Pourquoi votre prochain patron sera Chinois ?
Après tout que sais-je de la Chine ?
Mon goût pour les bouchées à la vapeur dévorées avec plaisir dans les pâles restaurants chinois parisiens ? Je sais bien, par ailleurs, que dans ces établissements nous sommes bien loin de la réelle diversité de la cuisine chinoise multiple, foisonnante et raffinée. Passons...
Mon vieux fond culturel d’historien et de politologue ? Quelques vagues réminiscences du passé colonial des européens passés maîtres dans l’art du pillage industriel et des ressources naturelles ? La soie, la poudre à canon, les pâtes…
Le titre intriguant du bouquin de Peyrefitte « Quand la chine s’éveillera… Le monde tremblera » ? Ce même livre qui a nourri pendant des années une crainte sourde chez les érudits français à l’égard du péril jaune…
La rétrocession de Hong-Kong par le Royaume-Uni à la Chine en 1997 ? Oui, mais n’en avais-je pas oublié les raisons ? A savoir, la juste application d’un droit au retour dans le giron chinois après une spoliation remontant au 19ème siècle et dont les racines étaient ancrées dans une guerre de l’opium.
Ma curiosité à l’égard des voyages répétés de notre ancien premier ministre Raffarin ? Le fait de constater impuissant la relocalisation des actifs mondiaux (et, partant, la dette US), à Hong-Kong, à la faveur de la dernière crise financière ?
Bref, guère plus que le vernis culturel d’un lecteur assidu de la presse économique et financière, mâtiné de quelques débriefings de collègues ou amis de passage dans l’empire du milieu. Il paraît que là-bas les villes poussent comme des champignons et que l’air y est vicié. On foule aux pieds les codes de la bienséance démocratique et de la liberté d’opinion. On y produit désormais quasiment l’ensemble de nos biens de consommation. La protection du patrimoine semble y être encore un concept non abouti. Les gens crachent par terre… C’est loin de chez nous…
J’ai donc dévoré avec entrain et curiosité le livre de Denis Jacquet et Homéric de Sarthe. Je leur avais promis un retour, le voici.
L’essai se lit avec facilité et gourmandise. Le livre est érudit et donne la part belle à l’Histoire, nécessaire éclairage du présent. Cette mise en perspective de l’histoire de la Chine, trop souvent ignorée de nos livres européens, explique clairement pourquoi notre monde occidental, social-démocrate et capitaliste est en train de basculer.
Le constat est glaçant, l’analyse sans concession. Le regard porté par les auteurs est celui de deux hommes qui connaissent bien leur sujet. Les deux serial entrepreneurs connaissent bien le monde de l’entreprise, l’IA, la réalité virtuelle et augmentée, la data, les Etats-Unis pour l’un, la Chine pour l’autre.
Sans nul doute, ils éprouvent de l’admiration à l’égard de la Chine, à l’égard de son pragmatisme. Cette fascination pour le système chinois n’est pas idolâtre pour autant ! Elle a juste pour effet d’appuyer là où ça fait mal en Occident. La critique de notre passé colonial fleure bon le Sanglot de l’homme blan de Pascal Bruckner, c’est vrai. C’est néanmoins salutaire pour comprendre l’esprit de revanche qui anime les chinois.
Les manquements de notre système social libéral en terme d’investissements ou d’éducation, plus vraiment protecteur, surement trop libéral au regard des pratiques des deux grands blocs. Les pesanteurs de notre système. Les déficiences de l’Europe en matière de protectionnisme, de préférence européenne, de relance par la R&D.
Le livre heurte les mentalités bien pensantes, et forcément la mienne. Comment peuvent-ils faire l’apologie d’un système dictatorial, me suis-je dit à plusieurs reprises, en lisant ces pages ? Et pourtant le constat est là, froid, implacable. Mes dents grincent à chaque page du livre qui se tourne.
