L'Oiseau Captif, une ode à la liberté

L'Oiseau Captif, une ode à la liberté

Je voudrais vous parler aujourd’hui de L’Oiseau Captif, somptueux roman qui paraît au mois d’octobre aux éditions Stéphane Marsan.

Quand on fait de la prospection et qu’on épluche patiemment les soumissions des agents, on finit par porter un regard assez dépassionné sur les textes qu’on examine. On reconnaît plus aisément leurs petits travers, on décèle rapidement la trame du roman, on en voit les failles, les limites, on trouve certains rebondissements artificiels ou cousus de fil blanc. En somme, on s’expose au risque de devenir blasé.

Et puis de temps en temps, un texte vient vous surprendre. Et c’est comme une belle rencontre. Quand le charme opère, c’est que soudain, entre les mots, on entend s’élever la voix de l’auteur, une voix vous raconte son histoire au creux de l’oreille. Et ces histoires-là, elles résonnent longtemps en vous.

C’est précisément ce qui m’est arrivé avec le roman de Jasmin Darznik, L’Oiseau Captif. Comme Nadia Hashimi, ou encore Chahdortt Djavann, Jasmin Darznik fait partie de ces femmes originaires de pays du Moyen-Orient qui deviennent les porte-paroles de celles qui sont réduites au silence dans leur pays d’origine. Elles dénoncent courageusement les injustices dont ces femmes sont victimes avec l’espoir de pouvoir opérer, à défaut d’un réel changement dans les pays concernés, une prise de conscience chez les lecteurs.

Notre liberté a un prix, et il est certaines femmes à qui la liberté a coûté la vie. C’est ce que rappelle Jasmin Darznik à travers ce roman qui retrace la vie de Forough Farrokhzad (1935-1967), poète de génie, qui fut aussi une figure de proue du féminisme en Iran.

Forough voit le jour dans une famille nombreuse, dirigée d’une main de fer par le chef de famille, un homme que les enfants n’appellent pas « papa », mais « Colonel ». Étant vouée à devenir épouse et mère, comme toutes les femmes en Iran dans ces années-là, Forough n’a nul besoin d’instruction ; l’école, c’est pour les garçons. Pourtant, Forough est sensible à la beauté du monde, à commencer par celle du jardin, où elle passe le plus clair de son temps à lire les livres de poésie persane que ses frères étudient. Et puis un jour, elle se met à écrire, elle aussi. Elle célèbre la beauté fragile du vivant, la puissance du désir, la splendeur du sentiment amoureux. Seulement voilà, sous la plume d’une femme, ces mots sont sales, dégradants, obscènes. Forough Farrokhzad voulait faire entendre sa voix, et se retrouve malgré elle au cœur d’un scandale qui agite toute l’intelligentsia iranienne de l’époque. On l’appelle avec mépris, « la poétesse ». C’est-à-dire une femme qui joue à écrire de la poésie. Comme une petite fille qui joue à la dînette pour se désennuyer. Les tourments de Forough ne font que commencer. D’autant qu’elle s’avère bientôt inapte à répondre aux obligations de toute femme en Iran : devenir épouse et mère. Elle divorce de son mari – qui n’est pas exactement l’homme qu’elle croyait avoir épousé – et se voit contrainte d’abandonner son fils. Puis, se mêlant de politique, au grand dam de ceux qui voudraient la bâillonner, Forough Farrokhzad se tourne vers une poésie résolument plus engagée et dénonce les scandales de l’époque à grands renforts de mots et d’images, notamment à travers La Maison est noire, un court-métrage sur les conditions de vie des lépreux, qui fait d’elle la première réalisatrice iranienne.

Le parcours de Forough Farrokhzad est déchirant et magnifique, parce qu’à aucun moment, malgré les obstacles qui se dressent devant elle, elle ne transige sur sa liberté, et que, pour reprendre la célèbre formule de Pablo Neruda, elle n’est pas du genre à s’excuser d’exister. Mais les hommes de pouvoir ne manquent pas de moyens pour réduire au silence cette femme qui ne fait pas semblant de vivre. L’Oiseau Captif est un vibrant hommage à celle dont le prénom veut dire « lumière ».


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