Mobilité et élections municipales : sortir des égoïsmes territoriaux

Jean Coldefy, Directeur du programme mobilité 3.0 ATEC ITS France, ancien responsable adjoint de la mobilité à la métropole de Lyon

La mobilité est au cœur des enjeux des élections municipales et paradoxalement, alors que le pays sort à peine de sa plus grande crise sociale depuis 50 ans, le message envoyé par les grandes villes est « bannissons la voiture ! ». Affirmer que la suppression de la voiture serait le seul horizon de la politique de mobilité, c’est aller un peu vite en besogne. C’est oublier que la voiture a permis de desserrer la contrainte financière du marché du logement, en permettant d’aller chercher plus loin ce qui n’était plus disponible à proximité, même si aujourd’hui cette solution a trouvé sa limite : la voiture a pallié mais n’a pas empêché la crise du logement. Le prix de l’immobilier a été multiplié par 3 en 20 ans dans les villes centres et cela contamine les périphéries de proches en proches. C’est l’inadéquation du marché de l’habitat avec les besoins et la localisation des emplois qui ont induit une décorrélation entre habitat et emplois avec son lot de pollution, d’émissions de CO2 et d’invasion des espaces publics, 80% des trajets étant réalisés en voiture pour accéder aux agglomérations. Avec la gentrification au centre et le blocage de l’urbanisation dans les communes de proches périphéries, c’est in fine une moindre mixité sociale et un allongement des distances domicile travail que le jeu des acteurs a induite. Ainsi ceux qui prennent leur voiture pour aller travailler tous les jours n’ont pour la plupart tout simplement pas le choix. C’est l’absence de logements en centre-ville et d’alternatives à la voiture solo depuis les périphéries qui génère des flux de véhicules qui viennent saturer les réseaux routiers aux heures de pointes.

Le sentiment d’iniquité est ainsi très fort : les habitants des périphéries et zones rurales à faibles revenus – dont 70% des dépenses sont contraintes par le logement et l’énergie (enquête IPSOS de 2018 auprès de 11 000 ménages) - reçoivent très mal les leçons d’écologie de ceux qui peuvent se loger dans la ville centre et donc utiliser moins souvent la voiture : on ne peut que les comprendre. C’est parce que Paris dispose du système de transport en commun le plus dense du monde avec une station de métro tous les 300 m que les Parisiens utilisent très peu leur voiture et non parce qu’ils sont moralement plus vertueux que les autres. La ville sans voiture viendra surtout pénaliser ceux qui ont besoin d’accéder à Paris et non pas les habitants. Ainsi les propositions des candidats à la mairie de Paris sont profondément agressives vis-à-vis des territoires limitrophes : la gratuité pour les petits parisiens (et tant pis pour les jeunes des banlieues), la fermeture des voies sur berge dont l’évaluation (voir étude de l’IAU de la Région Ile de France) a montré qu’elle reportait le trafic au-delà de Paris (on déplace la pollution), les propositions de suppression du périphérique (les 2/3 du trafic dans Paris et 80% sur le périphérique ne sont pas le fait d’habitants de Paris - source enquête ménage déplacement Ile de France). On se trouve typiquement dans un jeu d’acteur où chacun ne regarde que son intérêt propre sans se soucier des conséquences de ses actions sur les autres : la mobilité ce sont des flux qui ignorent les frontières communales, déplacer les problèmes chez les autres ne les résout pas, cela en crée d’autres par ailleurs.

La concentration des emplois dans les agglomérations et la destruction dans les villes moyennes est un phénomène puissant qui ne s’arrêtera pas. Il renforce la périurbanisation : depuis 10 ans les 2/3 de l’accroissement des aires urbaines, c’est-à-dire des communes dont au moins 40% des actifs travaillent dans la ville centre, se fait en dehors du périmètre des métropoles. Ainsi en 20 ans la population de la métropole de Lyon a augmenté de 180 000 personnes quand au-delà, l’aire urbaine s’est accrue de 360 000 personnes avec 205 communes supplémentaires : on voit où sont aujourd’hui les dynamiques territoriales. En l’absence d’une politique coordonnée de logements et de localisation des emplois à la bonne échelle géographique, il y a fort à parier que les déséquilibres actuels s’accroissent.

