PORTRAITS & SIGNES n° 14
Un coeur simple dévoué aux enfants et aux animaux

PORTRAITS & SIGNES n° 14

LINDGREN Astrid

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Autrice suédoise la plus populaire en littérature jeunesse, Astrid Lindgren a connu une célébrité immédiate en 1945 grâce à son personnage de petite fille libre et espiègle, Fifi Brindacier (traduit dans plus de soixante langues). Elle a ouvert la voie à une perspective plus enfantine, transmettant habilement l’intensité des expériences joyeuses ou effrayantes de l’enfant dans un langage simple et passionné. Pour Astrid Lindgren, l’épanouissement du corps, de l’esprit et de l’imagination débordante passe par le jeu pratiqué librement et sans contrainte dans la sécurité qu’offre un cadre flexible de valeurs morales. Dans sa vie comme dans son œuvre, elle a toujours pris parti pour les plus faibles et les opprimés (enfants, adultes ou animaux).

Née le 14 novembre 1907 à Vimmerby en Suède. Son père, Samuel August Ericsson, métayer, et sa mère, Hanna, ont eu quatre enfants. Astrid Lindgren puise sa principale source d’inspiration dans son enfance paisible, baignée de jeux et d’aventure à la ferme, la campagne alentour (région du Småland) et les petits bourgs suédois. Son affinité sélective pour la Nature imprègne toute son œuvre, insufflant à ses personnages l’envie d’explorer leur environnement avec toute l’intensité et la fraîcheur avec lesquelles un enfant perçoit le monde.

À 16 ans, elle écrit pour un journal local.

Devenue adolescente, elle choisit de prendre l’apparence d’un garçon manqué hardi et entreprenant. Elle fut la première fille de Vimmerby à se couper les cheveux courts, ce qui fit sensation pour l’époque.

À 18 ans, elle est enceinte et célibataire. Le conservatisme moral de Vimmerby la contraint à quitter le village pour la capitale, Stockholm, où elle s’installe et trouve un emploi. Des années noires commencent. Trop démunie pour subvenir seule aux besoins de son fils bien-aimé, Lars, elle doit s’en séparer pour le placer dans une famille. Ce n’est qu’après son mariage en 1931 avec Sture Lindgren qu’elle le récupère de nouveau près d’elle. Elle est alors femme au foyer et s’occupe de Lars et de sa fille Karin qui est née en 1934. Puis elle travaille comme employée de bureau à temps partiel. Elle aiguise sa plume en publiant des récits de voyage et des contes de fées traditionnels dans des magazines familiaux et des almanachs de Noël.

En 1941, sa fille Karin a une pneumonie. Tous les soirs, Astrid Lindgren lui raconte des histoires.

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C’est ainsi que Fifi Brindacier surgit de son imagination : une sauvageonne aux cheveux rouge-carotte, avec des taches de rousseur, une mise négligée, des vêtements mal assortis, de très mauvaises manières, s’exprimant bruyamment et avec aplomb, qui sait ce qu’elle veut : devenir comme son père, capitaine et pirate et roi des Cannibales. Son caractère subversif défie toutes les conventions et les valeurs reçues. En effet, la pédagogie de la future autrice prend sa source dans une construction mentale préconisant des valeurs éducatives différentes de l’époque – dans les années 1930 et 1940, un débat public animé prônait une éducation centrée sur la psychologie et la vie affective de l’enfant, sans violence et sans châtiments corporels. Pendant près de trois ans, Fifi entre dans le quotidien imaginaire des soirées des enfants Lindgren. Pour les 10 ans de Karin, Astrid Lindgren lui offre un livre réunissant quelques-unes de ses histoires. Le style moins raffiné et plus radical sera remanié pour la version publiée en 1945. Cela n’empêche pas la dualité qui suit sa parution entre les organisations parentales et éducatives promptes à qualifier l’œuvre de médiocre et d’inculte et l’engouement des lecteurs qui découvrent captivés une petite fille singulièrement différente de la petite Suédoise modèle représentée par le personnage d’Annika (partenaire de jeu de Fifi Brindacier).

