Pourquoi et comment faire décoller le covoiturage courte distance
Pourquoi le covoiturage courte distance doit passer de la potentialité à la réalité
98% des déplacements sont locaux (< 80 km) et alors que nos agglomérations – de tailles très variables – se développent, accompagner leur développement pour en assurer l’accessibilité est une priorité absolue. Les deux décennies de 1970 à 1990 ont été celles de la construction d’un vaste réseau d’infrastructures routières, permettant cette accessibilité aux territoires, en voiture. Faute d’un urbanisme régulé, cette accessibilité routière s’est traduite par un allongement des distances – le budget temps de transport dans les pays développé étant une constante s’établissant à environ 1h/personne/j – et donc par l’étalement urbain. La conséquence a été les phénomènes de congestion routière massive aux heures de pointes – et de pollution aux NOx - compte tenu du nombre de véhicules et de la place occupée par la voiture : l’espace public est une ressource rare en zone urbaine.
Pour remédier à cette situation, les responsables politiques ont alors engagé dans les années 1990, une politique de report modal, en construisant des réseaux de transports urbains en site propres, soit en métro pour les villes pouvant se les financer, soit en tramways ou en bus. Cette politique visait à offrir des alternatives crédibles à la voiture en termes de temps de parcours et à restreindre les espaces publics dédiés à la voiture. Les résultats en centres villes ont été importants avec des gains de parts modales significatifs, la plus belle réussite ayant été l’agglomération lyonnaise, avec une part modale équivalente à l’intérieur du périphérique entre la voiture et les transports en commun – 25% chacun -, les 50% restant étant assurés par le vélo et la marche à pied.
Cependant, desservir les périphéries, indispensable pour accompagner le développement de nos agglomérations et assurer une inclusion urbaine et sociale, s’avère particulièrement difficile : Construire des TCSP en périphéries s’avère particulièrement complexe pour deux raisons simples : s’une part les TC sont pertinents et efficaces en zones denses et en périphéries en dehors de quelques pénétrantes cela n’est pas le cas, d’autre part la rareté de l’argent public. En effet l’usager ne paie aujourd’hui en France que 25% des couts d’exploitation des transports en commun (qui sont de 400 M€/an sur Lyon par exemple : nous avons affaire à des sommes considérables), alors que ce ratio était de 70% en 1975 : ainsi toute nouvelle infrastructure de transport en commun génère automatiquement un déficit d’exploitation de 75%.
Si aujourd’hui les solutions à l’intérieur des périphériques pour assurer l’accessibilité sont connues et mises en place dans la plupart des agglomérations, même si beaucoup reste encore à faire, le problème d’accessibilité et de mobilité durable au-delà des périphériques demeure : Même une agglomération comme Lyon – qui est une agglomération riche - est aujourd’hui incapable d’assurer financièrement la desserte en TCSP du quart nord-ouest de l’agglomération, ou d’écarter le trafic de transit du centre-ville en finalisant son périphérique.
Il faut ajouter à ce contexte la baisse du cout d’usage de la voiture. En effet si l’on compare 1970 à 2016, on peut s’acheter aujourd’hui 2,5 fois plus d’essence avec une heure de smic. La consommation des véhicules a par ailleurs été réduite de moitié sur la même période. Le prix du pétrole compte tenu de l’explosion à la hausse des réserves a été divisé par deux en quelques années et devrait durablement s’établir aux alentours de 55 $ le baril. Enfin, la mise sur le marché d’ici 2020 de véhicules urbains hybrides rechargeables par tous les constructeurs automobiles mondiaux va encore diviser par deux la consommation des véhicules (2l/100 km), avec qui plus est des véhicules propres en ville car fonctionnant à l’énergie électrique. En 2020, le cout d’usage de la voiture hybride rechargeable sera comparable à celui des transports en commun, même avec abonnement et participation à 50% de l’employeur. Le signal prix envoyé aux usagers est clair et produira inévitablement son effet : la circulation automobile augmente (c’est ce qui est constaté au-delà des périphériques) et augmentera si les pouvoirs publics restent inactifs.
Est-ce à dire que nous sommes condamnés à une thrombose progressive de nos agglomérations, avec une saturation généralisée des réseaux de transports routiers et en communs, alors que les enjeux environnementaux n’ont jamais été aussi aigus ?
Les acteurs en présence et leurs objectifs
Avant de détailler les propositions il convient de bien identifier les acteurs en présence et leurs objectifs.
Pour les usagers, nous l’avons vu, la priorité c’est la vitesse et le cout du déplacement, modélisé depuis longtemps par les économistes par la notion de cout généralisé. Ceci n’exclut pas d’autres composantes comme le confort, la fiabilité, la sécurité.
D’un point de vue des politiques publiques de mobilité, l’objectif c’est d’abord d’assurer l’accessibilité à la ville et ses pôles d’activités économiques, de loisirs, ... ce en limitant la consommation d’espace induite par la voiture et en utilisant judicieusement les fonds publics.
