Moscou menace de torpiller l’accord sur le nucléaire iranien



Isabelle Lasserre

Le Figaro

8/03/2022

DÉCRYPTAGE -

Va-t-il trébucher une nouvelle fois? Depuis qu’il a été plongé dans le coma par le retrait de Donald Trump en 2018 puis par les violations systématiques de la partie iranienne, l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, connu sous l’acronyme de JCPOA, a été maintenu sous respiration artificielle par les Européens - Français, Allemands et Britanniques - qui comptaient sur l’arrivée de Joe Biden pour le ressusciter. Mais après plusieurs mois de négociations secrètes et extrêmement difficiles à Vienne, qui ont vu les Européens jouer le rôle de médiateur pour faire revenir les États-Unis dans l’accord et convaincre l’Iran de respecter à nouveau ses engagements internationaux, un nouvel accord était sur le point d’être bouclé. Caché et étouffé depuis plusieurs semaines par le dossier ukrainien, le nucléaire iranien a été rattrapé par la guerre qui sévit en Europe.

Alors que la Russie avait jusqu’à présent, de l’avis même des Français, sans doute les plus vigilants sur le dossier, joué un rôle «constructif», Moscou a mis samedi sur la table de nouvelles exigences, demandant aux Américains de garantir par écrit que les sanctions prises en raison de la guerre en Ukraine n’affectent pas sa coopération avec l’Iran. Au ban de la communauté internationale depuis dix jours, la Russie a un double intérêt à bloquer le nouvel accord au moment où il allait être annoncé. Elle utilise l’un des rares leviers qui lui restent pour tenter d’obtenir des concessions sur le dossier ukrainien. Elle met aussi des bâtons dans les roues de la communauté internationale qui anticipait déjà un ralentissement de la hausse des prix du pétrole grâce à la levée des sanctions économiques et la perspective d’un nouvel afflux de brut iranien sur les marchés. Washington a jugé les nouvelles exigences russes «hors sujet». Paris a exhorté Moscou à ne pas «prendre en otage» les négociations nucléaires. Et Téhéran a décidé d’attendre les «détails» des demandes russes avant de se prononcer.

Ce nouveau contretemps pourrait décaler l’annonce d’un compromis qui déjà paraissait fragile à beaucoup. Depuis 2018 en effet, les violations du JCPOA, et donc les progrès réalisés par le programme nucléaire iranien, sont tels que ce que les experts appellent le «break out», qui désigne le moment où l’Iran possédera suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer une bombe, a été réduit à quelques semaines seulement. Pour les Européens, le moment où l’accord deviendra caduc, en raison des progrès rapides du programme, est bientôt arrivé. L’initiative russe vient aussi gripper une machine dont les rouages étaient déjà dénoncés par certains. Les Israéliens, qui considèrent que le nouveau compromis est encore «plus fragile» que l’accord de 2015. «Israël se prépare pour le jour d’après afin d’assumer la sécurité de ses citoyens par nos propres moyens… Le problème avec ce nouvel accord est que dans deux ans et demi, l’Iran pourra développer, installer et mettre en marche des centrifugeuses nucléaires», a prévenu Naftali Bennett, le premier ministre israélien. Ses craintes ont été nourries par le négociateur russe Mikhaïl Ulianov, qui a affirmé dimanche que l’Iran avait obtenu «un meilleur résultat» que prévu.

Aux États-Unis, la volonté de Joe Biden de réintégrer le JCPOA est aussi contrée par des sénateurs républicains, qui considèrent que les concessions financières et économiques faites à Téhéran en échange d’un gel vérifiable de son programme sont trop importantes et que Téhéran essaie de gagner du temps. Ils ont prévenu la Maison-Blanche qu’un tel accord devrait être soumis à un examen parlementaire. Enfin, l’accord qui devait normalement être annoncé lundi n’était pas complètement finalisé, puisque l’Iran et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le gendarme mondial du nucléaire, devaient résoudre les questions laissées en suspens d’ici le mois de juin. Entre un accord au rabais, qui permet d’étendre le «break out» de plusieurs mois et pas d’accord du tout, les Américains et les Européens ont choisi la première solution. La Russie va-t-elle la torpiller?

Jean-Louis Vedrenne

Business Development; Sales and Marketing, Aerospace and Defence. Interpreter FR UK.

2 ans

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