Nouveau modèle de développement ou pacte national anticorruption?

Je ne peux pas m’empêcher de tenter de commenter, en toute humilité, le rapport de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD) qui vient d’être édité, et ce, après une série d’articles que j’ai écrits antérieurement à propos de ce sujet.

Je vais, tout d’abord, commencer par souligner fortement les deux mots d’ordre que cet important rapport a très bien mis en avant : libérer les énergies et restaurer la confiance.

A juste titre, j’ai auparavant souligné, dans mon article paru le 03/09/2020, que «refonder la confiance des citoyens devient le maitre mot du nouveau modèle de développement souhaité ».

En fait, le diagnostic établi par la Commission spéciale, auteur dudit rapport, a mis l’accent sur quatre freins majeurs à la mobilisation des forces vives et créatives des marocains. Ces freins ont en commun, à mon humble avis, un soubassement constitué de la corruption au sens large; fléau anéantissant à coup sûr la confiance des citoyens. Il s’agit de :

1.   sentiment d’insécurité judiciaire et d’imprévisibilité ;

2.   capacités limitées du secteur public à concevoir et à mettre en œuvre des services publics accessibles et de qualité ;

3.   lenteur de la transformation structurelle de l’économie affectée par les coûts, les situations de rente et la faible ouverture ;  

4.   manque de cohérence verticale entre la vision de développement et les politiques publiques annoncées et la faible convergence horizontale entre ces politiques.

Bien qu’il soit difficile de situer avec précision l’origine de ces obstacles, l’analyse causale approfondie de ces constats peut déboucher sur l’ampleur des pratiques de corruption dans notre pays. En dépit des récents efforts déployés par les pouvoirs publics pour le renforcement du cadre juridique, institutionnel et opérationnel anticorruption, l’Indice de perception de la corruption (IPC) est resté stagnant de 2008 à 2020 autour de la position 80ème place parmi environ 180 pays. La lenteur de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la corruption (SNPLCC) est pour beaucoup dans la faiblesse de l’impact anti-corruption des projets retenus.

Ainsi, passant en revue, les quatre obstacles majeurs identifiés, de surcroit,  partagé par la plupart des analystes et observateurs, notre interprétation personnelle, discerne la corruption sur toute la ligne. 

En premier, la défiance envers la justice est constamment entretenue par de graves allégations de corruption qui font du dernier recours du citoyen pour préserver et faire valoir ses droits une tentative hasardeuse. Le retard dans le parachèvement de la charte de la réforme du système judiciaire initiée depuis 2013 est très défavorable à la solidité de cet important pilier du système national d’intégrité.

Secundo, les défaillances du secteur public découlent, entre autres, du transfert souvent injustifié de ses ressources au profit du secteur privé à travers divers actes et pratiques de corruption (opportunité mal définie, conception orientée, pots de vin, trafic d’influence, conflits d’intérêt, favoritisme, prélèvements obligatoires minorés...). Evidemment, cela constitue une perte considérable de fonds publics nécessaires au développement économique du pays (infrastructures de base, éducation, santé et autres services publics).

Tertio, les dysfonctionnements de l’économie nationale proviennent, en partie, de l’utilisation par les élites économiques et politiques de leurs prérogatives pour orienter ou manipuler les décisions économiques à leur faveur (oligopoles, rentes, ententes, collusion, exonération aides et subventions...). Malgré l’amélioration affichée du climat des affaires, l’économie nationale reste dominée par le secteur informel devenu pléthorique (cf. du secteur informel à l’économie informelle. article du 24 avril 2020 « l’économie de survie : traiter l’urgence »).

Enfin, le manque de convergence des politiques publiques et des stratégies sectorielles, découle de la très faible application de la démarche d’inter-ministérialité, levier de la coordination de divers acteurs et d’actions transverses cohérentes. Ce levier reste un vœu pieux cultivé par la logique du partage du gâteau ou de « féodalités administratives » (cf. article paru le 9 août 2019 sous le titre « le nouveau modèle de développement : un choix éminemment politique »).

En somme, les énergies des marocains et leur potentialités de création de valeurs et de richesses sont étouffées par le fléau de corruption qui gangrène l’économie et la société et par ricochet, rogne leur confiance dans les institutions.

Or, même si le rapport de la CSMD a rapporté les attentes exprimées par les citoyens notamment la priorité qui doit être accordée à la moralisation de la vie publique, à la lutte vigoureuse contre la corruption, contre les privilèges indus et contre les situations de conflits d’intérêts et l’exigence particulière de la corrélation entre responsabilité et reddition des comptes, il n’a cité le mot corruption que 10 fois.

Déjà, dans mes précédents articles, j’avais pointé les modes de gouvernance et de régulation : le premier article intitulé « Quel modèle de développement économique pour le Maroc ? » a été publié le 07 juin 2016 et le second, sous le thème « Repenser le modèle de développement: génie marocain à dos rond !! » a été édité le 20 novembre 2018. J’avais alors noté le manque d’engagement de certains acteurs économiques et sociaux en direction du changement de cap, mais également la pénurie d’idées audacieuses et ingénieuses de la part de « l’intelligentsia marocaine ».

L’instauration d’un nouveau modèle de développement passe obligatoirement par la lutte contre la corruption. Le rapport général de la CSMD n’a pas perdu de vue cette exigence en préconisant clairement une vie publique marquée par la probité et l’exemplarité en matière d’éthique et de probité. Dans ce sillage, ce rapport a recommandé la digitalisation accrue, l’accès à l’information, la déclaration d’intérêts et d’avoirs ainsi que l’élimination des barrières inéquitables et des situations de rentes injustifiées.

  • Cela, suffit-il à endiguer ce fléau ?

Moha BOUSTA

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