Pourquoi la voix de Robert Badinter plait… mais pas celle de Dupont-Moretti, ou l’expression acceptable de la colère
Extrait du Nouvel Obs

Pourquoi la voix de Robert Badinter plait… mais pas celle de Dupont-Moretti, ou l’expression acceptable de la colère

Le grand, l’immense Robert Badinter est mort. Inutile de présenter l’avocat et le ministre à l’origine de l’abolition de la peine de mort, d’autres l’ont fait aussi bien que moi.

Son discours est encore dans les mémoires pour son caractère passionné, incarné, viscéral même, et en grande partie responsable de sa postérité.

Cependant, l’objet de cet article n’est pas de lui rendre hommage, car d’autres l’ont fait bien mieux que moi. Mais il est de comparer la voix de son discours à l’Assemblée Nationale à celle d’un autre garde des sceaux devenu ministre, Eric Dupont-Moretti. Le discours en question est celui prononcé aussi devant les députés le 28 novembre dernier , suite à la mort de Thomas de Crépol et qui a provoqué le départ des députés du RN ce jour là.

Introduction

Petite introduction juste sur la physiologie et le parcours de chacun des protagonistes.

A l’époque de son discours, Robert Badinter à 53 ans. Il vient d’être nommé ministre de la Justice par Mitterrand. C’est déjà un avocat très reconnu et même controversé de par ses positions sur les conditions carcérales des détenus et sa position sur la peine de mort. Il sait que son abolition est très impopulaire. Il est aussi juif ashkénaze. Il fait 1m60, est relativement fin et se tient assez droit. 

Eric Dupont-Moretti a 63 ans au moment de son discours. Il est ministre à l’époque de son discours depuis trois ans. Sa nomination a aussi fait grincer pas mal de dents. Il a le plus fort taux d’acquittement de la profession. Il fait 1m70, est plus rond et se tient plutôt penché. C’est aussi un gros fumeur

Le discours de Badinter a lieu en 1981, dans une ambiance assez calme, et celui de Dupont-Moretti en 2023 dans une ambiance d’agitation parlementaire très importante, ce qui conditionne la qualité de l’enregistrement.

Qualité voix, inflexions et pauses

Robert Badinter

Dans le discours de Robert Badinter, ce qui impressionne, c’est la variété des inflexions, le caractère posé du discours et les éclats de voix à des moments choisis. Dans le cas de figure ci-dessus, on entend des épisodes de rugosités assez nombreux, correspondant à une surpression sous-glottique, qui donne donc un caractère passionné, en colère, au discours.

Là où c’est intéressant, c’est que nous avons aussi une variété de hauteurs assez importantes, des inflexions constamment vers le bas, et des alternance de rugosité (avec forts appuis consonantiques) et de clarté. Donc de gros contrastes dans le discours.

Sur le spectrogramme, cela se voit notamment par la lisseur de la première ligne de fréquence au-dessus du bruit de fond (le halo tout en bas) et la saturation entre 1 000 et 5 000 Hz lors des périodes de rugosités, qui correspondent à des moments d’emportement. 

Ces derniers sont audibles car la voix et l’émission sont parfaitement maîtrisés, on revient à du clair et du normal avec des épisodes de colère viscérale. 

Robert Badinter incarne son discours et sa cause.

Eric Dupont-Moretti

Pour Eric Dupont-Moretti, ce n’est pas la même chose. On entend clairement de la raucité dans la voix, elle est éraillée. Le fait de parler aigu permet de camoufler ce défaut, mais le dessin des inflexions trahit les limites de la voix à ce moment. On voit aussi énormément d'interruptions pour des respirations d’insistance (le haut des poumons), et de sons à la même hauteur sans variation ni de possibilité de saturation car Eric Dupont-Moretti est en forçage constant. 

Il ne semble pas vraiment incarner son discours, il est finalement relativement représentatif de son gouvernement, incapable d’avoir ou d’imposer un consensus auprès des députés.

Conclusion

La comparaison est limite douloureuse car elle nous fait comprendre à quel point notre gouvernement a des difficultés à se faire entendre.

Robert Badinter était l’incarnation d’une cause qu’il était capable de défendre envers et contre tout. Et tout le monde est resté à l'écouter. 

Eric Dupont-Moretti a des difficultés à passer par dessus le brouhaha de la même assemblée sur une problématique tout aussi clivante, le racisme antimusulman et antisémite. Il a des applaudissements, mais ce sont ceux de son camp politique. Les députés du RN sont partis…

La différence d'incarnation de la fonction de garde des sceaux se voit dans les deux cas de figure. Et elle s’entend.

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