Mal-être chez les jeunes : et si la solitude était le véritable problème ?

Mal-être chez les jeunes : et si la solitude était le véritable problème ?

En France, la santé mentale des jeunes est devenue un enjeu majeur, souvent abordé sous l’angle de la psychiatrie. Pourtant, une part significative de ce mal-être semble liée à un facteur encore trop peu considéré, habituellement associé aux personnes âgées : la solitude.

Une récente étude allemande, intitulée GenNow et publiée cette semaine, met en lumière ce problème croissant, révélant que la France se distingue par un taux particulièrement élevé de solitude chez les jeunes, le plus important en Europe. Cet article propose une analyse critique de cette problématique, enrichie par des comparaisons internationales et des recommandations fondées sur des approches probantes.

1. Les enseignements de l’étude GenNow

L’étude GenNow (2024) intitulée "Solitude des jeunes en 2024 : une comparaison à l’échelle européenne" s’appuie sur un échantillon représentatif de 23.536 personnes de 18 à 35 ans dans plusieurs pays de l’Union européenne. Les données de l’enquête menée dans l’ensemble de l’UE proviennent de l’outil européen de sondage d’opinion eupinions. Voici les principaux résultats :

  • 57 % des jeunes Européens se sentent au moins modérément seuls, un chiffre déjà préoccupant.
  • En France, ce taux atteint 63 % (dont 23 % sont sévèrement seuls), le plus élevé d'Europe, dépassant largement la moyenne européenne. À titre de comparaison, l'Allemagne affiche un taux de 42 % et les Pays-Bas de 39 %.
  • La solitude émotionnelle et sociale : L'étude permet de distinguer deux types de solitude avec la solitude émotionnelle, liée à un manque de relations intimes, et la solitude sociale, due à un manque de réseau social. En France, les jeunes sont moins touchés par la solitude émotionnelle que la moyenne européenne, mais la solitude sociale reste un problème.
  • Le niveau d'éducation, un facteur déterminant : L'étude montre que les jeunes moins diplômés sont plus exposés à la solitude, tant en France que dans l'ensemble de l'UE.
  • La solitude et la santé mentale : La solitude n'est pas seulement un état émotionnel, elle a des conséquences néfastes sur la santé mentale, les performances scolaires et professionnelles, ainsi que sur la cohésion sociale. Elle peut également être un facteur de risque pour des problèmes de santé physique.


Jeunes adultes très seuls – fréquence par pays (étude GenNow, 2024)

L’étude GenNow met en évidence l'ampleur du problème et une tendance commune à de nombreux pays européens, mais avec des disparités significatives :

  • Les Pays-Bas et l’Allemagne affichent des taux bien inférieurs grâce à des approches plus inclusives en matière d’éducation et de participation sociale.
  • En revanche, la France se distingue par l’absence de politiques spécifiques pour lutter contre la solitude des jeunes.

Rappelons que la solitude n’est pas qu’un état émotionnel : elle est associée à des impacts négatifs sur la santé mentale, la réussite éducative et professionnelle, et même la cohésion sociale (Holt-Lunstad, 2015).

"La solitude peut réduire le sentiment d'appartenance à la société et devenir ainsi un problème social et politique. C'est précisément pourquoi nous devons lutter ensemble contre la solitude en tant que société et ne pas stigmatiser les personnes touchées." Leander Berner, Fondation Bertelsmann (promoteur de l'étude GenNow)

La solitude n’est pas seulement une question individuelle, elle reflète des failles systémiques :

  • Des réseaux sociaux fragilisés : La numérisation des interactions réduit la qualité des liens.
  • Des politiques inadaptées : En France, peu de mesures concrètes ciblent la solitude comme un problème social à part entière.
  • Une réponse inadéquate : Trop souvent, les jeunes en détresse sont orientés vers des solutions cliniques qui ne répondent pas suffisamment à leurs besoins sociaux et relationnels.

Il apparaît crucial de reconnaître que la solitude des jeunes n’est pas un problème secondaire. Elle affecte leur bien-être, leur engagement citoyen et même leur capacité à construire un avenir professionnel stable.

