POUR VIVRE

POUR VIVRE

Je me rappelle ce jour où ma prof principale de seconde s’était mise en tête de s’assurer que nous tous, les élèves, nous sachions avec précision quelle carrière nous allions épouser. Au cours du tour de classe qu’elle organisa, je me suis senti extrêmement surpris, et parfois émerveillé, d’entendre les réponses claires et nettes de chacun. L’une d’entre nous avait même déjà décidé d’être gynécologue.

 

Emerveillé parce qu’ils semblaient absolument convaincus. Comment pouvaient-ils être aussi sûrs d’eux ? Comment ne pouvaient-ils avoir aucun doute ? Quand mon tour est arrivé, je n’ai rien dit. En vérité, je n’avais rien à dire. Aucune des perspectives que j’avais pu entrevoir ne me faisait particulièrement envie. Aucune ne m’appelait.

 

La prof avait écrit quelques mots inquiets dans mon carnet de correspondance, à l’attention de mes parents. Je ne comprenais pas son inquiétude. Je ne comprenais pas ce que j’avais manqué d’essentiel.

 

J’ai 47 ans et je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie. J’ai développé des programmes informatiques, j’ai réalisé des films, j’ai fait du contrôle de gestion, j’ai cuisiné dans des restaurants, j’ai donné des cours sur les compétences émotionnelles, j’ai créé une entreprise de coffrets-cadeaux, j’ai animé des stages de développement personnel, j’ai géré les finances d’une association, j’ai coaché des personnes à la prise de parole en public, j’ai créé des journaux, …

 

J’ai procédé par essai-erreur, je suis allé ici ou là parce que j’en ai eu envie. Je n’ai pas eu de carrière, ni de métier. Je suis toujours aussi embarrassé quand on me demande ce que je fais dans la vie. Je croyais qu’avec le temps, ce serait plus simple, plus fluide, mais ça ne l’est pas. Je n’ai toujours aucune idée de ce que je ferai dans six mois. Je suis toujours aussi paumé.

 

En 2018, j’ai ressenti le besoin d’analyser, de comprendre, et surtout de clarifier, pour pouvoir enfin répondre à ma prof principale. Pour me rassurer aussi. J’ai consacré cette année-là à chercher de manière plus rationnelle, plus scientifique. J’ai participé à de nombreux ateliers, noirci de nombreuses pages de paperboard, complété des dossiers, répondu à des questions, …

 

Un jour, au cours d’un de ces ateliers, un homme m’a dit que mon talent était de raconter des histoires. Je ne l’ai pas cru. C’était trop simple. Et puis, je ne sais pas faire ça. C’est vrai, je le fais parfois, mais je ne sais pas COMMENT le faire. Je le fais, c’est tout.

 

Et j’ai cette petite voix qui me dit « et si tu te trompais encore une fois ? et si ce n’était pas ton chemin ? et si tu t’engageais dans cette direction pour te rendre compte que tu t’es planté ? »

 

Et insidieusement « et comment feras-tu quand tu seras à sec, quand tu n’auras plus un radis, et que tu découvriras le bout de cette impasse ? qu’est-ce que tu feras alors ? »

 

Et enfin « et qu’est-ce que tu vas dire à Pôle-Emploi quand ils te demanderont de leur expliquer de quelle manière tu es improductif ? »

 

Je n’ai aucune réponse à toutes ces questions, et de nombreuses autres qui ne me lâchent pas. Mais si je m’attarde sur elles, si j’essaye de leur donner satisfaction, alors je ne fais rien, je n’avance pas. Et si je n’avance pas, je meurs.

 

Alors j’avance d’un pas, sans savoir où je vais. Pour vivre.

Bonjour et merci pour ce partage. Il n’est pas toujours évident d’avancer sans jalons. Mais il est vrai que parfois, se laisser guider par la vie sans savoir où elle nous mène, peut être libérateur à condition de lui faire confiance. Si l’on est ouvert aux expériences qui s’offrent à nous, nous pouvons leur donner du sens comme par exemple, celui de nous faire grandir, quel que soit notre âge.

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