Mal de tête à cause du Doliprane: un comble...

Mal de tête à cause du Doliprane: un comble...

Tempête sous les crânes des Ministres et des Députés, au point de leur recommander sans délais la prise d’un gramme de paracétamol, si possible en perfusion : Le Doliprane va être vendu aux américains ! Comment ? Le Doliprane ? MON Doliprane, celui que j’achète à la pharmacie, il ne va plus être français ? Ben non ma bonne dame, il ne l’était déjà pas avant (100% du principe actif est jusqu’à ce jour importé d’Asie, dont 80% de Chine), pensez bien que cela ne va pas changer grand-chose à notre prétendue souveraineté nationale en matière de médicament. De quoi parle-t-on ?

La vente annoncée par Sanofi d'au moins 50% de sa filiale de santé grand public Opella au fonds américain CD&R, est en réalité un plat qui est mijoté depuis un moment. Recentrage de la recherche sur les produits innovants, amélioration des marges, inclinaison de la stratégie, peu importe le motif, Sanofi comme n’importe quelle entreprise privée a bien le droit de faire ce qu’elle veut avec son paracétamol, pour peu que ses obligations en matière de service publique soient préservées.  

En visite hier à Lisieux (Calvados), dans l’usine où Sanofi produit le célèbre Doliprane®, le ministre de l’Économie Antoine Armand et son ministre délégué à l’Industrie Marc Ferracci ont tracé leurs lignes rouges et ils ont détaillé les engagements qu’ils souhaitaient voir formalisés par l’acquéreur. "Le Doliprane® continuera à être produit en France. Pas seulement parce que c’est un médicament plébiscité par l’ensemble des Français, pas seulement parce que c’est une réussite industrielle, mais parce qu’il en va de la souveraineté de notre pays et aussi de notre approvisionnement en médicaments sensibles et critiques", a promis Antoine Armand. Emmanuel Macron s’est aussi invité dans le débat. "Le gouvernement a les instruments pour garantir que la France soit protégée", a-t-il assuré. La sauvegarde de la production en France du Doliprane® n’est pas la seule exigence du gouvernement, qui réclame aussi des engagements à Sanofi et CD&R sur le maintien en France du siège social d’Opella, la préservation de l’emploi et un volume de production minimum. »

Bon, d’abord, les français ne « plébiscitent » pas tel ou tel médicament, ce n’est pas le sujet, et les médicaments, Monsieur le Ministre ne sont pas des bonbons. Le paracétamol est utile, et fait partie de la pharmacopée de base. Point.

Ensuite, cette idée de souveraineté industrielle au prétexte que le Doliprane est conditionné (je dis bien conditionné et non fabriqué) à Lisieux, est une vaste supercherie. (A cet égard, je m’étonne des propos de Fréderic Bizard dans La Croix). Nous sommes, hélas, pour tous ces « vieux » médicaments issus de la chimie (paracétamol, corticoïdes, curarisants, dopamine, bétabloquants, etc..) tributaires des pays asiatiques qui en fabriquent la matière première à bas coût. La politique de rabots successifs pratiqués au cours de ces dix dernières années de PLFSS, a effondré jusqu’à l’os le prix de ces médicaments génériqués, si bien que tout modèle économique visant à les produire aux normes écologiques et sociétales européennes devient peu ou pas rentable.

Quant à la proposition de Clémence Marque, présidente de l’association Adrastia, de nationaliser la fabrication des médicaments essentiels, elle semble relever à la fois de l’utopie économique inspirée par le communisme des années 50, et d’une méconnaissance totale des métiers de la pharmacie… Nous ne lui en voulons pas.

Enfin, pour clore sur le sujet, bien évidemment que l’Etat dispose de quelques leviers pour réclamer des garanties de production aux repreneurs, il est inutile de le rappeler, ce d’autant qu’il convient en la matière de rester prudent, ainsi que nous l’a démontré, par exemple, la reprise d’Arcelor-Mittal en 2006… Mais ce n’est pas de cette façon que l’on va rassurer nos concitoyens, et encore moins les salariés de l'usine de Lisieux. En réalité, il faut construire une « Europe du Médicament », forte et ingénieuse, consolidant les atouts des différents pays en matière d’investissements, de recherche, de développement et de production. Il faut harmoniser les conditions d’évaluation et de prix des pays membres, et mutualiser la répartition et la distribution des stocks en fonction des besoins. Il faut faire du Vieux Continent, une terre attractive, innovante, disposant d’une masse critique suffisante pour rivaliser avec les Etats-Unis et l’Asie. A cette condition, et seulement à celle-ci, on pourra réinventer un modèle économique plus vertueux, écoresponsable et surtout économiquement pérenne.

Messieurs les Ministres, avant de vous déplacer à Lisieux, on aurait dû vous rappeler que le principe « d’autonomie sanitaire » n’est plus soutenable à l’échelle d’un seul pays, surtout quand il est en faillite.  Européen convaincu vous êtes, tachez de le rester 

Romain Guillemain

Assistant Unité Fonctionnelle de Transplantation cardiaque a l’hôpital Bichat

1 mois

Opinion par moi totalement partagée !!

Christian CHABANNON

Président de la Conférence Médicale d'Etablissement. Institut Paoli-Calmettes. Marseille

1 mois

Implacable démonstration - ne serait-ce que par la densité de l’exposé des constats - de l’amateurisme de la communication de certains de nos dirigeants. Comment peut-on réduire la souveraineté nationale en matière de santé à la fabrication d’un antalgique vieux de plusieurs décennies, fut-il utile quotidiennement à des dizaines de milliers de nos concitoyens? Des alternatives existent au Doliprane. La réflexion devrait davantage se porter sur les innovations thérapeutiques et diagnostiques très coûteuses, et où la France se positionne aujourd’hui plus comme un consommateur que comme un développeur. À la fin des années 1980 début des années 1990, la France et l’Europe pouvaient prétendre faire jeu (presque) égal avec les USA. Trois décennies plus tard, le fossé s’est creusé et la recherche et les biotech Chinoises pour ne mentionner qu’elles font la preuve de leurs progressions. La réponse ne peut être effectivement qu’à l’échelle de l’Europe et doit s’appuyer sur une analyse de nos forces (elles restent nombreuses) et de nos faiblesses pour construire une stratégie collective et de long terme.

Cher Patrick Vos propos rejoignent à 100% mon ITW sur BFM le 16 octobre sur le sujet. Nos dirigeants se trompent de combat. Ou font de la politique… le seul échelon viable en termes de souveraineté médicamenteuse est européen.

Philippe Barrois

International Pharma leader

1 mois

Patrick, ton analyse est tres juste, nos politiques et le monde du buzz confondent la mise en forme galénique (comprimés, gélules,…) et production du principe actif qui est à l’essence de l’effet notoire du médicament. Or la vraie souveraineté, c’est quand on maitrise l’approvisionnement du principe actif qui malheureusement est souvent d’origine chinoise ou indienne lorsque celui ci est ancien et fabriqué par synthèse chimique. Et même quand le principe actif est produit en Europe bon nombre d’ingrédients nécessaires à sa fabrication son d’origine asiatique. C’est un travail de filière qu’il faut donc avoir pour mesurer notre souveraineté sur l’approvisionnement d’un médicament !

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