L'indésirable modification tacite des déclarations de copropriété
Résumé de l’article
La copropriété divise ne s’établit que par la rédaction et la publication d’une déclaration de copropriété. En vertu du Code civil, les modifications à celle-ci doivent remplir diverses formalités afin d’être valides. Or, a récemment fait son apparition une tendance en faveur de la modification tacite de ce document charnière. Loin de faire l’unanimité, l’introduction de ce concept a plutôt créé une controverse au sein du milieu juridique. D’une part, reconnaissant la nature contractuelle de la déclaration, les tribunaux ont reconnu la validité d’un amendement découlant d’agissements ou de la simple tolérance d’une situation. D’une autre part, les auteurs de doctrine s’opposent à la modification informelle de la déclaration, affirmant que le régime de la copropriété divise déroge du droit commun. Dans le texte suivant, nous exposerons en détail ces deux thèses avant de, finalement, prendre position sur la problématique.
Table des matières
1.1 Assimilation de la déclaration de copropriété au contrat. 2
1.2 Application des principes conventionnels à la déclaration de copropriété. 5
2.1 Règles spécifiques au régime de la copropriété divise. 7
2.2 Intention claire du législateur. 10
Introduction
« La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » : cet adage est particulièrement vrai dans le cas de la copropriété divise. Cette vie en communauté exige des copropriétaires certains sacrifices, car ceux-ci se voient imposer une multitude de règles à respecter sous leur propre toit. La personne vivant dans une copropriété peut ainsi se voir refuser le droit d’avoir un chat, de réaliser certains travaux ou bien de faire de son unité son bureau d’affaires.
À l’image de ce mode de propriété, la modification de la déclaration suit un processus plutôt formel permettant à l’ensemble des copropriétaires de s’exprimer. Cependant, il existe, de nos jours, une controverse au sujet de l’avènement jurisprudentiel de la notion de modification tacite de la déclaration de copropriété. En effet, les tribunaux ont constaté et affirmé que cet acte peut être modifié de façon implicite par la tolérance de situations y dérogeant[1]. La doctrine s’oppose à ce type de remaniement qu’elle juge comme n’ayant pas sa place dans ce domaine de droit.
Cette situation soulève donc la question de savoir si la modification informelle de la déclaration est un concept qui devrait exister en droit de la copropriété divise. Nous posons comme hypothèse qu’une telle procédure d’amendement n’est jamais désirable, car elle va à l’encontre de l’esprit du régime de propriété prévu par la loi.
Un intérêt autant pratique que théorique émane de cette problématique. En effet, la distorsion entre la loi et son application entraîne une grande incertitude dans le marché immobilier de la copropriété en constante expansion. De plus, il n’existe pas de consensus sur cette question au sein du milieu juridique. Afin de clarifier le droit sur ce point, nous comparerons donc la position des auteurs avec celle des tribunaux.
Ainsi, nous verrons que la jurisprudence a assujetti la déclaration au droit commun sous prétexte qu’il s’agit d’un contrat et avance dès lors que le consentement à la modification n’a pas à être explicite. En contrepartie, la doctrine affirme qu’il existe des normes impératives particulières à la copropriété et que la volonté du législateur est incompatible avec la position actuelle des tribunaux.
1. L’inquiétante émergence d’une jurisprudence favorable à la modification tacite
Compte tenu du flou juridique qui règne concernant la notion de modification implicite en matière de copropriété divise, attardons-nous d’abord à expliquer le raisonnement des tribunaux de la province qui ont introduit ce concept en droit privé québécois.
1.1 Assimilation de la déclaration de copropriété au contrat
Débutons en définissant la notion de déclaration de copropriété. Document régissant le fonctionnement de la vie collective dans l’immeuble, celle-ci est composée de trois parties en vertu de l’article 1052 du Code civil du Québec[2]. L’acte constitutif contient, en premier lieu, des dispositions d’ordre général relatives, entre autres, à la destination du bâtiment, à la valeur relative des fractions des copropriétaires et aux parties privatives et communes. L’état descriptif des fractions s’attarde, en deuxième lieu, à décrire l’assiette de la copropriété. En troisième lieu, le règlement de l’immeuble énumère les normes régissant principalement l’entretien et l’usage des diverses parties[3].
