“Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force"​ (Blaise Pascal)

“Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force" (Blaise Pascal)

Ce mardi 22 novembre a lieu une mobilisation interprofessionnelle pour la Justice, avec appel à la grève lancé par les syndicats de magistrats.

"Encore ?" pourrait-on dire. Et oui, malheureusement.

Parce qu'en dépit des alertes innombrables et unanimes des professionnels de la Justice - dont je suis en tant qu'Avocat, notre Justice se paupérise à vitesse grand V.

Non-content de ne priver notre Justice des moyens en personnel et en matériel les plus élémentaires (au point de frôler parfois l'indigence dans certaines juridictions), l'État lui impose des réformes - disons-le clairement - complètement stupides et en décalage complet avec les réalités du terrain.

Résultat: d'innombrables pertes de temps et crises de nerfs, alors que les délais de jugement sont déjà intolérables pour les Justiciables.

J'avoue qu'en matière de réforme imbécile, on a atteint des sommets avec la réforme Belloubet qui a fusionné les anciens TI et TGI.

Il y a déjà la répartition proprement illisible des compétences matérielles entre Tribunaux judiciaires, Chambres de proximité, Juge du contentieux de la protection et Tribunaux de proximité, encore compliquée par les particularisme locaux qui font que telle ou telle Chambre de proximité se sera vue attribuer telle ou telle compétence matérielle supplémentaire, le tout sur fond de procédure avec ou sans représentation obligatoire.

Très sincèrement, à chaque nouveau dossier un peu atypique et/ou hors du ressort de mon Barreau, je passe au moins 30 minutes pour trouver la bonne juridiction devant laquelle assigner ...

Il y avait également l'obligation (à peine d'irrecevabilité de la demande en Justice) de tenter de régler amiablement le litige qui était imposée par l'article 750-1 pour les litiges inférieurs à 5 000 € ou relevant de certains litiges de voisinage. Pourquoi pas, et une demande de conciliation en Justice pouvait en principe "faire le job". Malheureusement si le conciliateur de Justice était indisponible (pour cause de surcharge de travail en particulier), aucun texte ne venait préciser à partir de quel délai le Justiciable pouvait ensuite s'adresser directement à la Juridiction (le texte parlait en effet de "délai manifestement excessif") ! Fabuleux. Le Conseil d'État vient heureusement d'annuler ces dispositions scélérates (https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-09-22/436939).

Mais il y a encore surtout, et depuis le 1er janvier 2021, cette histoire de "prise de date" avant de pouvoir délivrer une assignation au fond.

Le "process" qui nous est imposé est le suivant :

Etape 1 : notre projet d'assignation doit être transmis (en dématérialisé) à la Juridiction.

Etape 2: à l'autre bout du "tuyau", si l'on peut dire, le Greffe regarde le planning des audiences d'orientation, et nous renvoie une date d'audience "utile".

Etape 3: nous intégrons cette date d'audience avec un numéro de rôle provisoire dans notre assignation, que nous pouvons ensuite transmettre à l'Huissier pour signification.

Etape 4: une fois l'assignation délivrée, nous "mettons au rôle" (toujours en dématérialisé) et obtenons un numéro de rôle définitif.

Première problème : les étapes 1 et 2 sont une parfaite perte de temps pour nos cabinets, et surtout pour le greffe, qui a sans doute autre chose à faire qu'à traiter nos demandes de dates.

Second problème, et non des moindres : dans certaines juridictions, l'encombrement est tel que la réponse du greffe sur la date d'audience met souvent plusieurs jours, voire parfois plus d'une semaine pour nous revenir. Or il arrive régulièrement que nous devions assigner "en limite de délai", c'est-à-dire très peu de temps avant une prescription ou une forclusion.

Qui sera responsable si l'assignation ne peut être délivrée et mise au rôle à temps ?

Voici une illustration, parmi tant d'autres malheureusement, des errements absolument pas anticipés (et pourtant prévisibles) de la réforme Belloubet.

Jusqu'à quand allons-nous laisser notre Justice agoniser ? Jusqu'à la Justice privée ? Encore un effort, nous y sommes presque...

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