Notre démographie en berne, la difficile tentative de partage du temps de travail, la mise au rebus des seniors, la course à la croissance morne et à la productivité pour sauver le pouvoir d’achat. Tout cela est évidemment rappelé par le menu. En clair, l’échec du projet européen, dont le droit d’inventaire n’en finit pas d’être purgé.
Son corollaire ? Le désintérêt démocratique de nos compatriotes. Les auteurs ont beau jeu de rappeler qu’« en France, au second tour de l’élection présidentielle de 2017, l’abstention était de 25,44% soit 12 101 416 Français qui ne sont pas allé voter » et d’asséner que « le français se fiche de ce cadeau démocratique. Il devient chinois. Apporte-moi l’opulence et je te laisse le pouvoir ». Pas faux. La crise des gilets jaunes, les intentions de votes populistes, le Brexit viennent nous rappeler ce constat d’évidence comme chaque flash de BFM TV ces derniers samedis.
Le propos du livre repose sur plusieurs idées forces :
- La Chine connaît son histoire. Elle nourrit un esprit de revanche à l’égard des occidentaux qui l’ont dominée et privée de son statut de super puissance pendant quatre longs siècles. Juste retour des choses.
- La Chine n’a pas de problème moral à l’égard de la copie. La reproduction des idéogrammes est un art, celui de la quête de la perfection, de l’excellence, et ce, afin de pouvoir maitriser la langue. Cette culture de la copie structure le mode de pensée de chinois et ce n’est pas « mal », au sens de la vision du Bien et du Mal que nous nous faisons dans notre conception judéo-chrétienne. « Copier ou recopier un produit permet de le comprendre et de savoir le refaire ». « Dès que cette étape est maitrisée, on peut s’interroger sur la façon de l’améliorer ». « Cette phase d’innovation autorise l’incrément ».
- La Chine rappelle à ses interlocuteurs qu’il existe plusieurs acceptions pour définir ce qu'est la liberté. Après tout, lorsque l’on dirige la destinée d’un peuple d’1,4 milliards d’êtres humains, la question de la définition des libertés fondamentales mérité d'être posée. Qu’est ce donc que la Liberté ? La liberté de mouvement ? Assurément, celle-ci nécessite impérativement une bonne sécurité. En la matière, sommes-nous en situation de donner des leçons en Occident ? La liberté d’entreprendre ? Qu’en est-il de la nôtre ? Celle-ci s’avère être bien souvent empêchée dans notre carcan administratif, les amis pigeons en témoignent régulièrement… La liberté de pensée et de pratique religieuse ? Bien sûr ! Les Chinois semblent être en passe de l’acquérir progressivement dans un pays où Confucius, Jésus et Mahomet cohabitent désormais. La liberté de parole ? Itou ! Les Européens, les Français au premier rang, sont supposés en être les champions du monde. Qu’en avons-nous fait ces dernières années ? Quid de la qualité de nos médias ou de la valeur de notre parole dans le monde ?
- La Chine s’organise pour dominer le monde. Non pas en joueur d’échecs, où le but vise à détruire les pièces de l’adversaire, mais en joueur de Go qui a lui pour ambition d’encercler et de contrôler son partenaire de jeu. L’outil opérationnel s’appelle le Plan. Les ambitions de la Chine sont claires, simples et lisibles de tous à la publication de chaque nouveau Plan Quinquennal. Une des ces matérialisations concrètes s’appelle les Nouvelles Routes de la Soie… C’était écrit.
Face au rouleau compresseur chinois, devant la caractère implacable du constat des auteurs, une seule question finit par tarauder le lecteur : existe-t-il une façon de contrer l’inéluctable ?
La partie post constat est plus courte. De l’avis d’Homéric, elle mériterait un deuxième livre mais quelques lignes sur nos perspectives éventuelles apparaissent, malgré tout, à la fin de l’ouvrage pour étancher la soif de réponses.