Le régime de copropriété divise a pour pierre angulaire la déclaration de copropriété. En effet, l’établissement de ce mode de propriété est conditionnel à la publication d’un acte écrit[4]. Tel qu’édicté dans le Code civil, l’obligation de coucher la déclaration sur papier est lourde, puisque celle-ci se doit d’être notariée et en minute. Les modifications apportées à l’état descriptif des fractions ainsi qu’à l’acte constitutif doivent également être authentifiées par un notaire[5]. En vertu des articles 1038 et 1060 C.c.Q., l’inscription de la déclaration de copropriété marque le point de départ de l’existence de la modalité. Encore une fois, tout changement, à l’exception de ceux faits aux règlements qui, eux, sont simplement déposés par écrit auprès du syndicat, est impérativement publié au le registre foncier[6].
Constatant les nombreuses similarités entre la déclaration de copropriété et les conventions, plusieurs auteurs québécois ont diligemment qualifié de contrat cet acte établissant la modalité de propriété. Denys-Claude Lamontagne, notaire et spécialiste en droit des biens, a clairement soulevé cette caractéristique de la déclaration dans un de ses ouvrages : « Cette convention […] [est un] véritable contrat en cas de pluralité de copropriétaires ou [peut] être considéré[e] comme tel à partir de la première disposition en cas de propriété unique. »[7] Soulevant également le caractère contractuel de la déclaration de copropriété, Christine Gagnon, une sommité en droit de la copropriété québécois, écrit que cet acte « constitue un accord de volontés de tous les propriétaires de l’immeuble. Elle est un contrat au sens de l’article 1378 C.c.Q. »[8]
Pour appuyer leur conclusion, ces juristes énoncent certaines dispositions de la loi qui laissent présumer le caractère conventionnel de la déclaration de copropriété. L’article 1062 du Code civil indique clairement que les copropriétaires sont liés au contenu de la déclaration au moment de la publication de celle-ci. Ainsi, telles des parties à un contrat, les copropriétaires sont tenus de respecter les dispositions de cet acte.
Si ces dispositions sont de bons indices de la nature conventionnelle de la déclaration de copropriété, l’article 1053 C.c.Q. assimile, cette fois, sans ambiguïté la déclaration à un contrat. En effet, le législateur y prévoit que l’acte constitutif contient « toute autre convention relative à l’immeuble ». Par conséquent, il est clair que la déclaration est un contrat au sens du droit commun des obligations[9].
Notons que plusieurs auteurs estiment que la déclaration de copropriété doit généralement être perçue comme un contrat d’adhésion. En effet, comme l’acte est déjà en vigueur, le tiers acquéreur ne peut pas en renégocier les termes lors de l’achat d’une fraction[10].
Unissant sa voix à celle de la doctrine, la jurisprudence qualifie, elle aussi, l’acte établissant la copropriété divise de contrat. En 2004, l’ensemble des juges de la Cour suprême a confirmé le caractère conventionnel de la déclaration[11]. Les magistrats québécois ont tenu un discours semblable à plusieurs reprises depuis les années 1990[12].
Par ailleurs, ayant reconnu la nature contractuelle de la déclaration de copropriété, les tribunaux interprètent celle-ci comme n’importe quelle autre convention. Dans la décision Krebs c. Paquin[13], le juge Greenberg a ainsi résumé cette idée de la manière suivante :
« [I]l nous appert qu’en principe la déclaration de copropriété revêt un caractère obligatoire statutaire. Pourtant, il faut l’interpréter, et ceci se fait comme dans le cas d’un contrat. Or, lorsqu’on interprète un contrat qui est bilatéral, trilatéral ou multilatéral, où il y a ambiguïté, il faut discerner l’intention commune des parties. »[14]
En somme, d’aucuns déclarent que la déclaration de copropriété divise, élément déclencheur de cette modalité de la propriété, est un contrat au sens du droit commun et doit être interprété comme tel. Dès lors, à partir de cette conclusion, les tribunaux ont rapidement commencé à appliquer les règles du droit des obligations aux déclarations. Examinons maintenant quelle a été la portée de l’application des concepts du droit conventionnel en matière de modification des conventions de copropriété.