Pour les opérateurs de mobilités – publics et privés -, une dizaine par grandes villes (transports en communs, parkings, vélos libre services, covoiturage, auto partage, régulateurs de trafics, trains régionaux), il s’agit de gagner de nouveaux clients et d’avoir des marges financières permettant d’investir et donc d’innover. Par ailleurs, nous l’avons vu, les transports en communs ont à faire face à une difficulté certaine : gagner des clients se fait à coûts croissants pour la collectivité.
Le tableau suivant permet d’avoir une vue d’ensemble des couts pour l'usager et la collectivité selon les différents modes de transports :
Tableau des couts et vitesses par modes en agglomération (sources CEREMA, Métropole de Lyon, Sytral, Région Rhône Alpes, Jean Coldefy)
Propositions pour le covoiturage courte distance
Inciter à un usage partagé de la voiture, limiter les usages excessifs de la voiture
Dans les agglomérations européennes le nombre de passager par voiture aux heures de pointes est de 1 personne. Les réserves de capacité de la voiture sont très importantes, pour peu que l’on facilite son partage. Le covoiturage courte distance dispose d’un potentiel de 15% de parts modales (CGEDD) contre 4% aujourd’hui. Il ne faut cependant pas nier les difficultés du covoiturage courte distance (entre 15 et 40 km) :
- la diversité des O/D et des heures est importante. Trouver des appariements entre conducteurs et passagers nécessite des systèmes temps réel et généralisé
- le covoiturage de courte distance nécessite une masse critique et n’est donc pas possible partout
- les modèles économiques sont délicats mais évidemment indispensables : ils restent à inventer
- le covoiturage de bout en bout est inadapté à la diversité des localisations d’emplois et de logements. Une interconnexion avec les lignes fortes de transports en commun est nécessaire, ce qui implique d’intégrer le covoiturage dans l’offre globale de mobilité.
Il s’agit au final de mieux intégrer la voiture dans le système de mobilité en mobilisant l’offre privée pour améliorer l’accessibilité, tout en diminuer les impacts de l’automobile. Nous sommes encore au stade de l’innovation, mais avec la généralisation de puces GPS et cartes SIM en première monte dans les voitures dès 2018 (100% des nouveaux véhicules), les choses pourraient aller plus vite. Avant d’être autonome, la voiture est déjà connectée, ce qui permettra son partage.
Plusieurs pré-requis sont indispensables pour permettre au covoiturage courte distance de décoller :
- Déployer l’offre là où le service a une chance de décoller : réaliser des analyses mobilité pour cibler les territoires et pénétrantes où une masse critique de covoitureurs a une chance d’être atteinte.
- Avoir un service temps réel et fiable pour assurer les lieux et horaires de pose/dépose : la diversité des O/D et des heures de départs et arrivées ne permet pas une gestion prévisionnelle comme le fait blablacar : l’expérience l’a largement prouvée. C'est un enjeu de fiabilité des temps de passage en utilisant les données temps réel et prédictive, disponibles dans certaines agglomérations. On le voit l’outil induit va bien au-delà de la simple mise en relation. Par ailleurs sur la voirie, on ne peut stationner trop longtemps au risque de gêner la circulation (à prendre en compte si on pense que la pratique va décoller).
- Coupler le covoiturage avec les réseaux de TC : pose/dépose sur un pôle multimodal permettant d’assurer le début/la fin de son parcours. Des O/D de bout en bout seront rares. Un couplage avec un calculateur multimodal temps réel est indispensable
- Garantir l’offre: C’est déjà le cas avec les dispositifs de rémunération des conducteurs (ou d’une masse minimum) pour garantir une offre à l’aller et au retour. Sans cette offre, la masse critique ne sera jamais atteinte
- S’appuyer sur une marque connue : Pour diffuser un service il faut une marque connue, sinon c'est l'échec assuré. La marque des TC en est une, tout comme celles des constructeurs, qui plus est sur du covoiturage, on peut imaginer qu'ils se sentent concernés. D'ailleurs à Munich il y a actuellement un conflit entre l'opérateur de TC et BMW pour porter ce type de service, chacun voulant le faire sous son nom propre. La voiture connectée peut être partagée. Renault comme PSA viennent de créer des business units pour développer des services notamment sur la voiture partagée. Pour l'instant ils se focalisent sur l'autopartage, le covoiturage est à intégrer.
- Faciliter l’usage (simplicité, interfaces dans les écrans des voitures). Opticities a montré que la facilité d'usage, sans parler des aspects sécurité, avec l'intégration dans les écrans de voiture d'une fonction covoiturage et de l'info multimodale avait un impact très fort sur les comportements. Il faut poursuivre dans cette voie. Une tarification intégrée, dans une logique MaaS est certainement une action à développer. Pour ce faire, sortir des systèmes de billettiques actuels centrés sur le support est nécessaire, vers les systèmes en back office (c’est ce que font tous les opérateurs de mobilité, sauf les transports en commun !).