Alors qu’il est urgent de construire des solutions pour relier – au sens physique et symbolique - les périphéries aux agglomérations, de dangereux simplismes et un cynisme choquant polarisent les débats :

-      Le simplisme de territorialiser à l’excès la population française et les revenus. Ainsi, les tenants de la « France périphérique » tendent à faire croire que les centres urbains ne seraient peuplés que de cadres ayant rejetés les populations modestes dans les périphéries, alors que la pauvreté est bien plus présente dans les villes que dans les zones rurales. Dans la même logique, des urbains déploient un discours selon lequel ce seraient les populations aisées, issues de banlieues cossues, les responsables des flux de voitures pénétrant chaque jour dans les centres urbains. Ces deux approches caricaturent les situations et sont dangereuses parce qu’elles opposent les français entre eux. On recherche un coupable sans proposer de solutions. Si Paris compte 45% de cadre, cela signifie que 55% n’en sont pas tout comme à Lyon avec ses 30% de cadres et 70 % d’autres couches sociales.

-      Le cynisme de politiciens qui attisent la colère (c’est la faute aux bobos de centre villes, c’est la faute à Macron, …) en se faisant passer pour les représentants du peuple qu’ils ne sont évidemment pas ou qui font miroiter des solutions irréalistes et démagogiques (la gratuité des transports en commun, la suppression des périphériques, …) en espérant en retirer un bénéfice électoral. Les politiques menées sont pourtant largement responsables de la situation actuelle. Le jeu non coopératif des communes est patent avec des politiques de logement ayant gelé de nombreuses zones à urbaniser, et favorisé la non mixité sociale. Il en va de même avec les politiques de localisation des entreprises, chacun étant dans une compétition pour les attirer sans se soucier des flux générés à une échelle plus globale. Les interdictions de circulation stigmatisent les propriétaires de voitures anciennes qui sont aussi les classes sociales les moins fortunées[1] dépourvues des moyens d’investir dans des véhicules neufs (le salaire médian en France est de 1800 €/mois) : on voudrait faire monter le Front National dans les périphéries que l’on ne s’y prendrait pas autrement, et c’est d’ailleurs ce qui se passe. La faiblesse du ferroviaire en dehors de Paris depuis les périphéries vers les agglomérations est également patente : au mieux aux heures de pointes les grandes villes disposent de fréquences au ¼ d’heure, plus généralement toute les 30’. Ceci est largement due à des infrastructures insuffisantes et aux couts prohibitifs des TER, financés à 75% par les impôts des français, avec une médiocre qualité de service. Le TER en France c’est selon les régions de 5 à 10 000 euros de subventions publiques par passager par an ! Pourquoi n’a-t-on pas encore mis en concurrence le monopole SNCF comme l’ont déjà fait depuis plus de 20 ans tant d’autres pays en Europe, avec comme résultat une baisse de 30% des prix, réinvestie dans plus de trains aux heures de pointes ? Enfin cerise sur le gâteau, l’injonction morale de prendre les transports en communs, lorsqu’il y en a, est aujourd’hui quasi impossible hors des centres villes, tout simplement parce que l’offre de parcs relais est d’une indigence incroyable : 17000 places sur toute l’ile de France pour 3 millions de voitures en circulation chaque jour et moins de 5000 parkings vélos dans toutes les gares Transiliens (source Ile de France Mobilité et enquête ménage déplacement).

Raisonner à la seule échelle communale attise les tensions entre les territoires et les populations, alors que la base d’une société démocratique c’est la confiance que chacun a en les autres. Le parallélisme avec les discours populistes disant s’occuper d’abord des résidents est assez frappant, à l’instar du mantra de M Trump : America first. Est-ce à dire que nous sommes condamnés à la confrontation des territoires, qui plus est dans un contexte d’exigences aussi irréalistes de la part des populations qui demandent l’air pur des montagnes dans les villes et la densité des transports en communs des grandes villes dans les zones rurales ? Pour en sortir, il convient d’agir à l’échelle de l’aire urbaine et simultanément sur les politiques de mobilité, d’urbanisme et de logement, à l’image des propositions de feu l’urbaniste Marc Wiel. La cible est celle des ménages à revenus moyens ou modestes qui sont contraints de faire beaucoup de kilomètres en voiture : ceux qui protestent depuis fin 2018 s’estimant proche de la relégation et stigmatisés par les habitants des villes.