1.2 Application intégrale des principes conventionnels
À la suite à l’analyse de l’assimilation de la déclaration de copropriété au contrat, la présente section s’attardera à l’évolution de l’application par les tribunaux des normes contractuelles dans le cadre du processus de modification de la déclaration de copropriété.
C’est en 1997 que la Cour supérieure introduit pour la première fois la notion de modification tacite de la déclaration de copropriété[15]. Dans ce jugement, il était question de savoir si la demanderesse copropriétaire pouvait garder son chien et conserver les gouttières qu’elle avait installées malgré l’existence de dispositions dans la déclaration s’opposant à de tels gestes. À l’égard de l’interdiction de garder des animaux, le juge a déclaré que l’acte de copropriété n’avait pas fait l’objet « de modification expresse ou implicite »[16]. Cependant, à l’égard des gouttières, l’honorable Denis Lévesque a affirmé que, de par leur silence, les parties avaient consenti à l’installation des conduits. Ainsi, en l’espèce, l’absence de protestation de la part des demandeurs a été perçue comme une acceptation de la modification des règlements d’immeuble.
Quelques années plus tard, un magistrat québécois justifie le recours à la modification informelle à l’aide des règles du droit commun, plus particulièrement celles relatives au mandat[17] : « La Cour est d’avis que l’acte constitutif est sujet comme tout autre contrat aux principes généraux du droit civil concernant le mandat. »[18] Ainsi, selon le juge Jean-Jacques Croteau, « les copropriétaires, les mandants, auraient [donc] tacitement consentis (sic) [à sa modification], soit par leur omission ou silence »[19]. Contrairement à l’affaire Leduc-St-Pierre[20], le changement apporté touche, dans ce cas, une partie de la déclaration plus formaliste que les règlements d’immeuble.
Ces premières réflexions jurisprudentielles ont, au fil du temps, amené les tribunaux à reconnaître l’application complète des principes contractuels en matière de copropriété. Ainsi, selon la jurisprudence, n’importe quelle partie de la déclaration est modifiable du moment qu’il y a échange de consentement entre les copropriétaires. Comme la manifestation du consentement peut être tacite en vertu de l’article 1386 C.c.Q., le comportement des copropriétaires peut être un indice de leur volonté de changer ou non la déclaration de copropriété.
Par exemple, dans la décision Lemelin c. Labrousse[21], la Cour devait décider s’il y avait eu modification de la déclaration après que 70 % des copropriétaires y aient contrevenu en installant un revêtement de sol. Rappelant que « le consentement [peut] s’inférer de tout comportement des parties »[22], le juge Lesage a affirmé que les gestes des copropriétaires devaient être interprétés comme une modification informelle, car il était clair que les habitants de l’immeuble voulaient passer outre le règlement de l’immeuble.
Tout comportement ou silence ne doit cependant pas être immédiatement assimilé à un consentement. Selon les tribunaux, l’existence ou non d’un échange de consentement entre les copropriétaires est une question de fait qui doit être examinée par le magistrat eu égard aux circonstances[23]. Comme l’a bien résumé la Cour d’appel dans l’affaire Lavallée c. Simard[24] :
« [L]a jurisprudence indique que toute omission par un copropriétaire ou un syndicat de s’opposer aux gestes d’un copropriétaire ne révèle pas nécessairement l’intention de les autoriser ou de modifier la déclaration elle-même. L’existence d’une telle modification informelle constitue une question de fait qu’il appartiendra aux tribunaux de première instance d’évaluer. »[25]
Dans cet arrêt rendu en 2011, les magistrats ont conclu que l’ensemble des copropriétaires avait officieusement consenti à la modification de la déclaration de copropriété afin d’instaurer un processus d’autorisation informel des travaux dans la copropriété et que la majorité d’entre eux avait avalisé les travaux de l’intimé.
