Petit traité de disruption digitale à l'usage des honnêtes entreprises
De plus en plus de dirigeants d'entreprises traditionnelles nous sollicitent pour les aider à « disrupter leur marché ». Souvent soit pour trouver des relais de croissance, soit parce qu’ils se retrouvent, du fait justement de la digitalisation, dans une impasse stratégique.
J’espère que messieurs Joule et Beauvois ne m’en voudront pas de paraphraser le titre de leur best seller* mais c’est cela qui me vient à l’esprit aujourd’hui quand il s’agit de parler disruption digitale dans les entreprises classiques. Bousculer le statu quo nécessite en effet un certain esprit de flibustier.
La disruption digitale est un vaste sujet qui va de l’expérience client aux technologies en passant par le système de management, dont je n’ai pas la prétention de vouloir dresser ici un panorama complet. La création d’une proposition de valeur révolutionnaire et l’adoption d’un modèle opérationnel ouvert, décentralisé et « lean » est la cible que doit poursuivre toute entreprise en transformation digitale. C’est le plus sûr moyen de devenir un « game changer ». C’est un chemin long, exigeant et souvent douloureux. Des raccourcis existent heureusement pour ne pas attendre de devoir revoir de fond en comble son organisation et sa culture pour profiter des opportunités du digital.
Non, vous n’êtes pas spécifique face à la disruption digitale
Une des erreurs les plus entendues dans nos échanges en phase commerciale avec nos clients est « vous comprenez, chez nous c’est très spécifique ». En réalité, le premier enseignement est que, quelque soit le secteur dans lequel vous opérez (hôtellerie, services financiers, distribution, médical, industrie…), quelque soit votre modèle de distribution (B2B, B2C, B2B2C et autres acronymes…) la disruption digitale suit toujours le même pattern.
Un pattern que vous pouvez suivre avant vos concurrents ou de nouveaux barbares. C’est une bonne nouvelle non ?
1 / Se concentrer sur les frictions de votre marché, pas sur les besoins
Première illustration de l’esprit de flibusterie nécessaire dans la disruption digitale : se concentrer sur les faiblesses du marché et non sur les besoins des clients.
Quelles frictions de l’expérience les acteurs font-ils tous subir aux clients simplement par habitude ou par contrainte d’un modèle économique vieillissant ? Quelles sont les stratégies de contournement utilisées par les clients ? Quelles solutions imagineraient-ils pour les résoudre si on leur donnait une baguette magique ?
L’objectif est ici de détecter des frictions particulièrement irritantes, sur lesquelles votre entreprise a une supériorité ou une possibilité opérationnelle d’amélioration rapide. Puis de focaliser l’ensemble de votre stratégie d’attraction de prospects sur votre promesse de résoudre cette friction. Ce que nous allons appeler l’avantage injuste (« injuste » car vos concurrents ne peuvent pas rivaliser dessus).
2 / Intermédier le client en amont de vos concurrents
Une majorité d’achats, quelque soit le canal de transaction final et quelque soit le secteur, commencent aujourd’hui sur le digital par de la prise d’information (ex. recherche Google) ou un contexte d’utilisation (ex. géolocalisation).
Cependant force est de constater, par exemple en matière de SEA, que l’ensemble des concurrents sur un marché se bat en général sur quelques mots clés pour capter des prospects. Souvent, ces mots clés représentent une verbalisation assez basique du besoin du client (de type « nomduproduit + pas cher»). En réalité, quand le client en est là, il est déjà trop tard car l’ensemble des budgets marketing du marché est concentré sur cette phase de la recherche du client, ce qui aboutit à une surenchère des coûts d’acquisition.
La clé de la disruption digitale est de se positionner AVANT l’ensemble de ses concurrents, dans le processus d’achat du prospect en faisant levier sur votre avantage injuste. Avant la verbalisation consciente de son intention d’achat. Lors de ce que nous appelons la phase d’émergence contextuelle.
Une des solutions peut être de fournir gratuitement des services à forte valeur perçue pour être incontournable dans la phase de réflexion amont du client.
3 / Proposer une expérience d’achat fluide de bout en bout
Une fois le prospect attiré, il faut lui fournir une expérience d’achat la plus rapide et « sans couture » possible pour l’amener à la conversion. Pré-remplissage des données des formulaires, authentification simplifiée, support à la vente de type chatbot, paiement one click, historique des interactions conservé quelque soit le canal utilisé… les solutions et technologies ne manquent pas pour faire vivre une expérience positive.
L'amélioration de la conversion est un challenge quotidien pour coller aux usages et attentes des clients. J’insisterais donc juste sur l’importance de la remise en cause permanente des parcours proposés aux clients par la data, l’écoute client et l’A/B testing.
4 / Garder le client dans un écosystème fermé
Premièrement, si vous avez tapé dans le mille en terme de résolution de friction et d’expérience d’achat, vous avez tout intérêt à surfer sur la satisfaction du client et jouer la viralité communautaire (avis, réseaux sociaux, parrainage). Ce n’est pas que le job du community manager : cela peut-être un point clé de votre modèle économique digital car il peut vous permettre de baisser vos coûts d’acquisition de manière significative et donc d’être encore plus agressif dans votre conquête client.
Enfin, quelque soit le type de produits que vous vendez et sa fréquence d’achat, vous avez tout intérêt à mettre en œuvre des mécaniques de fidélisation et à multiplier les occasions de contact (touchpoints) pour laisser le client au sein de votre écosystème, une des logiques derrière la plateformisation des e-commerçants ou le développement des services numériques chez Apple.
Pas de disruption digitale sans compétences… digitales
Pour conclure, je ne peux que recommander de vous entourer de véritables experts des modèles d’innovation digitale, qui en ont une pratique régulière et ancienne. C’est sincèrement une vue de l’esprit que de vouloir « disrupter son marché » ou « repenser sa chaîne de valeur » grâce au digital, sans s’appuyer sur une compétence démontrée dans l’économie numérique.
* « Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens », Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois, Presses Universitaires Grenoble.