Sur le plan des politiques de mobilité, la solution passera pour les trajets longs (plus de 10 km) par la mise en place d’axes lourds de transports en commun reliant de manière massifiée les périphéries avec les zones d’emplois des grandes agglomérations. Il faudra trois fois plus de transport en commun depuis les périphéries, avec une offre en parcs relais multipliée par 50. Ces transports en commun passeront d’abord par la route, avec des cars express haute fréquence, compte tenu des mises à niveaux nécessaires de l’infrastructure ferroviaire qui mettront une dizaine d’année à se réaliser. Des voies réservées permettront à ces cars d’être beaucoup plus rapides que la voiture. Un transfert complet des périphériques, routes nationales et départementales aux métropoles et autorités de la mobilité sur leur territoire est pour cela nécessaire : comment gérer la mobilité si on ne dispose pas de la compétence espaces publics ? Ce programme (cf le projet New Deal élaboré dans le cadre de la remarquable démarche du Forum Métropolitain du Grand Paris ou l’excellente stratégie mobilité de la métropole de Marseille) permettra de diviser par deux le trafic routier et aura un impact considérable sur le budget transport des ménages et les émissions de CO2 : la route est le 1er poste d’émissions de carbone en France, rappelons-le. Il nécessite des investissements lourds, ce que la gratuité des transports en communs ne permettra évidemment pas, sans parler de son impact quasi nul sur la baisse du trafic routier. Pour les trajets courte distance, c’est à l’évidence par les transports publics urbains, à renforcer dans les liens périphéries – périphéries, à l’instar du Grand Paris Express, et par le vélo que passera la solution, avec un programme très important de pistes cyclables en dehors des hyper centres.

La politique de logement et d’urbanisme devra elle offrir des alternatives à l’émigration des habitants loin des zones d’emplois. Ceci suppose ouvrir à l’urbanisation de vastes zones, au plus proche des zones d’emplois, dans les communes des proches périphéries des agglomérations. Elles ne le souhaitent pas forcément, induisant en cela l’éparpillement urbain, et l’implantation des zones commerciales le long des rocades, la population communale étant souvent trop faible pour un commerce de proximité important. Pour dépasser cette difficulté, un élargissement des périmètres des intercommunalités actuelles, à l’image de ce qu’ont fait Marseille et Reims, à ces intercommunalités est la solution, puisqu’à l’évidence c’est l’échelle communale qui en France est grandement responsable de la situation : la France est le dernier pays d’Europe à ne pas avoir réduit son nombre de communes, 35 000 face aux 11 000 communes allemandes, 8000 italiennes ou espagnoles, 405 britanniques. Enfin, pour l’implantations des zones d’emplois et des entreprises, outre les PLU, une régulation par la fiscalité pourrait renforcer l’action publique, afin de favoriser un développement harmonieux peu inducteur de déplacements.

On le voit, pour apporter des solutions efficaces aux problèmes de mobilité et d’environnement, les villes centres ne doivent pas se barricader mais au contraire coopérer avec les territoires voisins : la loi d’orientation des mobilités qui devrait enfin être votée en novembre ouvre des possibilités avec la définition de bassins de vie et l’obligation aux acteurs de mettre en place et contractualiser leurs actions communes à cette échelle. Alors qu’elles concentrent les richesses économiques, les grandes agglomérations ont une responsabilité morale et d’équité vis-à-vis des périphéries. Inversement, les communes périphériques devront admettre des contraintes selon les configurations des territoires : regroupements de communes, ouverture à l’urbanisation et densification, coordination des politiques de développement économique, régulation des flux automobiles pour accéder aux agglomérations. Adresser à la fois les besoins de mobilité et le réchauffement climatique nécessite plus de coopération à une échelle globale, c’est une évidence. Quand le président américain déclare récemment « l’avenir n’appartient pas aux globalistes mais aux populistes », il joue un jeu électoral sans doute payant à court terme, mais prend le parti des intérêts particuliers en excluant ceux qui n’habitent pas le territoire mais qui pourtant y vivent aussi, alors que pour des problèmes globaux c’est le parti des intérêts communs qu’il nous faut prendre. Il en va de même pour les problèmes de mobilité. A jouer les partitions communales ou métropolitaines, tout le monde y perd, et on aggrave les tensions entre territoires : du pain béni pour les populistes de gauche et de droite, qui représentent le plus gros risque pour la démocratie alors que les turbulences induites par le réchauffement climatique vont être énormes. Pour les affronter le temps est à la cohésion non à la division.