En reconnaissant l’application des principes contractuels à la déclaration de copropriété, la jurisprudence alla cependant un peu plus loin. En effet, la Cour clame désormais la primauté des normes du droit commun sur les règles du Code civil relatives à la copropriété divise. Ainsi, les articles 1096, 1097 et 1098 C.c.Q. prévoyant les majorités requises afin de modifier la déclaration sont aujourd’hui perçus comme non contraignants par les tribunaux : « [u]ne lignée doctrinale et jurisprudentielle souligne le caractère conventionnel de la déclaration de copropriété et conséquemment, le caractère non obligatoire de l’article 1096 C.c.Q. »[26]
Bref, en qualifiant la déclaration de copropriété de contrat, les juges ont lentement assujetti celle-ci à l’ensemble des règles relatives aux conventions prévues dans le Code civil. Comme tout autre acte résultant de l’échange de consentement des parties, les tribunaux reconnaissent actuellement la validité des modifications de la déclaration résultant du comportement ou du silence des copropriétaires[27].
Avec égards, nous ne partageons pas l’opinion des tribunaux. Bien que la modification tacite soit permise par le droit commun, nous estimons que les dispositions de la loi, lues en harmonie les unes avec les autres, indiquent sans équivoque l’existence de formalités à respecter lors de l’amendement des déclarations de copropriété. Ces démarches obligatoires sont d’ailleurs des signes clairs de l’intention du législateur de faire de cette modalité de la propriété une institution stable, uniforme et facile d’application pour tous les copropriétaires à travers la province. De tels arguments à l’encontre de la notion jurisprudentielle ont déjà été formulés par la doctrine. Attardons-nous donc, dans la seconde partie de notre exposé, à synthétiser les propos des auteurs à ce sujet.
2. La vive contestation doctrinale de l’implantation d’un processus informel
Malgré la reconnaissance du caractère conventionnel de la déclaration de copropriété, force est de constater que de nombreuses normes s’appliquent de manière exclusive à ce mode de propriété. Invoquant qu’il existe ainsi un régime dérogatoire au droit commun en matière de copropriété divise, les auteurs s’opposent à la modification tacite introduite par la jurisprudence qui, selon eux, est expressément mise de côté par la loi. Examinons ces règles particulières à cette modalité de la propriété.
2.1 Règles spécifiques au régime de la copropriété divise
Tout dépendamment de la partie de la déclaration visée, un nombre de voix différent est requis afin d’adopter un projet de modification[28]. Celui-ci apparaissant dans l’avis de convocation des assemblées annuelles[29], les copropriétaires débattent donc collectivement sur ce genre de questions. Pour les amendements à l’acte constitutif et à l’état descriptif des fractions, en vertu du quatrième paragraphe de l’article 1097 C.c.Q., plus de la moitié de tous les copropriétaires de l’immeuble représentant au moins 75% des voix de tous les copropriétaires doit donner son accord afin qu’un changement soit avalisé. Pour les modifications aux règlements, seule une majorité simple est nécessaire[30].
Comme nous l’avons mentionné précédemment, les modifications adoptées à l’acte constitutif et à l’état descriptif des fractions doivent ensuite, en vertu des articles 1059 et 1060 C.c.Q., respecter certaines formalités d’authentification et de publication[31].
Des lois autres que le Code civil contiennent aussi des dispositions relatives à la publicité en matière de copropriété divise. Par exemple, la Loi sur la Régie du logement[32] prévoit que l’organisme public doit consentir à la division d’un immeuble locatif et que cette autorisation doit être annexée à la déclaration lors de son inscription[33]. Le niveau élevé de formalisme est ainsi une caractéristique importante de cette modalité de la propriété.