« Pourquoi l’Europe, partie à la conquête du monde au XVème siècle, ne pourrait-elle pas redevenir l’un des leaders ? » Interrogent les auteurs. Constat vite pondéré malgré tout en précisant qu’ : « Il ne s’agit plus d’écraser le reste du monde », « mais de prendre le leadership dans certains domaines ».
Pour cela, peut-être serait-il pertinent de s’inspirer des autres ? Israël et sa pépinière d’entreprises innovantes… Et que dire des Etats-Unis ? Ame du libéralisme, et cependant l’un des pays les plus protectionnistes au monde… Et que dire du soin attentif qu’ils accordent à leurs PME en leur réservant 20% de la commande publique. Ne sont-ce pas là des motifs à réflexion ?
Ne faut-il pas redéfinir les frontières de l’intérêt général ? Faire en sorte que nos états en soient garants ? Refonder les règles du capitalisme lui donner un visage plus humain, recentré sur l’homme ? Oserais-je ajouter la nature ? Viser long terme ? « Faire converger les intérêts de chacun pour accroitre l’intérêt de tous ». Tenter l’aventure Sud-Américaine ? Terre de jeu présupposée naturelle pour les latins. Miser sur l’Afrique ? Sur sa démographie galopante qui nous permettrait d’envisager un contrepoint en matière de massification de la collecte de données ? Réinvestir la Francophonie ?
Reprendre les règles du modèle chinois ? Jouer la carte de la préférence européenne ? Utilisons-nous Qwant ? Pour l'heure, nous sommes majoritaires à rester fidèles à Google... Investir et garantir nos investissements dans une centaine de pépites européennes afin d’offrir une troisième voie entre GAFAM et BATX ?
Négocier avec la Chine ? Après tout les Chinois nous ressemblent. Comme nous, ils sont le fruit d’une longue civilisation, ils sont cultivés, ils aiment les belles choses et l’art de la table. De plus, ils nous aiment et nous respectent. Le souvenir gaullien - De Gaulle a été un des premiers à reconnaître la Chine en 1964 - continue de briller à l’Est. Dès lors, si nous sommes forcés d’admettre que les produits chinois continueront d’affluer par bateaux entiers dans des ports européens de plus en plus détenus par les Chinois (Le Pirée, Gènes, aujourd’hui, Marseille demain ?), pourquoi ne pas imposer que les porteurs soient réalisés en Europe ? Si nous continuons de vouloir de l’emploi sur nos territoires, ne faut-il pas nous réindustrialiser et accepter de négocier l’installation des entreprises chinoises en France et en Europe ?
Et les auteurs de conclure d’une fantastique tirade volontariste : « Nous avons encore du talent, une recherche, des entreprises, des individus, des intellectuels, il ne nous manque que des politiques courageux, n’ayant pas peur de mourir à l’ombre des sondages. N’attendons pas qu’ils se soient fait décimer par une vague populiste et retrouvent leur courage, celui de ceux qui n’ont plus rien à perdre, pour réagir ». « Les chinois sont des compétiteurs pas des ennemis ». « Les entreprises doivent pallier le problème au plus vite et contribuer à l’intérêt général, en proposant des modèles plus centrés sur l’homme et faire rêver le reste du monde en le ralliant à notre drapeau ». « La compétition n’est équilibrée que si les acteurs, du fait de leur pouvoir respectif, sont obligés de se respecter ».
Selon Denis et Homéric, il nous reste peu de temps, peut-être 5 à 10 ans maximum pour coopérer, s’inspirer et changer la donne. Si nous n’y prenons garde, notre retard technologique sera tel que nous serons seulement considérés, sur la scène internationale, pour notre capacité à ouvrir les portes de nos Châteaux de la Loire, dignes témoins d’un glorieux passé.
La France et l’Europe sont invitées à réagir vite par les auteurs sous peine de voir la prochaine crise financière, conjuguée à la destruction massive des emplois annoncée par la convergence des nouvelles technologies, nous faire plonger dans l’abime.
Bref, courrez pour acheter ce bouquin aux Editions Eyrolles.