LGBT+ : "Être rôle modèle au sein de l’entreprise, c’est être connu, neutre et inspirer confiance"
Par Evelyne Orman, le 26/10/2020 - Lire la dépêche en ligne
Alors que le 14 octobre 2020, la ministre chargée de la Diversité et de l’Égalité des chances Elisabeth Moreno présentait un plan national LGBT+ 2020-2023 (lire sur AEF info), la veille, l’association l’Autre Cercle récompensait 95 "rôles modèles" issus de la communauté LGBT+ ou alliés, œuvrant pour une meilleure inclusion de la population LGBT+ dans le monde de l’entreprise. Trois d’entre eux racontent à AEF info leur histoire, les initiatives qu’ils prennent au quotidien au sein de leurs entreprises, et leur vision sur ce qu’il reste encore à faire pour changer les mentalités.
Pendant des années, Valérie Hallouin était "dans le placard". Longtemps aussi, elle a jonglé avec les mots, recourant à la gymnastique grammaticale pour éviter de révéler son orientation sexuelle, ne faisant un pas "vers la visibilité" que récemment, lorsqu’elle découvre l’existence d’un réseau LGBT au sein de son entreprise. "J’ai rejoint le groupe Renault il y a vingt ans, et à l’époque, il n’y avait pas de signe montrant une démarche sur la diversité LGBT+. Je sortais d’une entreprise où j’étais restée sept ans et où je cachais mon orientation sexuelle. Professionnellement, je me suis toujours fixé une règle : ne pas mentir sur mon statut marital et donc j’accordais ma vie privée au masculin pluriel", raconte celle qui occupe aujourd’hui le poste de leader programmes RH, D&I et Culture au sein du groupe automobile.
Son coming-out dans l’entreprise s’est fait "de manière indirecte, auprès de personnes avec qui je ne travaillais pas directement. En 2012, un réseau LGBT est créé chez Renault. Toutefois, je ne découvre son existence que deux ans plus tard", confie-t-elle. Elle en devient membre, se disant qu’elle "n’a rien à perdre". "C’était à ce moment-là un temps faible de ma carrière. Je me disais que je n’avais pas grand-chose à perdre", avoue-t-elle. Puis vient la prise de leadership au sein du réseau. "Cela voulait dire qu’il y avait une forte probabilité qu’au-delà des réunions, je prenne la parole sur le sujet. J’étais alors beaucoup plus visible et à l’aise", affirme-t-elle.
Le 13 octobre 2020, elle a été désignée par l’association l’Autre Cercle "rôle modèle" parmi les 95 lauréats de la seconde édition de la Cérémonie des Rôles Modèles LGBT+ et Alliés LGBT+. Un événement qui distingue dirigeants, leaders et jeunes diplômés LGBT+ des secteurs privé et public et 20 alliés dirigeants qui contribuent, par leur engagement, à l’inclusion des personnes LGBT+ dans le monde du travail, sans être ou s’affirmer LGBT+.
ÊTRE SOI-MÊME POUR PLUS DE PERFORMANCE
Un rôle que Valérie Hallouin souhaite endosser pour montrer que le fait d’être "out" permet une meilleure performance des collaborateurs et donc de l’entreprise. "Lorsqu’on est au travail et que l’on ne gâche pas son énergie pour dissimuler sa vie privée, on la consacre plutôt à la performance de son entreprise", explique-t-elle, insistant sur le fait que si elle s’est toujours bien sentie dans son collectif de travail, elle se sentait surtout frustrée de ne pas être totalement elle-même. "Je me suis dit que si j’arrivais à servir d’exemple à d’autres personnes dans l’entreprise, cela en valait la peine", confie-t-elle.
Un sentiment partagé par Sophie Grugier, Senior Vice President Satisfaction Client et Qualité Groupe chez Schneider Electric, également désignée rôle modèle en 2020. "Être rôle modèle, cela veut dire être connu comme étant accessible, personne de confiance et neutre. C’est important cette neutralité, puisque cela veut dire que nous pouvons échanger de manière non intéressée, sans parti pris", explique la dirigeante, qui ne veut pas être vue comme une militante, mais bien comme un référent à qui l’on peut s’adresser librement. Tout comme Valérie Hallouin, elle lie l’idée de performance à la possibilité de pouvoir vivre pleinement son identité dans son environnement de travail. "C’est au moment où j’ai assumé pleinement le fait que j’étais lesbienne que ma carrière a décollé. Sans doute cela m’a donné plus de confiance en moi et dans mon travail", raconte-t-elle.
Après des études d’ingénieur, où les femmes n’étaient que très peu nombreuses, "il s’est passé environ dix ans entre le moment où j’ai assumé mon identité sexuelle dans la sphère privée et la sphère professionnelle", explique-t-elle. Une situation qui était surtout due à "la façon dont je l’appréhendais de manière personnelle, pas forcément par rapport au ressenti que j’avais au sein de l’entreprise". C’est au moment où elle devient patronne d’usine et qu’elle compte dans son équipe dirigeante un collègue ouvertement gay qu’elle prend conscience de sa volonté de ne plus se cacher. "Il était très bien intégré et reconnu comme une personne clé de l’usine, et je me suis dit : pourquoi raconterais-tu une histoire différente ? Sans faire une annonce, et cela s’est fait d’une manière naturelle, je l’ai de plus en plus assumé ouvertement", confie-t-elle.