Par conséquent, certains auteurs concluent à l’existence de règles d’ordre public traitant de la copropriété[34]. Parmi celles-ci se trouvent, selon eux, les articles 1096 et 1097 du Code civil. Ne pouvant y déroger d’aucune manière, l’obtention d’un vote exprès au sujet de la modification est donc vue comme une obligation. Suivant cette théorie, l’amendement résultant de la simple tolérance ou du comportement des parties ne peut avoir lieu. Cette hypothèse n’est cependant pas appuyée par tous[35].
Bien que l’idée de normes impératives ne soit pas unanimement acceptée, la doctrine invoque un autre argument à l’encontre du remaniement implicite. En effet, les universitaires affirment que le droit commun reconnait que les formalités ponctuelles prévues par le Code civil doivent être respectées. Les articles 1385 et 1414 C.c.Q. sont particulièrement pertinents à cette fin :
- Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n'exige, en outre, le respect d'une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n'assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle.
Il est aussi de son essence qu'il ait une cause et un objet.
- Lorsqu'une forme particulière ou solennelle est exigée comme condition nécessaire à la formation du contrat, elle doit être observée; cette forme doit aussi être observée pour toute modification apportée à un tel contrat, à moins que la modification ne consiste qu'en stipulations accessoires. (nous soulignons)
Ainsi, en vertu de ces dispositions, tout changement à un contrat doit remplir la forme prévue par la loi. La déclaration de copropriété doit donc être amendée selon les articles 1038 et suivants du Code civil du Québec[36].
Plusieurs auteurs ont plaidé en faveur du respect du droit en matière de modification de la déclaration de copropriété[37]. Dans son ouvrage traitant de la copropriété divise, Christine Gagnon insiste notamment sur le fait que « lorsqu’un contrat est soumis à une condition de forme, les modifications qui y sont apportées le sont aussi »[38]. Dans une autre de ses publications, elle insiste aussi sur le fait que la collectivité et non les copropriétaires à titre individuel prend les décisions au sein d’une copropriété divise[39].
Par ailleurs, à l’instar de la doctrine, les tribunaux ont aussi reconnu l’application restreinte du droit des obligations dans le domaine de la copropriété. Dans l’arrêt Lavallée c. Simard[40], le juge en chef Michel Robert écrit à cet égard : « [l]a déclaration est en effet soumise au régime général des contrats […] dans les limites posées par le chapitre de la copropriété divise du Code civil, notamment l’article 1101. »[41] Dès lors, le même juge reconnaissant la validité de la modification tacite admet aussi que le droit commun ne peut être supérieur aux règles propres à la copropriété divise.
En somme, malgré que la déclaration de copropriété possède des caractéristiques contractuelles, les auteurs édictent l’obligation de respecter les dispositions particulières du Code civil à la copropriété. L’existence de ces normes étant tributaire du législateur, les détracteurs de la modification informelle affirment également que celle-ci est incompatible avec la vision des rédacteurs de la loi. Penchons-nous donc sur les objectifs de la copropriété divise.
2.2 Intention claire du législateur
Derrière chaque texte de loi se trouve un dessein précis. Ainsi, lors de l’adoption du Code civil du Québec, le ministre de la Justice a pris soin de le commenter. Aux articles 1059 et 1060 C.c.Q., il expose que les formalités à respecter en matière de modification des déclarations sont simplifiées sans pour autant totalement disparaître[42]. Cela confirme alors l’importance qu’accorde le législateur aux exigences strictes de la loi.
La doctrine explique cette volonté du pouvoir législatif en invoquant la nature singulière du régime de copropriété. À cet effet, le Comité consultatif sur la copropriété créé en 2011 par le ministre de la Justice de l’époque déclare dans son rapport :
« Si le législateur a imposé une forme écrite pour les modifications apportées au règlement de l’immeuble et solennelle avec publication pour les autres, nous supposons que cela est notamment en raison du caractère collectif de ce contrat particulier qu’est la déclaration de copropriété. »[43]
En raison de cette vie communautaire, les décisions doivent faire l’objet de discussions et de débats sur la place publique afin que tous les copropriétaires puissent prendre position. Les amendements obscurs et cachés à l’acte de copropriété sont, en conséquence, à proscrire.
