordre du jour des concertations. Est-ce que ses propositions peuvent être intéressantes ?
Angeline Barth : Nous sommes inquiets sur la place que le gouvernement veut réellement laisser aux organisations syndicales. Le rapport s’inscrit en fait dans la continuité de la réforme de 2018 qui a créé la superstructure France compétences dans laquelle les partenaires sociaux ont une place totalement minorée. Il y a une étatisation que l’on constate aussi dans les Opco avec la présence d’un commissaire du gouvernement et d’un contrôleur de Bercy. Ça se passe plus ou moins bien selon les Opco, mais ça change complètement la donne au sein des CA avec parfois des tensions qui mènent à devoir interrompre des séances pour que les partenaires sociaux se concertent en aparté… La discussion avec l’État prend parfois une place assez énorme par rapport aux discussions de fond.
Si on ajoute à ce constat l’enquête lancée par la Cour des Comptes sur la place des associations paritaires dans l’action publique [lire sur AEF info], force est de constater que nous avons un gouvernement qui semble considérer que les organismes paritaires ne sont là que pour mettre en œuvre leur politique. Dans cette logique, il y a un moment où on n’aura plus besoin des partenaires sociaux. Un des symboles de cette dérive est le PIC : on n’a pas bougé le taux de contribution des entreprises mais on prend dans cette enveloppe le financement du plan gouvernemental pour la formation des demandeurs d’emploi. C’est un sujet fondamental, mais au lieu de débloquer des financements, le gouvernement a choisi de prendre les ressources des entreprises et ce sont des moyens en moins pour la formation des salariés.
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