Parlons à nouveau des injonctions paradoxales. Article à paraitre dans Liaisons sociales magazine




Coopération et autonomie :

La « mère » des injonctions paradoxales






Pourquoi autant d’injonctions paradoxales ?


Il est de bon ton d’attribuer à la complexité croissante des organisations la multiplication des injonctions contradictoires. Ce n’est qu’en partie vrai. Celles-ci en effet procèdent bien davantage d’un management défaillant pris entre une méconnaissance de la réalité et la tentative d’y pallier par des formules ou des recettes toutes faites, exonérant ceux qui les utilisent d’un investissement sérieux dans la connaissance. On peut observer que les « victimes » prioritaires de cet état de fait sont les encadrants de premier niveau ou intermédiaires, tenus de mettre en œuvre des décisions parfois incohérentes, auxquelles eux-mêmes n’adhèrent pas. Dès lors on peut toujours expliquer à cet encadrement la nécessité fructueuse de ces injonctions et qu’après tout, il leur appartient de s’en débrouiller, leur seul résultat concret est d’altérer sérieusement la crédibilité de ceux qui les émettent.


La « mère » de toutes les batailles :


Parmi ces injonctions, il en est une porteuse d’un grand désarroi et parfois de souffrance pour ceux qui s’y trouvent confrontés : elle consiste à demander d’une part toujours plus de coopération entre les individus ou les unités et en même temps à appeler tout un chacun à développer son autonomie. L’appel à la coopération se comprend. On sait maintenant depuis longtemps qu’elle permet d’améliorer la qualité tout en réduisant les coûts. Répondre à la demande en apparence contradictoire d’un client voulant toujours plus pour moins devient alors possible. Mais on sait tout aussi bien que cette coopération n’a rien de naturel. Elle est au contraire exigeante, difficile, porteuse de conflictualité et surtout elle met ceux qui la pratiquent dans des situations de dépendance, constituant précisément ce à quoi une majorité d’individus cherchent à échapper.


Dès lors, leur demander en même temps de devenir autonomes donc de réduire leur dépendance vis-à-vis des autres voire d’atteindre par leurs propres moyens les objectifs qui leur sont fixés apparait à juste titre comme contradictoire avec l’impérieuse nécessité de coopérer toujours davantage. Il se trouvera toujours de fameux rhéteurs pour expliquer comment peut se résoudre cette quadrature du cercle. Il n’en demeure pas moins qu’elle crée aujourd’hui un grand désarroi chez ceux qu’elles concernent. Mais surtout elle traduit une grave absence d’éthique de la part de ceux émettant ces injonctions. Car la contradiction ainsi véhiculée rend totalement aléatoire l’évaluation des résultats obtenus et surtout des comportements qui les produisent. Cette imprévisibilité inhérente à la contradiction des injonctions détruit la confiance qui devrait être la base d’un management responsable.


Et pourtant, ce n’est pas inéluctable :


Redisons-le : ce n’est pas tant la mauvaise foi des individus qui conduit aux injonctions paradoxales que leur méconnaissance de la réalité dont ils ont la responsabilité. Elle les amène à une segmentation des problèmes, au court-termisme, à la gestion dans l’urgence ou au contraire à l’application mécanique et sans discernement de pseudo solutions. Tout cela amène bien sûr à un management qui, sous couvert de « rationalité », est perçu comme toujours plus erratique par ceux qui le subissent. La connaissance « élaborée », celle qui permet de mettre à jour une réalité complexe, permet de progresser dans sa maitrise et d’adopter la prudence nécessaire lorsqu’il s’agit de demander quelque chose à ceux dont on a la responsabilité. C’est pourtant une exigence aujourd’hui majoritairement refusée : elle est néanmoins une condition pour rendre au management tout ou partie de sa crédibilité.


Lise-Hélène CORTES

J'accompagne des dirigeants dans les transformations (activité et dynamique humaine).

6 ans
Pierre Millerat

Directeur de missions chez Enedis, Coach d'Organisation certifié HEC, Coach Orienté Solution

6 ans

Comme toutes les injonctions paradoxale autonomie versus cooperation n'apparaît comme tel que s'il n’y a pas de sens commun établi ensemble de façon éthique voire authentique dirons certains. La finalité d’un projet commun (d’une entreprise commune) accompagné d’un pilotage partagé des risques redonne plaisir du choix qui est une richesse humaine là où il n’y a que souffrance. Malheureusement plus l’entreprise est de taille importante plus il est difficile d’entreprendre ensemble, ou alors il faut créer des « cloches » de protection d’une équipe dans son organisation.

Régis Marcahosse

Coach en transformation d'organisation / Coach Agile / Scrum Master certifié / PO PM

6 ans

D'où l'importance croissante des approches processus et systémique des entreprises. La clarification des rôles et responsabilités et la compréhension de son interaction en interne comme en externe (approche systémique et transversale) . Cependant, sans tomber dans les injonctions paradoxales, il est possible de faire une management différentiel en parallèle, à savoir l'équipe pour l'atteinte de l'objectif et l'individu pour que chacun apporte sa pierre à l'édifice. Ce travail de funambule, que j'aime exercer, demande effectivement de connaître les réalités du terrain, des postes opérationnels, des réelles possibilités des personnes. C'est un premier travail que je m'attache toujours de faire, ainsi que la cartographie et les interactions des services. Car une organisation avec un cadre clair, donnant et à laquelle on peut avoir confiance, appuyé par une politique d'entreprise et un alignement cohérent est également nécessaire.

Je partage votre point sur les mirages de l'autonomie, pour ma part je suis en train de le traiter avec un autre angle complémentaire. La plus forte injonction paradoxale à mon sens, structurelle de surcroît concerne les grands groupes où l on demande aux salariés d'être source de valeur ajoutée ou simplement d'engagement alors même qu'ils sont traité en centre de cout avec comme visibilité un licenciement potentiel. Ceci ne marchait pas si mal au XXème siècle et ne peut plus marcher dans notre siècle pour trop de raisons

Thierry Denys

Designer de performance individuelle et collective - TPE ou PME d'activités à orientations écologiques et sociales exclusivement -

6 ans

L'autonomie, telle que je la constate souvent, revient à "laisser choisir" parmi l'ensemble des coopérations possibles ou demandées celles à laquelle le collaborateur va donner suite. Certains sont confrontés à tant de demandes de réunions, de travail en commun sur des projets, que sans autonomie ils explosent, ne pouvant répondre à toutes les sollicitations. Néanmoins, ces choix, ils les "paient" à un moment, car évidemment là ou ils ne donnent pas suite ils sont jugés comme non coopératifs....alors qu'ils ont passé l'essentiel de leur temps sur des projets auxquels ils coopèrent. On passe du compliqué au complexe, car il est impossible de prévoir les conséquences des choix faits...

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