"La crise sanitaire engendre une baisse de cotisations de 12 %", observe Anne Thiébeauld, directrice de la branche AT-MP
Par Corinne Duhamel, le 04/11/2020 - Lire la dépêche en ligne
Comment se porte la branche AT-MP du régime général alors que ses résultats, en 2020, sont dans le rouge pour la première fois depuis plusieurs années ? AEF info a posé la question à Anne Thiébeauld, directrice des risques professionnels, nommée début 2020 (lire sur AEF info). Les perspectives d’un retour à l’équilibre, envisagé dès 2021 dans les projections financières préalables au PLFSS 2021, "dépendront de la reprise économique et de l’emploi". Pour l’heure, une des priorités est d’instruire les milliers de demandes de reconnaissance en maladie professionnelle des séquelles respiratoires graves de la Covid-19 après la création officielle de deux tableaux par le décret du 14 septembre dernier. Et de continuer à accompagner les entreprises, particulièrement dans les services, qui ont enregistré une hausse de 4% des TMS en 2019.
AEF info : Les résultats financiers de la branche AT-MP se sont considérablement dégradés du fait de la crise. Pouvez-vous les commenter ?
Anne Thiébeauld : Les prévisions de résultats financiers de la branche pour 2020 font état d’un déficit à hauteur de - 300 M€ en 2020, selon les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale révisées pour le PLFSS 2021. Nous étions en effet à - 500 M€ selon les prévisions du début d’année. C’est une situation inédite pour la branche, excédentaire depuis plusieurs années. Les perspectives d’un retour à l’équilibre en 2021, envisagé dès 2021 dans les projections financières préalables au PLFSS, dépendent de la reprise économique et de l’emploi.
AEF info : A quoi est dû ce déficit, le premier que connaît la branche depuis 7 ans, à la crise sanitaire ?
Anne Thiébeauld : Le financement de la branche repose entièrement sur les cotisations des entreprises. L’impact économique de la crise sanitaire engendre une projection de diminution de cotisations à hauteur de -12 %, alors que les dépenses restent, elles, stables.
AEF info : Comment évoluent les choses du côté des dépenses de prestations ?
Anne Thiébeauld : Les prévisions de dépenses pour 2020 sont en légère augmentation par rapport à l’année précédente. La branche indemnise en effet les conséquences des accidents du travail et des maladies professionnelles survenues sur l’année, mais aussi celles des années précédentes ; ces indemnisations pouvant être de long terme, notamment pour les maladies professionnelles et couvrant également le versement de rentes viagères.
AEF info : S’agissant de la sinistralité de la branche, on constate en 2019 une hausse des maladies professionnelles reconnues…
Anne Thiébeauld : Nous avons publié effectivement au début du mois d’octobre une synthèse du rapport de gestion de la branche qui paraîtra avant la fin novembre où l’on comptabilise à peu près 50 000 cas de maladies professionnelles reconnues, ce qui représente +1,7 % d’augmentation. C’est un niveau similaire à celui de l’année précédente. Cette hausse depuis deux ans est liée à celle de la reconnaissance des TMS qui représentent près de 90 % des maladies professionnelles.
AEF info : A-t-on déjà, à ce stade, une idée du nombre de demandes en reconnaissance en maladie professionnelle liées à la Covid-19 ?
Anne Thiébeauld : Nous ne pouvons pas mesurer le nombre d’assurés dont la situation pourra être reconnue et prise en charge au titre d’une maladie professionnelle liée au Covid-19 compte tenu du caractère encore récent de la publication du décret portant création de ce tableau de maladie professionnelle (lire sur AEF info).
Les caisses primaires d’assurance maladie ont d’ores et déjà reçu des dossiers déposés dans les accueils ou déclarés en ligne mais ceux-ci doivent être instruits selon la procédure en place. Nous avions effectivement ouvert un site durant l’été pour faciliter le dépôt des demandes de reconnaissance au titre de la Covid-19 en maladie professionnelle. Environ 11 000 déclarations ont été déposées via ce site.
AEF info : Combien de ces demandes ont-elles été déposées au titre d’un accident de travail ?