En outre, la copropriété divise vise un objectif d’uniformité. Plusieurs auteurs en sont venus à cette conclusion au fil du temps. Camille Janvier-Langis affirme :
« L’existence de grandes disparités d’une déclaration de copropriété à l’autre aurait, à notre avis, pour conséquence de venir ébranler un domaine où uniformité et stabilité devraient être privilégiées, et ce, pour le bénéfice de l’ensemble de la population. »[44]
Son collègue, Yves Papineau, tient un discours similaire en insistant sur l’importance, pour les copropriétaires, d’agir en conformité avec la déclaration de copropriété : « Il est nécessaire que l’homogénéité règne dans une copropriété et les règlements ne sont pas édictés à titre indicatif, mais bien pour assurer la conservation de l’immeuble et la sauvegarde des droits afférents. »[45] Le pouvoir législatif a aussi prévu l’uniformité de l’application des règles relatives à la copropriété divise en codifiant l’assujettissement au nouveau Code civil des copropriétés créées avant 1994[46].
En formulant ainsi les principes de stabilité et d’homogénéité à la base de cette modalité de la propriété, le législateur cherche à atteindre un but, soit la protection, non seulement des parties à la copropriété, mais aussi des tiers.
En fait, comme nous l’avons dit précédemment[47], la déclaration de copropriété est un contrat d’adhésion envers les futurs acquéreurs d’une unité de l’immeuble, car ceux-ci ne peuvent choisir les obligations auxquelles ils veulent se lier[48]. L’intégralité du contenu de la convention leur est imposée au moment de l’achat d’une fraction[49].
Conséquemment, la version écrite de la déclaration est l’unique source d’information disponible quant au fonctionnement de la copropriété. Les tiers doivent pouvoir s’y fier aveuglément afin de déterminer si l’immeuble en question leur convient. Or, si une modification implicite est reconnue par les tribunaux ultérieurement à l’acquisition de la fraction, les nouveaux copropriétaires dérangés par cet amendement sont alors lésés[50]. Le remaniement tacite de la déclaration introduit par la jurisprudence va donc à l’encontre du but poursuivi par le pouvoir législatif.
En vertu de la loi, le syndicat a notamment l’obligation de faire respecter la déclaration de copropriété[51]. L’intention protectrice du législateur est, encore une fois, décelable. Le syndicat doit alors s’opposer à toute contravention à la convention dès qu’elle survient, sans quoi il engage sa responsabilité civile[52]. Suivant cette optique, la modification s’inférant des actes de plusieurs copropriétaires pourrait difficilement survenir.
Bref, de par la volonté du législateur d’uniformiser l’application de la copropriété divise et de protéger les copropriétaires, les auteurs déclarent que la notion de modification tacite est incompatible avec de tels objectifs. De plus, de par l’existence d’un régime législatif particulier à la copropriété, ils affirment que le recours au droit commun permettant le consentement implicite a été écarté.
Notre opinion sur la question des amendements informels à la déclaration est la même que celle de la communauté doctrinale québécoise. En pratique, ce concept jurisprudentiel fragilise le fonctionnement de la copropriété divise, car il rend légitimes des comportements contrevenant aux règles établies dans la copropriété. Vivre en collectivité n’est pas aisé et il faut donc que ce régime soit solidement encadré afin d’éviter les abus.
Conclusion
En somme, le but poursuivi dans le présent texte était d’évaluer la pertinence de la notion de modification implicite des déclarations de copropriété divise. Nous avons dégagé deux prises de position diamétralement opposées.
D’une part, la jurisprudence reconnaît la légitimité de ce concept en droit des biens et l’invoque, depuis quelques années, sans gêne ni retenue dans certaines décisions judiciaires québécoises. De par la reconnaissance du caractère contractuel de la déclaration de copropriété par de nombreux juristes, les tribunaux ont recours aux règles générales du droit des obligations et déclarent certaines contraventions à la déclaration de copropriété valides en raison d’une modification tacite de l’acte par le simple agissement de copropriétaires.