L’IMPORTANCE DU SOUTIEN DE LA DIRECTION
Il y a un an, elle a cofondé un réseau LGBT au sein de l’entreprise en France. "Nous avons un peu de mal à décoller, et comptons encore très peu de femmes, 90 % de nos membres étant des hommes, mais il s’agit seulement de notre première année. Nous avons mis en place des rôles modèles et les gens nous contactent sur des questions générales ou plus individuelles. Un collègue m’a par exemple sollicitée récemment car il pensait être victime de discrimination salariale", explique la dirigeante de Schneider Electric.
Une démarche soutenue par la direction de l’entreprise. "Nous avons carte blanche sur notre action, et il n’y a aucun filtre. Nous avons en parallèle, dans l’entreprise, une politique de diversité et d’inclusion active, axée sur les LGBT+, dont je suis la voix, indique-t-elle. Un soutien qui existe également au sein du groupe Renault. "Il y a eu deux périodes dans la vie du réseau LGBT. Au départ, il s’agissait d’échanges polis avec des demandes comme la mise à jour des textes de l’entreprise vers des notions plus inclusives au lieu des mentions au père et à la mère. Une nouvelle phase a démarré en 2018-2019. C’est là que l’entreprise a apporté un véritable soutien à nos actions. Le réseau est depuis sa création piloté par les salariés eux-mêmes et nous servons de benchmark pour les réseaux de l’entreprise. C’est une belle reconnaissance sur tout le travail effectué", explique-t-elle. Aujourd’hui, le réseau souhaite mettre en place des référents LGBT pour être à l’écoute des collaborateurs. "Nous commençons par les sites industriels en France, puis nous avons l’ambition de déployer le dispositif au sein de l’ensemble des sites", se projette Valérie Hallouin.
Chez Orange, Cyril Bauchais-Allamel, Social Média manager pour la marque Employeur a également toujours senti le soutien de sa hiérarchie. Arrivé en 2000 au sein de l’entreprise comme conseiller téléphonique, il a créé en 2008 l’association Mobilisnoo, destinée à soutenir et accompagner les salariés LGBT+ de l’entreprise, qui compte une centaine de membres actifs aujourd’hui. À cette époque, j’ai envoyé un faire-part de création au PDG. Ce dernier l’a transmis à la direction de la diversité afin que nous puissions commencer à collaborer ensemble. Durant ces années, nous avons multiplié les projets. Rapports annuels, déploiement au niveau national d’initiatives locales, édition d’un guide LGBT+ sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ou encore signature de la charte de l’Autre Cercle, nous avions une écoute au sein de l’entreprise, et un engagement fort de la part des responsables diversité. Je n’ai jamais vu de porte se fermer", affirme-t-il.
SENSIBILISER, FORMER, RASSURER
Au global, si le plan LGBT+ proposé pour les trois années à venir comporte surtout des mesures visant à la formation et à la sensibilisation, qui reste un basique nécessaire dans les entreprises, puisqu’il y a encore beaucoup de confusions et qu’il est nécessaire d’en parler au sein des organisations", l’un des défis reste encore sans doute de "faire bouger les lignes dans les PME et TPE, qui n’ont parfois pas la chance d’avoir des équipes diversité, et d’être un exemple pour "pour nos parties prenantes : nos clients, nos prestataires, nos sous-traitants, afin de les embarquer", souligne Valérie Hallouin.
"La formation est un élément clé. Chez Schneider, nous avons d’ailleurs organisé une formation sur les biais auprès des managers. Tant que l’on n’a pas conscience de nos biais, que ce soit sur la question LGBT ou non, et que l’on ne les comprend pas, cela ne peut pas fonctionner", poursuit Sophie Grugier. Pour cette dernière, il faudrait également travailler sur les entretiens de recrutement. "C’est compliqué, car ce n’est pas possible d’aborder la vie privée des candidats, mais il faudrait trouver un moyen de montrer lors de cette première rencontre avec l’employeur que dans l’entreprise, ils peuvent être à l’aise sur ce sujet. La jeune génération nous challenge sur les modes de travail et la qualité de vie au travail. Si nous arrivons à faire en sorte qu’ils nous posent des questions sur l’orientation sexuelle dès le départ, ce sera encore un pas en avant", avance-t-elle.
"Plus nous porterons d’actions diverses, mieux nous toucherons les gens", confirme Cyril Bauchais-Allamel. "Il y a certes des combats qui méritent de marcher le poing levé. Dans l’enceinte de l’entreprise, cela ne doit pas se faire d’une manière revendicatrice", souligne ce dernier, pour qui il est nécessaire "de répondre à toutes les situations", puisque "tout le monde n’est pas à l’aise de la même manière et n’assume pas son orientation sexuelle de la même façon. Il faut savoir répondre aux besoins de son environnement proche avec de la pédagogie".
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La rédaction AEF info Social RH