Alors que chaque année qui passe est plus chaude que la précédente, que le réchauffement climatique nous impacte déjà aujourd’hui, nous entrevoyons les conséquences dramatiques d’une élévation des températures : chez nous des communes de l’Indre et Loire se sont retrouvées sans eau en aout 2019, des experts estiment que 50% de la population mondiale sera en stress hydrique en 2025, induisant des mouvements de population comme sans doute jamais le monde n’en a connu. Nous pensions que le réchauffement serait pour nos enfants, il est en fait déjà là. L’accord de Paris nous demande de diviser par 10 les émissions en France pour les mobilités. Cela passera par une diminution profonde de l’usage de la voiture thermique pour accéder aux agglomérations. Or depuis 20 ans la part modale kilométrique de la voiture est inchangée : 80%. Le rythme n’y est pas : il va falloir passer la vitesse supérieure et très rapidement. L’heure n’est plus aux mesures poudre aux yeux tendant à faire croire que l’on fait quelque chose ou aux simplismes démagogiques. Il nous faut travailler à la bonne échelle, c’est-à-dire l’aire urbaine, en combinant les politiques de mobilités, de logements et d’implantation des entreprises. La question du financement pour réaliser ce programme dans des délais courts, compte tenu des enjeux environnementaux, reste entière. Il est naïf de croire que cela ne se fera pas sans effort de tous, ménages et entreprises. Le GIEC indique que 3% du PIB devra y être consacré chaque année, soit 72 milliards par an pour la France. En supposant une répartition à part égale entre entreprises et les ménages (très discutable), cela représente 240 €/mois par ménage imposable, et 35 milliards / an pour les entreprises, ou un doublement de l’impôt sur le revenu, un quasi triplement de l'IS ou une augmentation de 50% de la TVA  ! On le voit entre les exigences de la jeunesse représentée par Greta Thunberg et l’exigence sociale des gilets jaunes, la voie est étroite. La tâche des politiques est d’une extrême complexité et c’est pour cela qu’il convient de soutenir ceux qui cherchent ce passage. Augmentation des impôts ou optimisation de la dépense publique ? Sans doute un mix des deux. Sans attendre, nos politiques publiques doivent être passées au crible de l’efficience des euros publics investis par tonne de CO2 économisée, afin de redéployer les crédits vers des actions qui aient un impact maximal, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui. Ce programme ambitieux et positif peut et doit mobiliser les décideurs et les citoyens. Il faut le faire et vite.



[1] avec des résultats sur la qualité de l’air très faibles :il y a très peu et de moins en moins de véhicules CRITAIR 4 et 5 tout simplement parce que ce sont les véhicules les plus anciens dont le nombre a déjà baissé naturellement de plus de 45% entre 2016 et 2018



Je n'avais pas vu passer cet article et ne le decouvre que maintenant, très intéressant et riche merci !

Laurence Venencie

Chef de projet économique et juridique Transports|services|Mobilité

4 ans

Un discours très juste qui ne concerne pas seulement les metropoles mais aussi de petites communes (ex: st Nom la Breteche. Des querelles et des ambitions de maires des communes avoisinantes ont bloqué pendant plus d'une dizaine d'années la réhabilitation d'une ligne ferroviaire. Celle ci a finalement été réalisé dans les années 2004/5. 15 ans plus tard, tout est démonté pour transformer la ligne, - toute récente - , ferroviaire, en ligne de tram !. Des équipements lourds, quasi neufs, passerelles ...démontés pour la casse...C'est l'illustration du manque d'efficience des investissements publics evoqué dans l'article de Mr Coldefy, résultat d'un manque de vision collective à bonne échelle: l'échelle n'étant dans ce cas précis ni les communes, ni même les intercommunalités trop petites localement. Car par souci electoral, il semble que les représentants perdent vraiment trop souvent la vision globale du sens commun, - ou du bon sens d'une manière générale. C'est aussi l'illustration d'un vrai problème, non pas de contrôle dans la mise en oeuvre des deniers publics, mais de la pertinence des investissements sur un terme long et de l'absence totale de suivi et de responsabilités concernant l'efficacité de tels investissements.

Gilles Savary

Consultant affaires publiques et européennes

5 ans

Magnifique Jean ! un vrai Manifeste de reconciliation des territoires et de mobilités durable . Lucide , documenté , courageux .. Mais qui va heurter des conformismes , des postures et des injonctions radicales , sans parler des egoismes de clochers ..,Et pourtant tu decris La Solution : la seule realiste et accessible pourvu que les elus locaux y adherent ! C’est pas gagné, mais c’est dit et ecrit !!

JULIEN ROISSE

DTA, responsable pôle urbanisme-amenagement chez Pays du Mans, Pôle métropolitain Le Mans Sarthe

5 ans

Très intéressant, il est temps d'agir effectivement à la bonne échelle

Emmanuel Giraud

AID Observatoire - Planification et Stratégies territoriales

5 ans

Bravo ! Je rejoins dans son intégralité le propos tenu ici. D’une grande intelligence !

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