Anne Thiébeauld : Parmi les demandes effectuées, certains l’ont été - au tout début de la crise sanitaire - au titre d’accident de travail. Ces demandes font l’objet d’une demande d’orientation par les caisses primaires vers une déclaration en maladie professionnelle puisque c’est la voie de reconnaissance possible, selon le décret du 14 septembre dernier, des conséquences graves d’une exposition au Sars-Cov-2 dans le cadre professionnel.
AEF info : On note une forte augmentation des accidents de travail dans le secteur des services en particulier dans les activités tertiaires : +4 % dans la banque, les assurances et les administrations. À quoi est-ce dû ? Alors que dans des secteurs comme le BTP, le commerce ou la chimie la tendance est à la baisse…
Anne Thiébeauld : L’augmentation des accidents du travail sur les activités de services en général est en effet un point d’attention, en lien avec l’augmentation de la masse salariale des secteurs concernés, et en particulier l’intérim et le secteur de l’aide et du soin à la personne.
AEF info : Votre prédécesseure, Marine Jeantet, avait alerté en 2018 sur l’importance croissante du phénomène des TMS dans les Ehpad et les services d’aide à la personne. Est-ce que cela a entraîné des interventions ciblées de la part des services de prévention, je pense notamment aux préventeurs des Carsat ?
Anne Thiébeauld : Nos programmes nationaux de prévention portent sur les principaux risques AT-MP, c’est en particulier le cas du programme TMS Pros. Dans ce cadre, les préventeurs des organismes régionaux (Carsat, Cramif, CGSS) sont proactifs vis-à-vis notamment des Ehpad qui sont contactés et sollicités pour adhérer et suivre les étapes du programme. Ce programme a fait ses preuves ces dernières années avec près de 400 établissements ciblés relevant du secteur Aide et Soins en 2018, 94 % d’entre eux sont inscrits et 40 % ont validé un parcours de prévention. D'ici 2022, plus de 1 000 entreprises doivent être inscrites et suivies dans le cadre de ce programme. Nous intervenons à la fois en conseil et en aide au financement pour des formations ou l’acquisition de matériels aidant à la prévention des risques au sein de l’entreprise.
Nous sommes bien dans une démarche assurantielle, par laquelle nous ciblons les entreprises et les secteurs au sein desquels les risques sont les plus forts (en l’occurrence la manutention manuelle entraînant des risques de chutes et d’affections périarticulaires).
AEF info : On a pu observer ces trois dernières années une forte hausse des affections psychiques reconnues en maladie professionnelle, en particulier entre 2017 et 2018 (+23 % de MP reconnues). Qu’en sera-t-il en 2020 en 201 ? Notamment avec les conséquences de la Covid-19 ?
Anne Thiébeauld : Il faudra plus de recul pour être en mesure d’établir une mesure des conséquences sur l’état de santé, de la crise sanitaire. Les conséquences premières et graves que l’on observe aujourd’hui sont celles des affections respiratoires. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’autres pathologies conséquentes de tous ordres qui seront reconnues en maladie professionnelle.
AEF info : En septembre 2018, au moment de la signature de la COG, il était prévu d’allouer 85 M€ par an à la prévention dans les entreprises sur les trois premières années de la COG. Ces sommes auront-elles été dépensées à la fin de cette année ?
Anne Thiébeauld : Dans le cadre des engagements contractualisés entre la branche et l’État, une prévision de dotation destinée aux incitations financières était fixée à 85 M€ par an en 2018, 2019 et a été augmentée en 2020 à 100 M€. C’est une dynamique très positive que porte la branche au bénéfice de la protection de la santé au travail des salariés. Elle permet en particulier de s’adresser aux entreprises de moins de 50 salariés, les PME et TPE, qui peuvent ainsi bénéficier d’aides financières qui leur permettent d’investir en prévention.