Fifi Brindacier est une rouquine sauvageonne qui vit seule avec son singe et son cheval dans une vieille maison délabrée près d’un petit village. Elle amuse et divertit ses amis Tommy et Annika, enfants modèles à la vie parfois banale et ennuyeuse, en leur offrant des spectacles et des aventures effrayantes et merveilleuses, terrassant diverses petites brutes, un hercule de foire, des officiers de police, des taureaux en furie, des boas constricteurs. Fifi n’est presque pas allée à l’école, mais elle est maligne et farouchement indépendante. Elle sait tout faire, fait tout ce qui lui passe par la tête, quand elle veut, sans rencontrer la moindre résistance et personne n’a aucune autorité sur elle, pour la plus grande joie de ses lecteurs. Dans son genre, Fifi Brindacier eut une influence égale à celle du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, ouvrant le champ des possibles et élargissant l’horizon de nombreuses lectrices. Cette petite fille est un modèle nouveau qui puise sa source dans l’affirmation de soi. « C’est un pays libre, non ? » dit Fifi à Tommy et Annika, s’amusant avec facétie à semer la pagaille dans un monde arbitraire et injuste. Ses extravagances et ses aventures dénoncent les abus de pouvoir et incitent à transgresser les règles établies. Astrid Lindgren a créé le personnage de Fifi lors de la Seconde Guerre mondiale durant laquelle elle a aidé des familles et des enfants juifs à se protéger. Elle l’imagine douée d’invincibilité, mais, à l’instar d’un super-héros, elle en fait un être drôle au travers de jeux de mots, d’histoires abracadabrantes, de bouffonneries, d’absurdités, d’ironie et de comédie de situation. Le caractère subversif de Fifi explique pourquoi la première traduction française parue en 1951 est une version notablement expurgée. Il faudra attendre 1995 pour une seconde traduction rigoureusement conforme à l’original.

1945, c’est également l’année où cette autrice devient directrice de publication pour les éditions Rabén & Sjögren, poste qu’elle conservera jusqu’à sa retraite. Cette maison publie toute son œuvre, soit 80 livres. Astrid Lindgren écrit aussi bien des romans jeunesse que des recueils de contes ou de chansons, des pièces de théâtre, des romans policiers – rappelant le monde imaginaire d’Enid Blyton (Le Club des Cinq) –, des livres d’images. Sa popularité en Suède s’accentue avec des adaptations télévisuelles et cinématographiques basées sur ses histoires. Olle Hellbom, metteur en scène suédois, a adapté dix-sept œuvres d’Astrid Lindgren, devenues de véritables classiques.

Années 1960 : Astrid Lindgren écrit des scénarii pour la télévision suédoise et le grand écran, expérimentant avec beaucoup de liberté de nouvelles formes narratives en repoussant les limites et les conventions d’écriture des genres traditionnels. Elle invente également les personnages de Mireille et Zozo la Tornade, deux séries de livres très appréciées par les Suédois. L’autrice y aborde sans fard les inégalités sociales, la méchanceté, la laideur de la pauvreté, l’indigence des vieilles gens de l’hospice, l’alcoolisme, les poux, le vice et l’hypocrisie, à travers la vitalité, la malice, la curiosité et l’inventivité de ces deux personnages embarqués dans de drôles de situations.

1981 : le dernier roman d’Astrid Lindgren, Ronya, fille de brigand, offre une nouvelle fois aux lecteurs une personnalité féminine forte, résistante et émancipée, qui apprend à vaincre la peur des dangers qui menacent autour d’elle.

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Généreux, résolus, pleins d’amour, confiants, courageux : telles sont les qualités que véhiculent les personnages de l’autrice tout au long de son œuvre. L’espoir d’établir le concept de non-violence dans l’imagination de ses lecteurs mais aussi en tant que partie intégrante de la culture commune sera son moteur durant ses quarante-cinq années de création. Une œuvre en faveur de la coexistence pacifique entre les hommes et du droit de tous les êtres, humains ou animaux, à vivre dans la dignité. Une œuvre imprégnée d’un profond humanisme.

Astrid Lindgren refusa toute sa vie les tentations du matérialisme. Elle a toujours conservé son style de vie et son appartement à Stockholm, malgré les millions de couronnes que lui ont rapportés ses droits d’auteur, préférant la philanthropie à la fortune.

Astrid Lindgren – qui fut qualifiée à ses débuts de « ménagère ordinaire » par un éditeur – reçut de nombreuses distinctions prestigieuses et internationales : prix Andersen qualifié de prix Nobel du livre d’enfant (1958), médaille Karen Blixen de l’Académie danoise, médaille Léon Tolstoï en Russie, prix Gabriela Mistral au Chili, prix Selma Lagerlöf en Suède, prix de la Paix des libraires allemands (1989), médaille Albert Schweitzer décernée par l’Institut américain pour la défense pour les animaux.

En 2002, après sa mort, le gouvernement suédois crée le Prix à la mémoire d’Astrid Lindgren, décerné chaque année à Stockholm à des personnes vivantes. Il récompense l’intégralité d’une œuvre (des illustrateurs, des narrateurs, des organismes qui œuvrent pour stimuler la lecture parmi les enfants et les jeunes). Son montant est de cinq millions de couronnes suédoises (environ 453 000 euros).

 

Sources : Astrid Lindgren, Eva-Maria Metcalf, Institut suédois, 2001 ; catalogue Nouveaux livres suédois pour jeunes lecteurs, Conseil culturel suédois, 2011.

 

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