2. Les écrans et les réseaux sociaux : un coupable trop facile ?

Lorsqu’il s’agit d’expliquer l’isolement des jeunes, les écrans et les réseaux sociaux sont souvent pointés du doigt. Il est vrai que leur usage intensif a profondément modifié les interactions sociales, mais les études sur leur rôle dans la solitude restent contrastées et non concluantes.

  • Un impact nuancé : Certaines études montrent que l'utilisation des réseaux sociaux a un impact limité sur le bien-être des jeunes, souvent moindre que d'autres facteurs comme les relations familiales ou les conditions socio-économiques. D'autres suggèrent qu'ils peuvent exacerber la solitude en favorisant les comparaisons sociales et le sentiment d'exclusion.
  • Une question d'usage : L'impact des écrans dépend de la manière dont ils sont utilisés. Une utilisation passive (scroller sans fin) peut aggraver la solitude, tandis qu'une utilisation active (appels vidéo) peut favoriser les liens sociaux.
  • Des causes systémiques : Réduire la solitude à une simple conséquence des écrans est un raccourci qui détourne l'attention des causes profondes : le manque de lieux de rencontre, les inégalités territoriales, l'exclusion sociale. Il est essentiel de considérer ces facteurs systémiques pour une action efficace.

3. S’inspirer des meilleures pratiques internationales

Plusieurs pays ont pris ce problème à bras-le-corps et obtenu des résultats prometteurs :

  • Les Pays-Bas : Le programme Join Us, conçu pour les jeunes souffrant de solitude, organise des ateliers visant à renforcer les compétences sociales et à créer des amitiés durables. Une étude (Van Regenmortel et al., 2021) a montré que 70 % des participants ressentaient une amélioration significative de leur bien-être après un an.
  • La Finlande : Le programme Youth Guarantee inclut un accompagnement individuel et collectif pour les jeunes sans emploi ou formation. Il a permis de réduire le sentiment d’isolement tout en favorisant l’intégration sociale (Eurofound, 2022).
  • Le Royaume-Uni : L’initiative The Cares Family crée des réseaux intergénérationnels pour briser l’isolement des jeunes, avec des effets positifs sur leur santé mentale et leur engagement communautaire.

Ces initiatives partagent des points communs : elles renforcent les interactions sociales, valorisent la participation active des jeunes et reposent sur des données scientifiques solides.

Pour répondre efficacement à la solitude des jeunes, il est impératif d’adopter une approche systémique. Voici quelques recommandations fondées sur les pratiques probantes :

  1. Introduire l’éducation socio-émotionnelle basée sur le renforcement des compétences psychosociales dès le plus jeune âge : Des programmes comme Roots of Empathy (Canada) ont démontré leur capacité à réduire l’isolement et à développer les comportements prosociaux.
  2. Créer des espaces de rencontre physiques et accessibles : Les tiers-lieux et espaces urbains favorisant la rencontre permettent de tisser des liens sociaux dans un cadre non médicalisé.
  3. Inclure les jeunes dans les décisions qui les concernent : Les approches participatives, comme celles mises en œuvre en Allemagne, favorisent un sentiment d’appartenance et d’empowerment.
  4. Investir dans des réseaux de soutien communautaire : En s’inspirant des initiatives intergénérationnelles du Royaume-Uni, la France pourrait créer des liens sociaux plus solides.

Conclusion : replacer les liens sociaux au cœur des priorités publiques

L’étude GenNow est un appel à l’action : la solitude des jeunes ne peut plus être ignorée ou réduite à un simple problème médical. En investissant dans des solutions sociales, éducatives et participatives, nous pouvons offrir à ces jeunes un avenir plus connecté et inclusif.

Ce problème m’a profondément marqué, et je suis convaincu qu’il est temps de repenser nos priorités. Les jeunes isolés méritent mieux que des diagnostics médicaux : ils ont besoin d’une société qui valorise et renforce les liens humains.

Arnaud Goulliart, Consultant en gestion de projet et stratégie | Améliorer votre impact | Santé physique, mentale, sociale et environnementale 👋 Comment me contacter ? Envoyez moi un e-mail -> arnaud.goulliart@gmail.com


Références sélectives et utiles :

Holt-Lunstad, J. (2015). Loneliness and Social Isolation as Risk Factors for Mortality: A Meta-Analytic Review. Cette étude est une méta-analyse qui examine les liens entre la solitude, l'isolement social et la mortalité. Elle met en évidence que la solitude n'est pas seulement un problème émotionnel, mais qu'elle peut avoir des conséquences graves sur la santé physique.