Il existe aujourd’hui 17 subventions selon les secteurs (voire les métiers) et les risques professionnels (alors qu’il y en avait 8 en 2018). Il existe également des contrats prévention qui constituent une démarche à plus long terme entre les Carsat, la Cramif, les CGSS et les entreprises. Pour ces contrats de prévention, 33 M€ ont été engagés en 2019 et 37 M€ en 2020. D’ici la fin de l’année, nous aurons largement engagé le financement annuel de ce budget.
AEF info : A quelle échéance escomptez-vous des résultats en termes de baisse de la sinistralité ?
Anne Thiébeauld : Une TPE de moins de dix salariés a un accident de travail tous les cinq ans. La réduction de la sinistralité à l’échelle d’une entreprise, sur les 2 millions de petites entreprises en France, est un travail de longue haleine, tout particulièrement concernant les maladies professionnelles à effets différés. Pour autant, nous pouvons démontrer l’impact sur la sinistralité des visites des préventeurs des caisses régionales ; l’indice de fréquence des accidents du travail se lisant plutôt en baisse dans les deux ans suivant celles-ci.
Ces visites ciblent les entreprises générant le plus fort risque professionnel 3 % des entreprises sont visitées, mais représentant chaque année 33 % des risques et des dépenses de la branche). L’étude d’impact du programme TMS Pros, auprès des entreprises adhérentes depuis 2015 montre une diminution de la fréquence des TMS, passant de 5,8 (pour 1 000 salariés) à 5,1 en 2019.
AEF info : Y a-t-il du fait de la crise sanitaire une baisse de la signature des contrats de prévention proposés aux entreprises de moins de 200 salariés ?
Anne Thiébeauld : Les contrats de prévention étant dépendant de l’établissement d’un dialogue et d’un plan d’action dans la durée entre les services des caisses régionales et les entreprises, il n’est pas illogique que leur nombre soit moins important cette année, au regard des périodes de confinement.
En revanche, ce n’est pas le cas des aides financières : la subvention prévention Covid-19 aidant les entreprises à acquérir du matériel permettant d’organiser les mesures barrière au sein de l’entreprise a connu une très forte audience, avec 40 000 demandes d’ores et déjà reçues. Cela sans doute eu un effet d’entraînement sur les autres subventions.
AEF info : Comment cela s’est-il passé pour les salariés de la branche lors du passage en télétravail ?
Anne Thiébeauld : Pas différemment des salariés des autres secteurs du service qui ont connu le confinement. À partir de mars, les préventeurs et les services administratifs ont en effet connu le confinement comme tous les salariés de France. Il y a eu un changement de nature des activités, puisque la branche est fortement investie dans la mise en œuvre des dispositifs de protection ou de réparation des risques professionnels. Ainsi en prévention, l’accompagnement des entreprises s’est poursuivi selon différentes modalités avec l’élaboration des consignes d’accompagnement des entreprises durant la crise, par métiers. Ce sont d’une part les "fiches métier" pour la protection des salariés au travail auxquelles la branche a contribué sous pilotage du ministère du Travail et également la conception et mise en œuvre d’un plan de reprise d’activité à compter de mai, à l’intention de 13 secteurs économiques. Concernant l’indemnisation, les caisses primaires sont responsables de la mise en œuvre du dispositif de reconnaissance en maladie professionnelle du Covid-19. Enfin, la préparation du calcul et des notifications de taux de cotisations AT-MP se sont poursuivies tout au long de la période pour être au rendez-vous de janvier prochain.
(1) Cette subvention est destinée à toutes les entreprises de 1 à 49 salariés, du secteur hôtels, cafés et restaurants du régime général ainsi qu'aux organismes de formation de ces filières.
(2) Cette subvention est destinée aux entreprises de 1 à 49 salariés et les travailleurs indépendants (sans salarié) dépendant du régime général, à l’exclusion des établissements couverts par la fonction publique territoriale ou la fonction publique hospitalière. Si les entreprises ont investi depuis le 14 mars ou comptent investir dans certains équipements de protection ou de distanciation physique, la subvention Prévention Covid permet, sous certaines conditions, de financer jusqu'à 50 % de l'investissement. Cette aide exceptionnelle est proposée jusqu’à épuisement du budget alloué par l’assurance maladie – risques professionnels et vient d'être renouvelée.
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