D’une autre part, la doctrine s’objecte fortement à l’introduction jurisprudentielle d’une procédure tacite. En effet, les auteurs affirment que le Code civil prévoit des formalités qui doivent être impérativement respectées, car celles-ci dérogent du droit commun et sont d’ordre public. Selon eux, la rigidité du processus de modification a été prévue par le législateur québécois afin d’assurer l’homogénéité de l’application de la déclaration dans les copropriétés et de protéger l’esprit collectif de cette modalité de la propriété.
Dès lors, nous partageons la même opinion que la majorité des auteurs et voyons également d’un mauvais œil les changements apportés aux déclarations de copropriété qui ne remplissent pas les exigences de la loi. Accepter que, sur papier, l’acte ait un contenu différent de celui qui prévaut dans les faits entraîne une trop grande incertitude pour les copropriétaires quant à leurs droits et obligations. Ne sachant plus sur quoi se fier pour agir en collectivité, les copropriétaires risquent d’enfreindre les règles de l’immeuble et de gravement affecter le bon fonctionnement de celui-ci.
Comme nous croyons au bien-fondé des formalités prévus par le législateur en matière de modification des déclarations, il serait souhaitable que le droit soit amendé afin d’enrayer une fois pour toutes cette tendance jurisprudentielle. Ainsi, il est désirable que le pouvoir législatif québécois prenne la plume et ajoute au Code civil une disposition prévoyant la nécessité de tenir un vote en assemblée pour toute modification à la déclaration de copropriété.
[1] Michel Paradis, « Suggestions en vue d’une réforme anticipée du droit de la copropriété à l’intention des membres du Barreau et de la Chambre des notaires », dans S.F.C.B.Q., vol. 366, Développements récents en droit de la copropriété divise (2013), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 171, à la page 216.
[2] L.Q. 1991, c. 64 (ci-après « C.c.Q. ») ; Camille Janvier-Langis, « Liberté contractuelle et ordre public en matière de copropriété divise », dans S.F.C.B.Q., vol. 341, Développements récents en droit de la copropriété divise (2011), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 133, aux pages 139 et 140.
[3] Denys-Claude Lamontagne, Biens et propriété, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, no 396, p. 279 et 280.
[4] C. Janvier-Langis, préc., note 2, aux pages 133 et 134 ; Serge Allard, La copropriété divise, 2e éd., coll. Bleue, Série Répertoire de droit, Montréal, Chambre des notaires du Québec / Wilson & Lafleur, 2006, p. 26 à 46.
[5] C.c.Q., art. 1059.
[6] Comité consultatif sur la copropriété, Rapport du Comité consultatif sur la copropriété présenté au ministre de la Justice Monsieur Bertrand St-Arnaud et au conseil d’administration de la Chambre des notaires du Québec, Québec, 2012 [Ressource électronique], en ligne : <http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/copropriete.htm> (site consulté le 15 août 2014), p. 62 ; Roger Comtois, « Le droit de la copropriété selon le Code civil du Québec », (1994) 96 R. du N. 323, 342 à 344 ; D.-C. Lamontagne, préc., note 3, no 397 à 399, p. 280 à 284.
[7] D.-C. Lamontagne, préc., note 3, no 396, p. 279.
[8] Christine Gagnon, La copropriété divise, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, no 77, p. 73.
[9] C.c.Q., art. 1378 al. 1 ; Yves Papineau, « Revue de la jurisprudence en copropriété », dans S.F.C.B.Q., vol. 366, Développements récents en droit de la copropriété divise (2013), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 77, aux pages 82 et 83.
[10] D.-C. Lamontagne, préc., note 3, no 3976, p. 279 ; Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2007, no 1380, p. 597. Voir également : S. Allard, préc., note 4, no 137, p. 26.
[11] Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551.
[12] Voir : Lavallée c. Simard, 2011 QCCA 1458 ; Leduc-St-Pierre c. Thériault, [1997] R.D.I. 542 (C.S.) ; Pedneault c. Syndicat des copropriétaires du Domaine du Barrage, 2012 QCCS 118.
