L’accord nucléaire iranien est déjà mort





  1. Le Figaro International

Analyse

Isabelle Lasserre et Patrick Saint Paul

20/06/2019

En 2015, la diplomatie française avait bataillé pour durcir le projet d’accord sur le nucléaire iranien jugé trop faible et incomplet. Aujourd’hui elle lutte pour tenter de le faire sortir du coma dans lequel l’a plongé le retrait américain en mai 2018. Mais les autorités iraniennes ont annoncé qu’elles allaient bientôt violer certaines obligations du JCPOA, le compromis signé à Vienne le 15 juillet 2015 entre la communauté internationale - États-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne, Allemagne - et l’Iran à Vienne. C’est le président Rohani qui l’a affirmé le 8 mai: l’Iran ne se sent plus tenu par les limites imposées à ses réserves d’uranium enrichi et d’eau lourde. Après avoir adressé un ultimatum aux Européens auxquels ils demandent de compenser les sanctions américaines, Téhéran a annoncé que sa capacité d’enrichissement devrait avoir dépassé le stock autorisé par l’accord à la fin du mois. Téhéran a aussi dit son intention d’augmenter le degré d’enrichissement de son uranium et de rouvrir son réacteur nucléaire à eau lourde d’Arak.

Les menaces iraniennes sont une réponse aux sanctions économiques des États-Unis, qui veulent étrangler l’Iran et le forcer à la soumission, voire provoquer un changement de régime. Pour résister à Washington, l’Iran dispose de trois leviers: perturber la navigation des pétroliers dans le détroit d’Ormuz, déstabiliser la région par le biais de ses intermédiaires chiites en Syrie ou en Irak et menacer de reprendre son programme nucléaire.

L’accord sur le JCPOA devait mettre le programme nucléaire militaire de l’Iran entre parenthèses pendant une dizaine d’années. Alors qu’il n’est pas encore arrivé à la moitié de sa vie, ses protagonistes le disent en grave danger. Mais en fait, l’accord de Vienne est déjà mort. Il est mort le 8 mai 2018, quand Donald Trump s’en est retiré de manière unilatérale. Malgré leurs efforts, les Européens n’ont pas réussi à aider l’Iran à contourner l’embargo économique réimposé par les États-Unis. Les sanctions extraterritoriales, qui punissent tous les États et toutes les entreprises voulant commercer avec Téhéran, ont eu raison des meilleures volontés. Instex, le mécanisme de troc mis sur place au début de l’année par la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, n’a encore réalisé aucune transaction.

Selon une source occidentale, la République islamique a relancé son activité nucléaire depuis le retrait américain il y a un an. «Téhéran ne respecte pas les restrictions du volet sur les centrifugeuses, notamment en matière de recherche et développement. L’Iran développe en secret une nouvelle génération de centrifugeuses, l’IR8M.» Jusqu’à 50 fois plus efficace que la version précédente, elle permettrait à l’Iran de développer une bombe nucléaire en quelques mois et serait développée dans des sites secrets qui échappent au contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Après le retrait américain, l’Iran avait pris la décision d’attendre la fin du mandat de Donald Trump en respectant ses engagements pour isoler Washington. Mais la perspective d’une réélection aurait provoqué un revirement stratégique de Téhéran, qui s’active pour tenter de jouer sur les divisions entre les États-Unis et ses alliés européens. Ses actions dans le détroit d’Ormuz, qui visent à perturber les cours du pétrole, s’inscriraient dans cette logique.

Aux libertés prises avec l’accord de Vienne dans son volet nucléaire - des «violations» qui, selon la même source occidentale, s’effectuent toujours «à la marge, en utilisant les ambiguïtés de la résolution 2231» - s’ajoute une forte augmentation, depuis 2018, de l’activité balistique de l’Iran, l’autre volet d’un programme nucléaire militaire. «En rapetissant les têtes de leurs missiles, les Iraniens ont réussi à en rallonger la portée jusqu’à 2 500 km. C’est une autre violation de la résolution de l’ONU» poursuit une autre source occidentale. Enfin, les transferts d’armes iraniennes au Moyen-Orient ont considérablement augmenté depuis le début de l’année. Non seulement un missile iranien a été tiré contre Israël depuis la Syrie pour la première fois, mais «des drones iraniens ont été retrouvés en Irak en 2017».

Jusque-là, l’Agence internationale de l’énergie atomique avait affirmé que l’Iran agissait depuis 2015 en conformité avec les engagements de Vienne. La semaine dernière, elle a cependant constaté l’augmentation de la production d’uranium enrichi. Si les violations de l’accord de Vienne sont confirmées par l’agence de l’ONU, deux nouveaux risques s’ajouteront aux tensions dans la région: la guerre ou une reprise de la prolifération nucléaire. À moins que la situation ne mène à l’ouverture de nouvelles négociations. Le développement de nouvelles centrifugeuses «est une violation de l’accord, qui offre une carte majeure à Téhéran en vue de la reprise des négociations, estime une source occidentale. L’Iran ne veut pas d’une guerre et il sait qu’il lui faudra un jour retourner à la table des négociations. C’est pourquoi il cherche à étoffer son jeu». D’un côté comme de l’autre, les paris sont risqués. Même s’ils contiennent une part de bluff…


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