Cacioppo, J. T., & Cacioppo, S. (2018). Loneliness in the modern age: An Evolutionary Theory of Loneliness (ETL). Cette référence propose une théorie évolutionniste de la solitude, qui peut aider à expliquer pourquoi la solitude est un problème si persistant.

Van Regenmortel, S., et al. (2021). Evaluating Social Inclusion Interventions: A Case Study. Cette étude évalue des interventions d'inclusion sociale et met en évidence des résultats positifs ainsi que l'efficacité des approches sociales contre la solitude et qui valide les résultats du programme "Join Us" aux Pays-Bas.

Masi, C. M., Chen, H.-Y., Hawkley, L. C., & Cacioppo, J. T. (2011). A meta-analysis of interventions to reduce loneliness. Cette méta-analyse examine l'efficacité des interventions pour réduire la solitude.

Beckers, A., Buecker, S., Casabianca, E., & Nurminen, M. (2022). Effectiveness of interventions tackling loneliness. Cette référence est une publication de la Commission Européenne qui examine l'efficacité des interventions pour lutter contre la solitude.

Eccles, A. M., & Qualter, P. (2021). Review: Alleviating loneliness in young people – a meta-analysis of interventions. Cette méta-analyse se concentre sur les interventions pour soulager la solitude chez les jeunes, offrant des preuves spécifiques pour votre public cible.

Berlingieri, F., Colagrossi, M., & Mauri, C. (2023). Loneliness and social connectedness: Insights from a new EU-wide survey. Cette étude de la Commission Européenne fournit des données comparatives sur la solitude dans l'UE, en utilisant les mêmes items de mesure que ceux employés dans l'étude GenNow.

d’Hombres, B., Barjaková, M., & Schnepf, S. V. (2018). Loneliness and social isolation: An unequally shared burden in Europe. Cette référence montre que la solitude est un problème répandu dans plusieurs pays européens.

Eurofound (2022). Tackling Isolation through Youth Policies: The Finnish Approach. Ce rapport de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail examine l'approche finlandaise pour lutter contre l'isolement des jeunes.

Olivier Bourquard

DRH, Top Voice 2024 🏆 Expert en management social. Formation, conseil et supervision de managers/dirigeants, collaborateurs et RH

2 sem.

Mème si la question de la solitude peut être interrogée (entre solitude qui peut être positive ou négative, le sentiment de solitude et l'isolement), je pense que l'on peut aussi regarder du coté de la qualité des liens. Notamment le soutien (voir etude OMS) Un vrai sujet. Merci Arnaud Goulliart pour le mettre en evidence

Valérie Gaudart

VP External Communication and Civil Society PR — others : author (french indian / fantasy) — Éducation boards member // 🇮🇳🇫🇷 cultures.

2 sem.

Quels sont les lieux où des jeunes peuvent se rencontrer pour faire des activités du type de ce que vous soulignez en solutions uk…. à Paris ? Pas si évident en effet… Adrien de Blanzy

Jacques Fuchs

Faciliter l'auto-transformation profonde des individus, équipes & organisations avec fluidité & célérité. Innovation radicale.

3 sem.

Nous pouvons noter une très faible résilience… et pas que chez les jeunes !

Jean Petrucci

Psychologue spécialisé en neuropsychologie - psychothérapeute TCC

3 sem.

C'est une question compliquée et facilement biaisée, je regrette de ne pas trouver les questions posées dans l'enquête sur leur site... Et rien que la définition de la solitude est problématique à bien des égards : 'Loneliness is an unpleasant feeling that people experience when their actual social relationships do not match what they desire or need." Cette définition pourrait très bien inclure ce que je ressens si je suis en conflit avec quelqu'un ou si j'estime que l'on ne reconnaît pas assez mes compétences, ou encore que l'on n'est pas assez disponible pour moi. On n'est pas loin d'une forme de frustration...

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