- Mettre en place des « carottes et des bâtons » : on arrive aujourd’hui à garantir une offre aux heures de pointes dans des agglomérations (cf Fleetme opéré par Cityway et Transdev), avec par exemple la promesse de ne pas attendre plus de 5’ pour se rendre à destination entre 8h et 9h, mais trop peu de passagers en profitent. La raison en est simple : les contraintes du covoiturage sont supérieures aux avantages. Il nous faut donc introduire des incitatifs et des contraintes sur les temps de parcours et les couts des services (les deux drivers des comportements de mobilité pour l’usager). Si l’on veut avoir un report modal, il faudra rendre les solutions alternatives à la voiture compétitives : aussi voire plus rapide, moins chères que la voiture. Ceci passera, par des mesures venant améliorer les temps de parcours des solutions alternatives (voies réservées, avec dispositifs de contrôle automatique et en attendant via la force publique, l’amende étant de classe IV, 135 €, cela est dissuasif), et d’autres venant dégrader les temps de parcours en voiture, et également les couts d’usage de la voiture. Ces solutions seront à déployer de manière judicieuse selon les territoires : là où l’usage de la voiture ne cause pas de problème, il n’y a pas lieu de la pénaliser. Ce point est clef : il est illusoire de croire que le simple fait de déployer un bon service facilement accessible fera décoller la pratique. Nous n’échapperons pas à une tarification de l’usage de la voiture solo. D’ailleurs, là où existent des péages la pratique du covoiturage est très forte (cf autoroutes d’accès à la Métropole de Lyon) et ont amené les concessionnaires à réaliser des parkings de covoiturage en amont des gares de péage pour limiter le parking sauvage.
- Permettre aux agglomérations premières victimes de l’usage excessif de la voiture, à intervenir sur les aires urbaines pour ce type de service. En effet, on constate que dans une métropole, la moitié de la population habite en hypercentre, l’autre au-delà, et il faut ajouter une population équivalente à celle de la métropole en dehors de ses frontières dans l’aire urbaine (l’aire urbaine étant définie par un territoire polarisé autour d’un centre urbain attirant au moins 40% des emplois des communes environnantes). Avec la réforme territoriale, les territoires des aires urbaines hors métropoles sont orphelins de gouvernance (la Région est aujourd’hui bien trop grande pour adresser ces sujets spécifiques) et les dispositifs de syndicats mixtes génèrent lourdeurs et couts de coordination importants dans un pays qui n’en a pas besoin. Il convient d'autoriser les métropoles et communautés d’agglomérations à intervenir sur les territoires de leurs aires urbaines pour développer des services d’information voyageur et de covoiturage en pénétrante.
- Expérimenter les modèles économiques afin de trouver un optimum en terme d’usage de fond public, bien rare aujourd’hui. Il est probable que l’on aille vers un mix public/privé (participation des passagers au service via une commission, participation du secteur public, participation des entreprises dans le cadre notamment des plans de mobilité) dans le cadre de DSP spécifique ou intégré aux DSP de transports en commun. Les études et expérimentations montrent que pour garantir une offre aux heures de pointes il faut indemniser les conducteurs. Cela a un cout, bien moindre que les services de TC ceci dit mais il faut regarder la capacité et ramener cela à l’usager transporté. Si la personne publique prend en charge ce cout, les services peuvent s'équilibrer avec un paiement d'une commission par l'usager. Dans tous les cas on est sur un cas classique de DSP mais avec un R/D décent. Par ailleurs les entreprises peuvent financer via les PDIE ou des groupements d'entreprises des services de covoiturage. Elles le font déjà, c'est d'ailleurs la seule ressource des start ups actuelles en BtoB.
Pour avancer il faudrait lancer des appels à projets et dégager des financements permettant d’accélérer fortement sur le sujet :
- Développer les projets de covoiturage courte distance, avec deux axes de travail : fournir une information sur l’ensemble des modes de transports, y compris la voiture, de manière intégrée entre le smartphone et le véhicule, d’une part, et d’autre part élaborer des modèles économiques pérennes. Ceci suppose un travail entre agglomérations, constructeurs automobiles et fournisseurs de services numériques de covoiturage et d’information multimodale. L’expérimentation parait indispensable avant de généraliser une offre qui soit industrialisable par les acteurs privés, en lien avec les autorités publiques. Des fonds gouvernementaux devraient être mobilisés pour faire émerger de tels projets.
- Développer les incitatifs au covoiturage : Développement de voies réservées covoiturage, tout comme les parkings, ouverture des couloirs bus aux co-voitureurs avec les contrôles ad hoc (dispositif de preuve de covoiturage à développer sur les plans juridiques et techniques), ce qui est une mesure très demandée compte tenu des gains en temps de parcours.
De tels projets pourraient mobiliser 1 à 2 M€ / aire urbaine, soit 30 à 60 M€ si l’on cible 30 aires urbaines (hors Paris, cas spécifique, où la Région et l’aire urbaine ont le même périmètre, avec une densité de population sans comparaison). Une aide de 50% minimum permettrait de gagner 10 ans sur le sujet, si les incitatifs au covoiturage et en parallèle les mesures pénalisant l’usage de la voiture solo sont mises en place.
Directeur Innovation @Transdev France
7 ansBravo pour ton article Jean. Effectivement il y a des propositions à activer dans ta liste, pour certaines on commence pour d'autres on n'y est pas encore ! A titre plus personnel j'attends les voies de covoiturage après y avoir goûté aux US !