[13] [1986] R.J.Q. 1139 (C.S.).
[14] Id., par. 39 et 40.
[15] Leduc-St-Pierre c. Thériault, préc., note 12.
[16] Id., par. 16.
[17] Syndicat des copropriétaires de Verrières 1 c. Bombardier, J.E. 99-1614 (C.S.), conf. par [2001] R.D.I. 20 (C.A.).
[18] Id., par. 86.
[19] Id., par. 86.
[20] Leduc-St-Pierre c. Thériault, préc., note 12.
[21] 2007 QCCS 5128.
[22] Id., par. 29.
[23] Vacher c. Ciesielski, 2012 QCCS 3819, par. 20.
[24] 2011 QCCA 1458.
[25] Id., par. 32.
[26] Id., par. 26.
[27] C.c.Q., art. 1385 et 1386.
[28] C. Janvier-Langis, préc., note 2, à la page 172 ; Y. Papineau, préc., note 9, aux pages 81 et 82.
[29] C.c.Q., art. 1087.
[30] C.c.Q., art. 1096 ; C. Gagnon, préc., note 8, no 478, p. 433 et 434.
[31] Supra, p. 3.
[32] L.R.Q., c. R-8.1.
[33] Id., art. 54.4.
[34] Voir, entre autres : C. Janvier-Langis, préc., note 2, à la page 172 ; S. Allard, préc., note 4, no 256, p. 52 et 53.
[35] Id.
[36] Préc., note 1.
[37] C. Gagnon, préc., note 8, no 113, p. 106 à 108 ; Y. Papineau, préc., note 9, à la page 82.
[38] C. Gagnon, préc., note 8, no 113, p. 106.
[39] Christine Gagnon, « La jurisprudence récente en copropriété divise et la pratique notariale », (2013) 115 R. du N. 283, 291 : « Ce ne sont pas les copropriétaires mais l’assemblée des copropriétaires qui dispose du pouvoir de modifier la déclaration de copropriété. »
[40] Préc., note 24.
[41] Id., par. 32.
[42] Yves Joli-Cœur et Yves Papineau, Code de la copropriété divise, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2007, p. 86 à 89 ; Ministère de la justice du Québec, Commentaires du ministre de la Justice, Le Code civil du Québec. Un mouvement de société, t. 1, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 625 à 627.
[43] Comité consultatif sur la copropriété, préc., note 6, p. 63 et 64.
[44] C. Janvier-Langis, préc., note 2, à la page 206.
[45] Yves Papineau, « Le Syndicat de copropriété a-t-il l’obligation de faire respecter la déclaration de copropriété? », dans S.F.C.B.Q., vol. 198, Développements récents en droit de la copropriété divise (2003), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 147, à la page 173.
[46] Loi sur l’application de la réforme du Code civil du Québec, L.Q. 1992, c. 57, art. 53.
[47] Supra, p. 4.
[48] C.c.Q., art. 1062.
[49] P.-C. Lafond, préc., note 10, no 1398 et 1399, p. 608 et 609.
[50] Voir : François Brochu, « Revue de jurisprudence 2012 en prescription acquisitive et en publicité des droits », (2013) 115 R. du N. 205, 218 à 220.
[51] C.c.Q., art. 1079 et 1081 ; Y. Papineau, préc., note 44.
[52] Y. Papineau, préc., note 44, aux pages 171 à 173. En outre, en raison du flou juridique régnant présentement sur la question, Me Michel Paradis recommande avec justesse aux syndicats de proposer à leur assemblée de copropriétaires d’adopter une résolution expresse interdisant les modifications tacites à la déclaration de copropriété : Michel Paradis, « Pour en finir avec la théorie de la modification informelle de la déclaration de copropriété divise par la simple volonté exprimée par les copropriétaires, hors des assemblées de copropriété », dans Repères, septembre 2013, Droit civil en ligne (DCL), EYB2013REP1397, p. 5 et 6.